L'onde de choc s'est propagée à la vitesse de l'éclair ce jeudi, dans le Golfe comme dans le reste du monde. La quasi-faillite de l'émirat de Dubaï, obligé de demander à ses créanciers un moratoire de six mois pour deux de ses principales entreprises, Dubai World et Nakheel, incapables de rembourser les 59 milliards de dollars qu'elles ont empruntés, a secoué tous les marchés financiers. Les Bourses asiatiques poursuivaient leur repli vendredi. Tokyo a chuté de plus de 3,0% en clôture, tandis que Hong Kong reculait de 3,45% à la mi-séance. Shanghai affichait un repli de 1,05% à la mi-séance. Séoul a terminé sur une dégringolade de 4,69%. "La dernière chose que l'on souhaiterait voir est un effet domino", s'alarme la banque d'investissement EFG-Hermes, qui redoute des reports de paiement de dettes d'autres firmes, notamment dans les pays émergents. Sans attendre, les agences de notation Moody's et Standard & Poor's ont déclassé six des groupes les plus importants de Dubaï, dont DP World, filiale de Dubai World, la compagnie de l'eau et de l'électricité, et le géant de l'immobilier Emaar Properties. "Bien que Nakheel ne soit pas noté par Moody's, cela constitue un précédent important pour une société de premier plan faisant face à des difficultés de paiement de ses dettes et s'appuyant sur le gouvernement pour la soutenir", accuse l'agence. Le risque d'un effet boule de neige est bien réel. Dubaï, qui compte plus particulièrement sur son voisin Abu Dhabi pour venir à son secours, peut saper la confiance des investisseurs dans le Golfe. Investisseurs parmi lesquels les Occidentaux sont nombreux. Au nombre des créanciers de Dubai World, on retrouve les banques britanniques Barclays, Lloyds, Royal Bank of Scotland, mais aussi BNP Paribas et Credit Suisse. Selon ce dernier, l'exposition des banques européennes ne dépasserait toutefois pas 13 milliards d'euros. En 2008, l'émirat avait attiré à lui seul pour 21 milliards de dollars d'investissements étrangers. Aujourd'hui, ces investisseurs étrangers peuvent s'inquiéter non seulement de la santé financière de Dubaï, mais encore de celle des pays de la fédération des Emirats arabes unis et de la région tout entière. De son côté, Dubaï, symbole de l'argent gagné, faute de pétrole, par l'immobilier et la finance, dispose d'un énorme portefeuille d'actifs à l'étranger. Il est le premier investisseur étranger en Tunisie et a lancé de nombreux projets dans le Maghreb, bien que certains d'entre eux aient dû être gelés en raison de la crise. Il est actionnaire de plusieurs grosses sociétés en Asie, dont Sony, aux Etats-Unis et en Russie où il a acquis l'un des principaux électriciens. Il dispose également de participations en Europe, notamment dans EADS. S'il décidait, comme le craignent certains investisseurs, de s'en séparer pour rembourser ses dettes, les conséquences pourraient être catastrophiques pour la confiance des marchés financiers. Et elles le seraient tout autant si Abu Dhabi devait se retirer de Daimler, dont il détient 9%, pour l'aider. Fermée ce jeudi, Wall Street donnera son jugement ce vendredi. Les places boursières occidentales se sont calmées. Elles comptent sur la solidarité des Emirats arabes unis. Calmer les esprits après la tempête. "Nous comprenons les inquiétudes du marché et des créanciers", mais Dubaï est une économie "durable" avec une "large assise", affirme Cheikh Ahmed ben Saïd al-Maktoum, président du comité fiscal suprême chargé de sortir l'émirat de la crise. De fait, comme si elles voulaient le croire, les Bourses européennes se sont ressaisies ce vendredi. Paris a rebondi de 1,15%, Francfort de 1,27%, et Londres a regagné 0,99%. À l'inverse, Wall Street, après avoir ouvert en forte baisse, terminait la séance sur un recul de 1,4%. De même les places asiatiques replongeaient encore fortement. Hongkong perdait 4,8%, Séoul 4,7% et Tokyo 3,2%. Le pétrole, quant à lui, qui avait perdu plus de 5 dollars en début de journée à New York, tombant à un niveau qu'il n'avait pas atteint depuis le mois d'octobre, s'est redressé en soirée, pour ne plus abandonner que 3,8 dollars. Il est vrai que les banques, comme Calyon (Crédit agricole), Natixis et BNP Paribas, ont de leur côté immédiatement minimisé leur exposition, les deux premières avançant des chiffres de respectivement 300 millions et 35 millions d'euros. "Le système financier mondial est à présent assez fort pour faire face au problème", assurait pour sa part le premier ministre britannique, Gordon Brown. Sur le marché des dérivés, le coût de la garantie de la dette des pays du Golfe, Dubaï en tête, a encore augmenté ce vendredi. Mais les marchés parient de plus en plus sur la solidarité régionale, qui a toujours joué jusqu'ici. Dubaï et Abu Dhabi sont les pivots de la fédération des Emirats arabes unis. L'un s'est développé grâce à l'immobilier, aux services, à la finance et au tourisme, l'autre grâce au pétrole dont il assure 80% de la production des Emirats. Mais leur sort est intimement lié. "Le moratoire de Dubaï sera réglé, le risque de défaut est donc très faible", assure Natixis dans un rapport publié ce vendredi. La banque en veut pour preuve les 5 milliards de dollars levés mercredi dernier par Dubaï qui furent immédiatement souscrits par deux banques d'Abu Dhabi, la National Bank et la Al Hilal Bank. Certes, Abu Dhabi a souvent critiqué les excès de son voisin, qui se présente volontiers comme la capitale des Emirats. Mais il sait qu'un effondrement de son économie l'affecterait directement en retour. Reste à savoir toutefois jusqu'où il est prêt à l'aider et à quelles conditions. Il a en effet aujourd'hui entre les mains les moyens de renforcer son pouvoir au sein des Emirats arabes unis, ce qui n'est pas forcément pour lui déplaire. R.I.