Pour les marchés financiers, 2009, nouvelle année de crise, fut une période déroutante. Pour sortir les économies de la récession, pour éviter de revivre le cauchemar de la crise de 1929, les banques centrales, en Europe, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs ont mis en place des moyens inédits. Les vannes du crédit ont été grandes ouvertes. Après avoir ramené les taux d'intérêt directeurs à zéro ou presque, pour permettre aux entreprises et aux ménages de se financer plus facilement, les banques centrales ont employé en 2009 des mesures plus audacieuses encore. Trop audacieuses aux yeux de certains. Et les interrogations se multiplient quant à la tournure des événements en 2010. Les banques centrales sont-elles allées trop loin ? Ben Bernanke, le patron de la Réserve fédérale américaine (Fed), est surnommé "helicopter Ben", car il avait expliqué, en 2004, que pour éviter une déflation, la Fed pourrait "déverser de l'argent aux marchés d'un hélicoptère". A défaut d'hélicoptère, M. Bernanke a opté en mars pour la méthode dite du "quantitative easing". Une politique de création monétaire consistant à faire racheter directement par la Fed les bons du Trésor américains et d'autres titres d'emprunts. Résultat, en quelques mois, le bilan de la Fed est passé de 1 000 milliards à 2 000 milliards de dollars. "La banque centrale américaine est devenue une véritable hedge fund", estime l'économiste Jacques Attali. Si la Banque d'Angleterre (BoE) a suivi la même voie, la Banque centrale européenne (BCE), plus orthodoxe et craignant pour sa crédibilité, n'a pas souhaité aller aussi loin, se contentant de mesures de prêts exceptionnelles. Le plus gros risque est qu'en faisant "fonctionner la planche à billets", les banques centrales alimentent de nouvelles bulles. Et permettent à des liquidités en excès de se nicher artificiellement sur un compartiment de marché (matières premières, immobilier, Bourses). Autrement dit, les politiques monétaires ultra-accommodantes pourraient faire le lit de la prochaine crise. La question est donc de savoir quand et comment faire machine arrière. Comment gérer la sortie de crise ? Au moment où la reprise économique se dessine, les banques centrales cherchent à éponger les énormes quantités de liquidités déversées sur les marchés. Le plus simple serait bien sûr de relever leurs taux d'intérêt directeurs. Mais cette décision risquerait de déstabiliser les marchés financiers, notamment obligataires, et de casser net la reprise. Selon les économistes de Barclays, la croissance en zone euro ne devrait pas dépasser 1,5 % en 2010. Les banquiers centraux en ont conscience, et aux Etats-Unis comme en Europe, ils ont laissé entendre que rien ne serait fait dans la précipitation. Dans ces deux zones, leur stratégie consiste pour le moment à lever en douceur les dispositifs non conventionnels mis en place. Doit-on redouter un krach obligataire ? Si les banques centrales ont inondé les marchés de liquidités, les Etats, de leur côté, ont été contraints de s'endetter dans des proportions jamais vues. Pour sauver les banques de la faillite, soutenir le pouvoir d'achat des ménages, aider les entreprises à boucler leurs fins de mois, ils ont dû dépenser des milliers de milliards de dollars qu'ils ne possédaient pas. Résultat ? Selon l'agence de notation financière Moody's, la dette souveraine mondiale devrait atteindre 49 500 milliards de dollars (33 755 milliards d'euros) d'ici la fin de 2009. Et 2010 ne devrait pas montrer d'amélioration. Pour financer les déficits budgétaires, les Etats vont devoir massivement emprunter. La zone euro devrait ainsi émettre près de 1 000 milliards d'euros de titres souverains et les Etats-Unis plus de 2 000 milliards de dollars. Les investisseurs seront-ils en mesure d'absorber de telles quantités de titres ? Rien n'est moins sûr, surtout s'ils commencent à anticiper un resserrement des politiques monétaires. On risquerait alors d'assister à un krach obligataire, comme en 1994. La zone euro est-elle menacée d'explosion ? C'est "le" scénario catastrophe que personne n'ose envisager. La révélation des difficultés de la Grèce, endettée à hauteur de 113 % de son produit intérieur brut (PIB), a mis au jour les profondes divergences entre pays de la zone euro. D'un côté les mauvais élèves : la Grèce, le Portugal, l'Irlande et l'Espagne, cruellement surnommés les "PIGS" (les cochons, en anglais) en raison de leurs initiales. De l'autre : les pays aux finances publiques en meilleur état, au premier rang desquels l'Allemagne. Sur les marchés, les investisseurs font la différence. La dette grecque est jugée comme un produit à risque et, en fin d'année, les emprunts grecs à dix ans devaient offrir aux investisseurs une rémunération de 2,5 % supérieure aux emprunts allemands. Ces turbulences ont contribué à faire fléchir l'euro, passé de 1,50 à 1,43 dollar en fin d'année. Si les difficultés s'aggravaient ou se multipliaient, les bons élèvent seraient-ils prêts à sauver les mauvais ? Pour l'heure, la BCE, tout en sommant la Grèce de mettre en place une politique de rigueur, a laissé entendre qu'une dislocation de la zone euro était inenvisageable. Que personne ne laisserait tomber personne... M.K