Votée récemment à l'APN et discutée en début de semaine au Sénat, la nouvelle loi sur le cinéma qu'a peaufinée le ministère de la Culture, n'est pas vue de la même manière selon qu'on soit cinéaste qui défend l'Etat providence, ou cinéaste au point de vue libéral. Quelles seraient les visées de cette loi ? On a surtout parlé des articles 5 et 19 dont le premier soumet la production d'une œuvre révolutionnaire à l'approbation du Conseil des ministres et le second qui concerne l'exploitation et la récupération des salles de cinéma par le ministère de la Culture. En clair, si un cinéaste veut faire un film sur la révolution, l'Etat lui donne de l'argent à condition que celui-ci se soumette à une vision officielle de notre révolution. Pas de marge de liberté donc. Idem pour les salles de cinéma dont lesquelles on ne peut projeter un film ci celui-ci n'arrange pas les points de vue officiels, car avoir le pouvoir d'exploiter une salle sombre signifie que le ministère doit délivrer au distributeur ou au réalisateur un visa d'exploitation avant qu'il ne projette son œuvre. Mais cette loi existe déjà, rien de neuf sauf que le département de la Culture ambitionne de remettre sur rail le parc de 3oo salles détournées de leur vocation première. Les films qu'on verra dorénavant, ressembleraient par leur ton guindé à ce qui passe sur notre petit écran. Mais qu'en pensent les professionnels ? Pour Ahmed Rachedi, un cinéaste qui se distingue par les nombreuses œuvres révolutionnaires dont " l'Opium et le bâton" inspiré du roman éponyme de Mouloud Mammeri ou encore plus récemment "Mustapha Benboulaid ", un film qui défend l'ex-parti unique, " c'est l'absence de l'Etat et son désengagement du secteur au cours des dernières décennies qui est à l'origine du déclin du cinéma algérien ". Partisan d'un Etat paternaliste il soutient que "les choses allaient bien lorsque c'était l'Etat qui gérait" l'industrie du film pendant les années 1960 et 1970." Nostalgique, donc tout comme son compère le journaliste et scénariste Boukhalfa Amazit, qui pense que "le désengagement de l'Etat a engendré la "transformation des salles de cinéma en vidéothèques" et "une baisse pour ne pas dire absence de production" de films. Plaidant, lui aussi, pour l'implication de l'Etat dans la relance de l'industrie cinématographique, Amazit voit dans ce retour de la puissance publique un aspect "bénéfique" à condition, tempère-t-il, qu'il soit accompagné de garanties de liberté d'expression, seules à même de libérer la créativité. On a vu que cette liberté serait confisquée si l'Etat payait ! Une loi qui divise Selon le journaliste et ancien directeur de la télévision algérienne, Abdou Bouziane plus connu sous le diminutif de Abdou B, ce retour à l'Etat gestionnaire serait " étouffant". Pour lui cette loi signe le retour d'une vision dépassée qui consacre, paradoxalement, la "centralisation" comme axe de relance du cinéma algérien. "Partout dans le monde où le privé a pris les rênes, le cinéma a été florissant", a-t-il expliqué avant de mettre en garde contre les risques d'"avortement" d'une tentative (la loi) "censée réanimer le cinéma". Si Abdou B. y voit une velléité tendant à "museler le cinéaste", des professionnels à l'instar de Ahmed Rachedi estiment qu'en focalisant sur l'article 5, "on passe à côté de l'essentiel". L'essentiel pour Rachedi, ce sont les mécanismes d'aide, le financement des productions, le statut des cinéastes ainsi que les conditions d'attribution des cartes professionnelles. Autrement dit, l'essentiel ce sont les sources de financement. "L'article 5 ne change rien, l'Etat ayant toujours contrôlé la production cinématographique à travers l'attribution des visas de production et d'exploitation", a-t-il justifié. Pour Abdou B., par contre, tout le débat porte, justement, sur cet article qui, selon ses propres termes, "castre la création et le créateur". "On peut ainsi refuser n'importe quel projet de film sous prétexte d'atteinte aux symboles de la Révolution", a-t-il déploré. Autre sujet de divergence, l'article 19. Accueilli favorablement par certains professionnels, cette disposition ne recueille pas l'agrément de Abdou B qui pense que le ministère ne fera ainsi que favoriser le "fonctionnariat" dans les métiers du cinéma. Car il faut préciser que la gestion, selon cette même loi, des salles de ciné serait donné aux jeunes qui apprendront au préalable ce métier dans des ateliers que le ministère de la Culture mettra à leur disposition. Sur ce point précis,. Amazit émet un avis contraire."La récupération des salles engage des sommes colossales et c'est donc normal que ce soit l'Etat qui prenne en charge leur exploitation et leur gestion", assure-t-il. Pour cet initié, le débat ne s'articule pas autour de savoir qui gère les salles sombres mais sur leur emplacement. "L'Algérie a changé et les lieux de culture ne se réduisent pas à quelques artères réputées du centre d'Alger. Les habitants des lointaines banlieues ont droit eux aussi aux espaces culturels", assène-t-il. "Il faut que le cinéma aille là où se trouve le spectateur et que de nouvelles salles soient réalisées à la périphérie des villes en plus de la réhabilitation des espaces existants", a prôné Amazit. article 19 sur la publicité En plus de récupérer les salles de ciné, l'article 19 propose de passer au retrait de 1 à 5% des recettes publicitaires qui seront directement injectés dans les projets de films révolutionnaires. Des pays comme la Tunisie ou la France l'ont fait avant nous. La ministre de la Culture, Khalida Toumi, première à en faire la proposition, avait demandé de consacrer 5% des recettes publicitaires pour ce faire, précisant qu'en France par exemple ce taux s'élève à 10%. L'article 24 bis 5 de la nouvelle loi ne donne toutefois aucune indication de taux. Si cet article a été accueilli favorablement par les professionnels du secteur, certains parmi eux jugent son contenu "vague". "De quelle publicité parle-t-on? De la presse écrite publique ou privée? De la télévision?", s'interroge Abdou B. tout en précisant que la loi interne de la télévision nationale stipule que ses rentrées publicitaires vont au financement de ses propres productions. Pour sa part, Rachedi avance que ce sont les textes d'application qui devraient éclaircir les zones d'ombre de cet article, qui constitue pour lui une avancée. La ministre de la Culture avait indiqué, le jour même de l'adoption de la loi, que son département travaillera au cours des six mois à venir, à l'élaboration de ces textes d'application. Rachedi a estimé, à ce niveau de l'analyse, qu'il est encore tôt pour juger définitivement cette "loi-cadre" dont beaucoup d'articles "renvoient à la voie réglementaire". Ces lois consacrent-elles le retour en force d'un certain cinéma éculé qui s'inspire du passé et ignore le présent ?