Dariush Mehrjui est l'un des plus anciens cinéastes iraniens en exercice. Son film, La vache, tourné à la fin des années soixante, avait marqué une rupture essentielle par rapport à un cinéma iranien radicalement éloigné de sa société. C'était encore l'époque du shah. Dariush Mehrjui n'avait pas encore trente ans lorsqu'il réalise La vache, œuvre qui souligne les influences esthétiques que le cinéaste cherchait dans le néo-réalisme italien. A l'instauration de la République islamique d'Iran, c'est ce film que le nouveau régime désignera comme modèle à suivre. L'ayatollah Khomeiny lui-même avait été impressionné par ce film qu'il avait vu à la télévision au point de le citer en référence dans un meeting. Un documentaire consacré au cinéma iranien, sur Arte, évoque la personnalité de Dariush Mehrjui qui, au moment où il sortait La vache, était en avance sur son temps. Né en 1940, le réalisateur avait engagé très jeune le combat pour une réapppropriation esthétique du cinéma dont il était persuadé qu'il avait une dimension humaniste. Dariush Mehrjui était fortement décalé par rapport à l'environnement du cinéma en Iran. Après la chute du shah, les Iraniens s'en prirent aux salles de cinéma considérées comme des lieux de perdition dédiés à l'exaltation du vice. L'élévation du niveau culturel des populations était le dernier souci du régime impérial et un cinéaste comme Dariush Mehrjui était vraiment aux antipodes du modèle dominant sous le règne du shah. Le réalisateur, s'il s'exprimait dans une veine réaliste, n'en était pas moins pétri de culture universelle. Dariush Mehrjui était épris des grands classiques de la littérature mondiale dont son œuvre était imprégnée. Il restera un cinéaste à contre-courant même sous le pouvoir des ayatollahs engageant avec des films comme Hamoon (1990), Sara (1993) ou Bemani (2002) une approche critique des tabous encore persistants dans la société iranienne. Dariush Mehrjui, comme ses confrères, avait dû vaincre bien des préjugés nourris par tous ceux qui avaient pensé que le régime des ayatollahs les avait récupérés. Une analyse un peu à courte vue même si le nouveau système s'est soucié de tirer avantage du cinéma. Et de fait, sous l'impulsion de cinéastes émérites tels que Dariush Mehrjui, Abbas Kiarostami ou Mohsen Makhmalbaf, l'Iran a bonifié son image de marque. Le cinéma iranien a décroché des milliers de distinctions dans les festivals internationaux et grâce à lui le drapeau iranien flotte partout dans le monde. Et ce n'est certes l'effet de la complaisance. Les cinéphiles ont retrouvé, dans le cinéma iranien, un désir de décliner le vécu iranien. L'émergence du cinéma iranien a été confortée par la formation de dizaines de milliers de professionnels qui font vivre l'activité cinématographique désormais érigée comme industrie en Iran. Cela constitue une avancée exceptionnelle pour un cinéma quasi inexistant il y a moins de trente ans. Quelqu'un comme Dariush Mehrjui a contribué à cette renaissance et à un tournant esthétique déterminant. La vache n'est peut-être pas un chef-d'œuvre absolu, mais il reste essentiel dans le contexte iranien par les repères thématiques qu'il a posés. Le personnage de Hassan, paysan pauvre, est investi d'une charge symbolique. En écrivant le scénario de ce film, dans les années soixante, Dariush Mehrjui a certainement fondé une source thématique car la structure de son œuvre a suscité un large phénomène d'identification et, d'une certaine manière, de duplication. Sous le shah d'Iran, le cinéma était présenté comme une vitrine libérale d'un pays qui cherchait à s'arrimer à l'Occident. Le shah d'Iran entretenait à grands frais un cinéma dévolu à sa personne et à la famille impériale. C'est dans ce désert intellectuel que sont nées les valeurs d'un cinéma dont il serait réducteur d'affirmer qu'il est marqué au coin de l'ancrage idéologique. Ce sont des cinéastes comme Dariush Mehrjui ou Abbas Kiarostami qui ont rendu possible l'existence du cinéma iranien et l'arrivée de générations de professionnels qui, sans le contexte historique qui a marqué l'Iran dans les années soixante dix, n'auraient jamais franchi le seuil d'un studio. Ces cinéastes ont été, dans leur pays, des acteurs essentiels du changement et ce n'est jamais un posture sans risques.