A l'ombre de la crise de l'huile et du sucre, la polémique n'a cessé d'enfler autour des missions régaliennes de l'Etat et de la régulation du marché. Si aux premières heures de la crise ce sont les pratiques déloyales des grossistes qui ont été mises à l'index, au fil des jours la critique s'est orientée vers les producteurs, ou plutôt vers un producteur en particulier : Cevital. On reprochait au départ au premier groupe privé algérien de se montrer trop "légaliste" en précipitant l'application des nouvelles mesures prévues par les ministères du Commerce et des Finances, exigeant ainsi de ses distributeurs un dossier fournisseur et le paiement par chèque. Il a ensuite été accusé d'avoir augmenté ses prix, chose qu'il a démentie puis de les avoir trop baissés. Aujourd'hui, Cevital est au cœur de la polémique sur le monopole du marché du sucre. Les déclarations ont, d'ailleurs, fusé à ce sujet et c'est un tir croisé qui cible le groupe agroalimentaire. Les responsables du ministère du Commerce n'en démordent pas. Accusant le groupe de dumping, le ministre, Mustapaha Benbada, a indiqué que le groupe Cevital doit fournir des explications au sujet des prix pratiqués sur le sucre et l'huile. Cevital doit également se soumettre et "appliquer" l'article 19 de la loi sur les pratiques commerciales, a précisé le ministre. Cet article interdit de vendre à un prix inférieur au prix de revient. Jeudi, Abdelhamid Boukahnoun, directeur du contrôle économique et de la répression des fraudes au ministère du Commerce, a indiqué que "s'il y a une pratique illicite, nous avons le droit d'intervenir pour faire respecter la réglementation". Mais que reproche-t-on exactement au groupe Cevital ? s'il s'agit de dumping, le patron du groupe a tenu à corriger l'opinion qui prévaut actuellement en indiquant, dans un entretien qu'il a accordé au quotidien électronique TSA, que "Cevital a appliqué scrupuleusement les engagements et l'accord signé le 9 janvier entre les opérateurs et le ministre du Commerce". Et d'ajouter que son groupe a "répercuté intégralement les taxes supprimées par le gouvernement sur le sucre et l'huile, TVA et droits de douanes, sur ses anciens prix du sucre et de l'huile. Cevital vend avec des prix et une marge bénéficiaire correcte ". D'autres voix se sont élevées pour dénoncer le monopole du groupe agroalimentaire, à l'image de la réaction du Parti des travailleurs, de l'Union générale des travailleurs algériens ou encore plus récemment du président de la Chambre algérienne de commerce et d'industrie. Les transformateurs affiliés à l'Association de la filière algérienne des oléagineux parlent, pour leur part, de position dominante. Afin de se faire une idée plus précise de la situation il faudrait se pencher sur la définition de chacune de ces situations. Le monopole est, au sens strict, une situation dans laquelle un offreur est seul à vendre un produit ou un service donné à une multitude d'acheteurs. Ce qui n'est pas le cas sur le marché du sucre, puisqu'il y a quatre producteurs de sucre en Algérie. Cevital, Ouest import qui possède deux raffineries à Mostaganem et Khemis Miliana et Propolis qui a une raffinerie à Guelma.Quant à l'abus de position dominante, c'est une infraction prévue par le droit de la concurrence pour sanctionner une entreprise en situation de domination à cause de son pouvoir de marché, qui profite de sa position pour s'émanciper des conditions que devrait lui imposer le marché. De par les dispositions de la loi sur la concurrence de 2008, un opérateur n'a pas le droit de disposer de plus de 40% de parts de marchés. Aujourd'hui, Cevital, qui en détient quelque 60 %, est accusé d'avoir trop baissé ses prix afin de conserver sa position dominante sur le marché. Accusation contre laquelle le patron du groupe se défend expliquant sa position par son souci de barrer la route au produit provenant des grands pays exportateurs de sucre. Selon le patron du premier groupe privé algérien il ne s'agit pas de discuter de monopole mais plutôt de protection de l'outil de "production nationale", du moment où les pouvoirs publics ont décidé d'ouvrir les portes grandes au sucre blanc raffiné en provenance de l'étranger. "Je n'arrive pas à comprendre la décision du gouvernement de supprimer les droits de douane (30 %) et la TVA (17 %) sur le sucre blanc d'importation alors que l'Algérie est autosuffisante en matière de sucre et n'a pas besoin de recourir à l'importation pour approvisionner le marché. La demande nationale est couverte et nous dégageons des excédents à l'importation. Pour le sucre produit localement, il a supprimé 5 % des droits de douane sur le sucre roux et 17 % de TVA. On ne comprend pas non plus pourquoi le gouvernement a défiscalisé le sucre blanc importé et gardé les taxes à l'importation de l'huile raffinée", a-t-il indiqué à TSA, avant d'ajouter qu'"aujourd'hui, il y a une ruée vers la demande de factures pro forma pour l'importation du sucre étranger. Les exportateurs étrangers veulent inonder le marché national et étouffer les unités de production locale, notamment celles qui n'arrivent pas à produire un sucre de qualité internationale avec un prix compétitif." Estimant que son groupe a les capacités managériales et compétitives nécessaires pour tenir bon face à cette concurrence, Issaad Rebrab prévient que ce sont plutôt les petites unités qui vont payer affirmant que "les exportateurs étrangers allaient inonder le marché national, et que de toute façon, les trois raffineries de Mostaganem, Guelma et Khemis Miliana allaient fermer, parce qu'elles ne pourront supporter la compétitivité internationale, ni en qualité, ni en prix". A en croire donc les propos du P-DG de Cevital, la politique des pouvoirs publics qui, dans un souci de barrer la route au monopole, ont défiscalisé le sucre importé, risque, dans le meilleur des cas, de couler les petites unités de production de sucre, et de fait, renforcer un monopole privé et dans le pire des cas couler la production nationale au profit du monopole des importateurs. Un sérieux revers pour le patriotisme économique !