Dans la foulée de la révolte populaire en Tunisie ayant fait chuter, le mois dernier, le régime du président Zine El Abidine Ben Ali, les mouvements de contestation se succèdent les uns aux autres au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, déclenchant des affrontements violents qui font de plus en plus de victimes. Des contestations populaires contre les régimes autoritaires de Libye, du Bahreïn et du Yémen se poursuivaient hier, réprimées par des démonstrations de force qui ont fait plus de trente morts depuis mardi. Ces révoltes interviennent après l'éviction de deux autocrates depuis la mi-janvier, Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie et Hosni Moubarak en Egypte, qui ont fait naître dans le reste du monde arabe le sentiment que la pression populaire pouvait apporter la démocratisation. En Libye, où le colonel Mouammar Kadhafi règne depuis 42 ans, des violences dans plusieurs villes du pays ont fait au moins 24 tués depuis mardi soir, selon des informations de l'organisation non gouvernementale Human Rights Watch (HRW). HRW, citant des témoins, assure également que les forces de sécurité ont fait des dizaines de blessés en tirant sur des manifestations "pacifiques", à Al-Baïda, Benghazi, Zenten, Derna et Ajdabiya. Décrivant la répression comme "sauvage", Sarah Leah Whitson, responsable de HRW pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, a dénoncé "la brutalité de Mouammar Kadhafi face à toute contestation interne". Selon l'organisation de défense des droits de l'homme, les pires violences ont eu lieu jeudi à Al-Baïda, à 1 200 km à l'est de Tripoli, où l'hôpital a dû faire face à un afflux de dizaines de manifestants blessés par balles. À Bahreïn, royaume pétrolier du Golfe, la monarchie a déployé l'armée dans la capitale Manama, où des manifestants demandent une libéralisation du système politique, dont la majorité chiite se sent exclue. La stabilité de cet archipel est d'autant plus importante pour les Etats-Unis que Manama abrite le commandement de la 5e flotte, chargée en particulier de protéger les routes pétrolières dans le Golfe. La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a appelé les autorités de Bahreïn à respecter leur promesse de demander des comptes à ceux qui font preuve d'une violence excessive envers les manifestants. Vendredi, des milliers de personnes ont participé aux obsèques dans la banlieue de Manama de deux chiites tués la veille dans un raid sanglant des forces de sécurité contre un sit-in de protestation. Les corps d'Ali Khodeir, 53 ans, et de Mahmoud Mekki, 23 ans, étaient enveloppés du drapeau national, et les participants à la procession ont scandé des slogans patriotiques : "Ni chiites, ni sunnites. Unité nationale" ou "sunnites et chiites sont frères". Au total, selon des sources officielles, cinq personnes ont été tuées depuis le début, lundi, de la contestation - qui réclame une monarchie constitutionnelle et un gouvernement élu - et au moins 200 ont été blessés. L'opposition fait état de six morts. Au Yémen, au moins trois personnes ont été tuées et une vingtaine blessées par balles jeudi à Aden, principale ville du sud du Yémen, lors de violents affrontements entre la police et des centaines de manifestants hostiles au régime. Etat pauvre de plus de 23 millions d'habitants, le Yémen est considéré comme un participant stratégique par les Etats-Unis dans la lutte contre les groupes terroristes inspirés par al-Qaïda. Depuis mercredi, au moins cinq personnes ont été tuées à Aden, où l'armée a été déployée, dans des manifestations exigeant le départ du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 32 ans. À Sanaa, les protestataires se rassemblent tous les jours depuis dimanche, en dépit des promesses ces dernières semaines de mesures sociales et économiques, dont une augmentation des salaires. En Iran, des échauffourées ont eu lieu mercredi entre des étudiants pro-gouvernementaux et des partisans de l'opposition à Téhéran, lors d'une procession funéraire pour Sanee Zhaleh, tué par balles dans les manifestations lundi. Des partisans du gouvernement ont appelé à poursuivre en justice et à exécuter les chefs de l'opposition, et certains responsables ont accusé les Etats-Unis et d'autres pays occidentaux d'ingérence dans les affaires intérieures de l'Iran. En Irak, des milliers de personnes sont descendues dans les rues à travers le pays ces deux dernières semaines. Mercredi, deux personnes ont été tuées et 24 autres blessées lorsque des centaines d'Irakiens furieux ont investi des locaux du gouvernement dans la ville de Kut, dans la province de Wasit (est du pays), en signe de protestation contre le manque de services publics, le chômage et les prix alimentaires élevés. Les manifestants s'en sont également pris à la maison du gouverneur de la province Latif Hamad al-Turfah, à laquelle ils ont mis le feu. En Egypte, des ouvriers et des fonctionnaires ont poursuivi leurs grèves et manifestations mercredi, au mépris des appels répétés des autorités au pouvoir qui demandent de mettre fin à l'agitation. Parmi les divers mouvements de protestation survenus dans le pays, l'un d'entre eux s'est produit dans la ville industrielle de Mahalla el-Koubra, dans le delta du Nil, où environ 20.000 travailleurs d'une entreprise textile ont afflué dans les rues, réclamant des augmentations de salaires et une enquête sur la corruption. Pendant ce temps, le Conseil suprême des forces armées, qui assume l'intérim après l'éviction de l'ancien président Hosni Moubarak, a déclaré mardi qu'il transférerait le pouvoir d'ici six mois à une autorité civile à l'issue d'élections libres et équitables. Au moins 365 personnes ont été tuées et 5 500 autres blessées dans les protestations des dernières semaines en Egypte, sans compter les victimes de la police et des forces de sécurité, a fait savoir le ministère égyptien de la Santé. Selon des sources du ministère de l'Intérieur, 32 policiers sont morts et 1 079 ont été blessés lors des manifestations. En Tunisie, qui a été le point de départ de la vague de contestation qui a ensuite déferlé sur l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, les autorités ont levé le couvre-feu nocturne, imposé le 13 janvier à la veille de la fuite du président Zine El Abidine Ben Ali vers l'Arabie saoudite. Cependant, l'état d'urgence, en vigueur depuis le 14 janvier, sera maintenu jusqu'à nouvel ordre, selon l'agence de presse TAP. La vie dans ce pays méditerranéen a pour l'essentiel repris son cours normal. Le gouvernement intérimaire cherche avant tout à stabiliser le pays, en prévision des élections qui seront organisées plus tard cette année.