Les révoltes populaires contre les régimes autoritaires s'étendaient à travers le monde arabe vendredi, jour de grande prière, réprimées par des démonstrations de force qui ont fait plus de 30 morts cette semaine. Ces révoltes s'inspirent de celles qui ont fait tomber Zine El Abidine Ben Ali en Tunisie et Hosni Moubarak en Egypte, faisant naître dans le reste du monde arabe le sentiment que la pression populaire pouvait apporter la démocratisation. En Libye, où le colonel Mouammar Kadhafi règne depuis 42 ans, les comités révolutionnaires, pilier du régime, ont menacé les manifestants d'une riposte "foudroyante", alors que la répression de la contestation a fait au moins 19 morts depuis mardi. Les mouvements de protestations, dont celui de jeudi qui répondait à un appel sur Facebook à une "journée de la colère", ont été violemment réprimés notamment à Benghazi, la deuxième plus grande ville du pays et bastion de l'opposition, et Al-Baïda, toutes deux situés sur la côte, à l'est de Tripoli. Quatorze personnes y ont été tuées jeudi dans des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, selon une source de l'hôpital local. L'organisation Human Rights Watch (HRW) a fait elle état d'un total de 24 morts pour la journée de jeudi, décrivant la répression comme "sauvage" et dénonçant "la brutalité de Mouammar Kadhafi face à toute contestation interne". Selon elle, les pires violences ont eu lieu à Al-Baïda, à 1.200 km à l'est de Tripoli. Trois détenus ont par ailleurs été tués vendredi par les forces de l'ordre alors qu'ils tentaient de s'évader de la prison d'El-Jedaida, près de Tripoli, selon une source au sein des services de sécurité. A Bahreïn, royaume pétrolier du Golfe, la monarchie sunnite a déployé l'armée dans la capitale Manama, où des manifestants demandent une libéralisation du système politique, dont la majorité chiite se sent exclue. Le royaume est d'une importance stratégique pour Washington, servant de quartier général à sa Ve flotte, chargée de surveiller les routes maritimes pétrolières dans le Golfe, soutenir les opérations en Afghanistan et contrer une éventuelle menace iranienne. Craignant l'escalade, le président américain Barack Obama s'est d'ailleurs dit jeudi opposé "à l'usage de la violence par le gouvernement". Vendredi, des milliers de personnes ont participé aux obsèques de quatre chiites tués la veille dans un raid sanglant des forces de sécurité contre un sit-in de protestation. Au total, selon des sources officielles, cinq personnes ont été tuées et au moins 200 blessés depuis le début lundi de la contestation. L'opposition fait état de six morts. La France a annoncé vendredi qu'elle avait suspendu les exportations de matériel de sécurité à destination de la Libye et de Bahreïn. Au Yémen, deux manifestants ont été tués et 27 autres blessés dans une attaque à la grenade vendredi contre des manifestants hostiles au président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 32 ans. La grenade a visé un rassemblement de milliers de personnes qui campaient, pour la septième journée consécutive, sur un carrefour de Taez, à 270 km au sud-ouest de Sanaa. Au moins trois personnes avaient été tuées et une vingtaine blessées par balles dans la nuit à Aden, principale ville du sud, lors d'affrontements entre la police et des centaines de manifestants. Ce bilan porte à sept le nombre des tués depuis le début du mouvement, qui ne faiblit pas en dépit des promesses ces dernières semaines de mesures sociales et économiques, dont une augmentation des salaires. Etat pauvre de plus de 23 millions d'habitants, le Yémen est considéré comme un participant stratégique par les Etats-Unis dans la lutte contre les groupes terroristes inspirés par Al-Qaïda. En Jordanie, huit personnes ont été blessées à Amman lorsque des partisans du gouvernement ont attaqué une manifestation de plusieurs centaines de jeunes appelant à des réformes politiques, selon des témoins. En Irak, dans le nord, le Goran, principale formation d'opposition à l'Assemblée nationale du Kurdistan, a réclamé "une réunion du Parlement (kurde) dans les 48 heures, ainsi que la mise en place d'une commission d'enquête", au lendemain de la mort de deux jeunes gens au cours d'une manifestation hostile au gouvernement régional. Il s'agit des incidents les plus violents dans cette région du nord de l'Irak depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, à la suite de l'invasion menée par les Etats-Unis. Selon un site d'opposition all4Syria.info, qui émet de Dubaï, plus d'une centaine de Syriens ont manifesté jeudi à Damas contre la brutalité policière. Dans le même temps, au Caire, où 18 jours de pression populaire ont provoqué la chute du président Moubarak le 11 février, des centaines de milliers de personnes ont fêté vendredi la fin de l'ancien régime. L'armée, qui n'est pas intervenue contre les manifestants et détient désormais le pouvoir, a suspendu la Constitution et dissous le Parlement, tout en s'engageant à préparer un retour à un pouvoir civil élu. A l'occasion de la grande prière du vendredi sur la place Tahrir au Caire, symbole de la "révolution", le théologien qatari d'origine égyptienne, cheikh Youssef Al-Qardaoui, très écouté dans le monde arabe, a appelé les leaders arabes à ne pas chercher à "arrêter l'Histoire" mais à écouter leurs peuples. En Algérie, l'opposition reste déterminée à redescendre dans la rue samedi à Alger, malgré les promesses du pouvoir d'une levée de l'état d'urgence et de mesures pour répondre aux attentes des Algériens.