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De la production à la distribution : quelle recette pour relancer l'industrie cinématographique ?
La loi sur le cinéma publiée hier
Publié dans Le Maghreb le 07 - 03 - 2011

Votée en janvier dernier par les deux chambres du Parlement, la nouvelle loi sur le cinéma qu'a vivement défendue Khalida Toumi, ministre de la Culture, vient d'être publiée dans le Journal officiel. Quelle est la nouveauté qu'apporte cette loi à une industrie cinématographique qui a volé en éclats dès les années 90, avec les dissolutions en cascades d'entreprises de production publique tels l'Anaf, l'ENPA et le CAAIC ? De façon générale, certaine disposition comme l'octroi de visas d'exploitation, (art 6) l'aide à la production via le FDATIC (Fonds de développement de l'art, de la technique et de l'industrie cinématographiques), (art 30), la validation d'un projet audiovisuel par le ministère de la Culture, (art 7) sont une récurrence. La nouveauté qui ne plaira pas à certains esprits libres, c'est, entre autres, l'article six (art. 6) longuement débattu d'ailleurs et qui stipule que "la production des films relatifs à la guerre de Libération nationale et à ses symboles est soumise à l'approbation préalable du gouvernement." Autrement dit, si un cinéaste présente un scénario qui concerne la guerre, il sera passé à la loupe par une commission du gouvernement installée à cet effet et contenant bien sûr les représentants du ministère des Moudjahidine. Cette loi semble pour certains professionnels trop sévère, mais Khalida Toumi avait son argument qui peut a priori convaincre. "Personne n'a le droit de traîner dans la boue les symboles de la Révolution", avait-elle soutenu. Cet argument existe d'ailleurs dans l'article six (art. 6) de cette présente loi où il est dit que "sont interdits le financement la production, l'exploitation de toute production cinématographique portant atteinte aux religions ou à la guerre de Libération nationale, ses symboles ou glorifiant le colonialisme, ou portant atteinte à l'unité publique…". Un petit rappel important : le président de la République, Abdelaziz Bouteflika avait encouragé, lors de l'un de ces discours, toute initiative cinématographique visant à traiter de la Révolution. Il a même engagé certains secteurs comme le ministère de la Culture ou alors des Moudjahidine à financer à 100% ces chantiers. Fort encouragement autour de sujets qui peuvent dorénavant intéresser beaucoup de cinéastes pour les facilités que cela représente dans les montages financiers. Un film de guerre vaut au bas mot une quarantaine de milliards. "Hors-la-loi" de Rachid Bouchareb a coûté 20 millions d'euros, mais çà c'est une coproduction que l'Algérie a financée à hauteur de 24%. La nouveauté qui doit ravir les sincères défenseurs du 7e art est contenue dans l'article 23 qui stipule que c'est "le ministère de la Culture qui prend en charge la restauration et l'exploitation des salles de cinéma non exploitées." Sujet brûlant d'ailleurs. Juste après l'Indépendance, l'Algérie comptait un peu plus de 400 salles à travers le territoire national, actuellement elle en compte à peu près deux douzaines. La cause, c'est que la plupart de ces espaces que gèrent les collectivités locales ont été fermés ou carrément transformés en commerces, visant exclusivement la consommation. L'article 23 met donc entre les mains du ministère de la Culture le pouvoir de récupérer ces salles, de les rénover et de les donner en gestion comme promis par Khalida Toumi aux jeunes diplômés des universités. Cette loi rétablira a fortiori un réel réseau de distribution sans lequel le cinéma en général perd tout son sens.
Une carte professionnelle
Tous ceux qui travaillent dans l'image et le son auront dorénavant leur carte professionnelle. Grosse nouveauté dans ce milieu. C'est contenu dans l'article 12 qui stipule que "toute personne exerçant une activité cinématographique et répondant aux conditions requises est en droit d'obtenir une carte professionnelle." Cette carte, selon le même article est délivrée, "après avis d'une commission conjointe dont la moitié des membres, au moins, est constituée de professionnels et de personnes exerçant dans le domaine cinématographique. Il est établi une liste des professions et des fonctions qui requièrent la carte professionnelle ci-dessus mentionnée, ainsi que les critères et les conditions d'obtention de celle-ci." Avoir une carte professionnelle quand on travaille dans l'audiovisuel n'est pas facile. Une commission installée par la ministre de la Culture est la seule à juger si oui ou non vous êtes artiste et que vous avez droit à une carte. L'important c'est que cette carte permet d'assurer le personnel et d'exiger à une personne indépendante à son employeur de l'assurer, ce qui est un fait rare dans cette profession.
Des aides
à la production
Autre nouveauté concernant le financement, nerf de l'image et du son. Le Fdatic, nous l'avons dit est l'une des sources, mais sa caisse n'est pas conséquente parce qu'elle est alimentée par une partie de la billetterie. Comme au cinéma tout s'enchaîne, tout est lié : si les salles n'existent presque pas, il n'y a donc pas de vente de billets et par conséquent pas d'argent dans les caisses du Fdatic. Le ministre de la Culture a trouvé une parade : c'est l'article 29. "Un taux des revenus de la publicité est affecté annuellement au profit du compte d'affectation spécial numéro : 302-014, intitulé Fdatic" stipule la loi. C'est donc un autre FDATIC qui proviendrait d'une surélévation des taxes sur la publicité qui passera de 1% à 5%. Ces aides seront apparemment immuables, ne sont variables que les aides qui proviennent des structures étatiques également contenues dans l'article 27 de cette loi. Voilà en gros les grandes lignes de cette nouvelle mouture dont les avantages et même les manques ne peuvent apparemment être palpables que sur le terrain.
Une loi qui divise
En plein débat sur la nouvelle loi sur le cinéma, certains cinéastes ont vite applaudi la nouvelle disposition que proposait la ministre de la Culture, Khalida Toumi mais pas d'autres. Normal. Que pensaient alors les professionnels du secteur, ceux qui sont sur le terrain ? Pour Ahmed Rachedi, un cinéaste qui se distingue par les nombreuses œuvres révolutionnaires dont "l'Opium et le bâton" inspiré du roman éponyme de Mouloud Mammeri, ou encore plus récemment "Mustapha Benboulaid", un film qui défend l'ex-parti unique, "c'est l'absence de l'Etat et son désengagement du secteur au cours des dernières décennies qui est à l'origine du déclin du cinéma algérien". Partisan d'un Etat paternaliste il soutient que "les choses allaient bien lorsque c'était l'Etat qui gérait" l'industrie du film pendant les années 1960 et 1970. Nostalgique, donc tout comme son compère le journaliste et scénariste Boukhalfa Amazit, qui pense que "le désengagement de l'Etat a engendré la transformation des salles de cinéma en vidéothèques" et "une baisse pour ne pas dire absence de production" de films. Plaidant, lui aussi, pour l'implication de l'Etat dans la relance de l'industrie cinématographique, Amazit voit dans ce retour de la puissance publique un aspect "bénéfique" à condition, tempère-t-il, qu'il soit accompagné de garanties de liberté d'expression, seules à même de libérer la créativité. Pour sa part, le journaliste et ancien directeur de la Télévision algérienne, Abdou Bouziane, plus connu sous le diminutif de Abdou B, ce retour à l'Etat gestionnaire serait "étouffant". Pour lui cette loi signe le retour d'une vision dépassée qui consacre, paradoxalement, la "centralisation" comme axe de relance du cinéma algérien. "Partout dans le monde où le privé a pris les rênes, le cinéma a été florissant", a-t-il expliqué avant de mettre en garde contre les risques d'"avortement" d'une tentative (la loi) "censée réanimer le cinéma". Si Abdou B, y voit une velléité tendant à "museler le cinéaste", des professionnels, à l'instar d'Ahmed Rachedi, estiment qu'en focalisant sur l'article 5, "on passe à côté de l'essentiel". L'essentiel pour Rachedi, ce sont les mécanismes d'aide, le financement des productions, le statut des cinéastes ainsi que les conditions d'attribution des cartes professionnelles. Autrement dit, l'essentiel ce sont les sources de financement. "L'article 5 ne change rien, l'Etat ayant toujours contrôlé la production cinématographique à travers l'attribution des visas de production et d'exploitation", a-t-il justifié. Pour Abdou B, par contre, tout le débat porte, justement, sur cet article qui, selon ses propres termes, "castre la création et le créateur". "On peut ainsi refuser n'importe quel projet de film sous prétexte d'atteinte aux symboles de la Révolution", a-t-il déploré. Autre sujet de divergence, l'article 19. Accueilli favorablement par certains professionnels, cette disposition ne recueille pas l'agrément de Abdou B. qui pense que le ministère ne fera ainsi que favoriser le "fonctionnariat" dans les métiers du cinéma. Sur ce point précis,. Amazit émet un avis contraire.
"La récupération des salles engage des sommes colossales et c'est donc normal que ce soit l'Etat qui prenne en charge leur exploitation et leur gestion", assure-t-il. Pour cet initié, le débat ne s'articule pas autour de savoir qui gère les salles sombres mais sur leur emplacement. "L'Algérie a changé et les lieux de culture ne se réduisent pas à quelques artères réputées du centre d'Alger. Les habitants des lointaines banlieues ont droit eux aussi aux espaces culturels", assène-t-il. "Il faut que le cinéma aille là où se trouve le spectateur et que de nouvelles salles soient réalisées à la périphérie des villes en plus de la réhabilitation des espaces existants", a prôné Amazit.


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