Professeur Abderrahmane MEBTOUL* Des instructions viennent d'être données par le gouvernement durant les mois de février et mars 2011 pour que les organismes chargés de l'investissement et l'emploi agréent un maximum de projets avec de nombreux avantages financiers et fiscaux, tout en demandant à des administrations et entreprises publiques déjà en sureffectifs de recruter. Or, il convient de se demander si ces instructions s'insèrent dans une vision globale du développement du pays, si elle concernent des segments porteurs de croissance durable ou ne s'assimilent elles pas à un replâtrage pour calmer le front social grâce selon les données officielles,à plus de 350 milliards de dollars de recettes de Sonatrach entre 2000/2010. Avec cette injection massive de la monnaie sans contreparties productives concernant tant ces projets que les dernières augmentations des salaires qui touchent tous les secteurs , ne faut-il pas s'attendre à un retour en force de l'inflation fin 2011, et surtout son accélération en 2012 nous entrainant dans une spirale infernale de hausse des prix avec pour conséquences à la fois la hausse des taux d'intérêt des banques freinant le véritable investissement et la détérioration du pouvoir d'achat de la majorité des algériens ? I.-Sachant que déjà de nombreuses PMI/PME qui constituent plus de 90% du tissu productif algérien sont en difficultés (bureaucratie, système financier sclérosé, foncier, concurrence de la sphère informelle produit de la bureaucratie qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation ), il convient de se demander si ces jeunes promoteurs ont la qualification et surtout l'expérience nécessaire pour manager les projets, à l'instar de ce qui se passe partout dans le monde, diriger une entreprise dans un cadre concurrentiel afin d'avoir des prix /coûts compétitifs. Le risque n'est-il pas d'assister à un gaspillage des ressources financières en fait de la rente des hydrocarbures et à terme au recours au trésor à l'instar de l'assainissement des entreprises publiques qui ont couté au trésor plus de 50 milliards de dollars entre 1971/2010 et à une nouvelle recapitalisation des banques ? La trajectoire raisonnable, en attendant une véritable relance des segments hors hydrocarbures, n'aurait-elle pas été l'investissement le plus sur dans l'acquisition du savoir faire par une formation additionnelle et des stages pour les préparer sérieusement à l'insertion dans la vie active durablement ? Comment ne pas rappeler que selon les derniers chiffres communiqués par l'Agence de développement des investissements, pour l'ANDI mais cela concerne également l'ANSEJ, courant 2010 reproduits par l'agence officielle APS, pour ce qui est de la répartition des projets par secteurs, c'est celui des transports qui attire le plus d'investissements depuis 2009. Il s'accapare 60% des projets, en majorité des micro- projets, soit près de 43 000 projets. Il est suivi de prées par le secteur du bâtiment, des travaux publics et de l'hydraulique (16 %), du secteur de l'industrie (10 %), celui de l'agriculture (2 %). Et durant la dite période, le montant des investissements étrangers dans le secteur de l'industrie est estimé par l'ANDI, à un montant dérisoire pour ne pas dire nul à 88 millions de dinars (moins de 1 million d'euros) et d'une manière générale les investissements directs étrangers restent insignifiants (4 projets en 2009 depuis les dernières mesures) en comparaison de ce qui est enregistré chez nos voisins et surtout, en rapport avec le potentiel national et des efforts gigantesques en investissements publics. Les grandes firmes choisissent de s'installer chez nos voisins et vendre chez nous. La LFC 2009 et ses mesures jugées trop protectionnistes par les investisseurs étrangers ne sont pas faites pour donner de l'élan aux IDE. D'une manière générale, les résultats des organismes chargés de l'emploi (ANDI 'ANSEJ, CNAC-) en référence aux projets réalisés et non en intention représentant environ 30%, sont mitigés malgré les nombreux avantages accordés. Comme selon certaines sources, plus de 50% des projets réalisés sont abandonnés après avoir bénéficié des avantages accordés, et les nombreux litiges auprès des banques de non remboursement l'attestent. Or, avant de lancer dans une opération avantureuse, un bilan serein implique de répondre à dix questions et ce d'une manière précise et quantifiée. II.-Quel est le bilan de l'ANDI- CNAC , ANSEJ depuis leur existence dans la réalisation effective de ces projets et non de dossiers déposés et le statut juridique? - quel est le temps imparti pour les projets réalisés entre le moment du dépôt et la réalisation effective, le principal défi du XXIème siècle étant la maîtrise du temps ? .-pour les projets réalisés combien ont fait faillite selon les règles du code de commerce ? -quelle est la part en devises et en dinars des projets réalisés afin de dresser la balance devise ? -quel est le niveau d'endettement bancaire des projets réalisés avec le montant des créances douteuses ? - la ventilation des crédits bancaires par projets ? .-quel est le montant exact des avantages fiscaux accordés tant pour les projets que ceux réalisés ? -quelle est la contribution à la valeur ajoutée réelle du pays des projets réalisés ? -enfin ces projets et ceux réalisés s'insèrent -ils dans le cadre des valeurs internationales dans la mesure avec la mondialisation, malgré la crise, nous sommes dans une économie ouverte du fait des engagements internationaux de l'Algérie ? - la ventilation des postes de travail avec le niveau de qualification des projets et ceux créés dans la mesure où le développement du XXIème siècle repose sur la valorisation du savoir. III. Concernant l'aspect macro-économique global, il existe une loi universelle : le taux d'emploi est fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité relevant d'entreprises compétitives et l'on ne crée pas des emplois par des décisions administratives. Le taux de chômage officiel de 11% est fortement biaisé incluant les sureffectifs tant des administrations que des entreprises publiques, des emplois temporaires fictifs ( 5 mois non créateur de valeur ajoutée comme par exemple pour faire et refaire des trottoirs) et les emplois dans la sphère informelle. En réalité il est supérieur à 20% et certaines wilayas déshéritées connaissant des taux de chômage réel de plus de 40%.Paradoxalement du fait de l'allocation sectorielle d'investissement via la dépense publique, fortement biaisée privilégiant les emplois à très faibles qualification comme le BTPH (70% de la dépense publique), les diplômés ont plus de chance d'être chômeurs expliquant le faible taux e croissance et l'exode des cerveaux. Que deviendront les 1,5 million d'étudiants sortis des universités en 2015 ? Dès lors se pose cette question stratégique : cette faiblesse du dépérissement du tissu productif en Algérie n'explique -t- elle pas que le taux de croissance n'est pas proportionnel à la dépense publique 200 milliards de dollars entre 2004/2009, 286 entre 2010/2014 avec 130 milliards de dollars de restes à réaliser des projets 2004/2009(quel gaspillage) et pourra-t-on créer entre 20009/2014, 200.000 PME/PME et trois (3) millions d'emplois ? Doit-on continuer dans cette trajectoire où les dépenses ne sont pas propositionnelles aux impacts ? Aussi, pour se faire une idée du bilan nécessaire et afin de dépasser l'entropie actuelle, il y a lieu d'évaluer : - son impact sur le taux de croissance, le taux de chômage et le pouvoir d'achat des citoyens : enquêtes entre la répartition du revenu et modèle de consommation par couches sociales pour déterminer l'indice de concentration en termes réels et non fictifs et selon une vision dynamique à moyen et long terme pour préparer l'après hydrocarbures; - de distinguer au sein des investissements nettement la partie devises et la partie dinars ;- la part des marchés octroyés aux étrangers (ont-ils contribué à l'accumulation du savoir faire organisationnel et technologique ou est-ce des contrats clefs en main) avec leur apport en fonds propres et la part couverte par les banques algériennes ; -le flux de l'investissement direct étranger plus transfert de capitaux vers l'Algérie, le seul document opératoire étant la balance de paiement mais également la sortie de capitaux en dehors de l'Algérie;-la part des marchés octroyés aux nationaux (privé et public), en distinguant également l'autofinancement et les emprunts auprès des banques et surtout leurs capacités de réalisation, supposant à l'avenir pour l'octroi de marché à des étrangers l'urgence du transfert technologique et managérial évitant ce mythe du respect des délais sans ce transfert. Par ailleurs, le bilan implique de retracer l'utilisation des recettes d'exportation, qui ont été entre 2000/2010 selon les estimations du ministère de l'énergie MEM d'environ 350 milliards de dollars surtout de Sonatrach (98% du total) c'est-à-dire de raisonner en flux car les entrées se font périodiquement et dans ce cadre évaluer les réserves tant du pétrole que du gaz en termes de rentabilité financière ( couple coût prix international). IV-En résumé, la majorité des observateurs nationaux et internationaux convergent vers ce constat : la réforme globale source de croissance durable est en panne. Le constat est que durant cette période de transition difficile d'une économie étatisée à une économie de marché concurrentielle et l'Etat de droit est que les réformes sont timidement entamées malgré des discours que contredisent journellement les pratiques sociales. Les banques, lieu de distribution de la rente, continuent de fonctionner comme des guichets administratifs, et du fait des enjeux des réformes souvent différées s'attaquant plus aux aspects techniques qu'organisationnels, alors qu'elles sont le moteur des réformes, la privatisation et le partenariat comme moyens d'investissement et de valeur ajoutée piétinent faute de cohérence et de transparence ; la facture alimentaire est élevée malgré le fameux programme agricole (PNDA) dont il conviendra de faire le bilan du fait de plusieurs milliards de dollars de dépenses, et la bureaucratie et la corruption continuent de sévir. Comme conséquence, résultat de la pratique de plusieurs décennies et non seulement de la période actuelle, nous assistons à des tensions à travers toutes les wilayas contre la hogra- la corruption, la mal vie, d'une jeunesse dont le slogan " nous sommes déjà morts " ce qui traduit l'impasse du système économique à générer une croissance hors hydrocarbures, seule condition pour faire face à ce malaise social. Du fait que la crise multidimensionnelle que traverse la société algérienne est systémique, cela dépasse le cadre strictement économique, renvoyant à des aspects politiques impliquant une gouvernance renouvelée et donc la refondation de l'Etat si l'on veut éviter à terme une implosion sociale aux conséquences désastreuses pour le pays. *Expert nternational NB- Le professeur Abderrahmane Mebtoul a dirigé avec une équipe pluridisciplinaire complexe composée d'économistes, de sociologues et de démographes entre 2007/2008 un important audit pour les pouvoirs publics sur le thème - problématique de l'emploi et des salaires (huit volumes 980 pages).