La commune de Sebt Aziz est déjà loin derrière nous, et notre véhicule cahote sur la route étroite et dégradée qui serpente la montagne. Les rares habitations disséminées sur les bas côtés se confondent avec le sol brûlé par le soleil.Nous faisons halte à Kherba, un boyau urbain miséreux de 4 000 âmes. Le contact est difficile avec une population réglée sur la loi de l'omerta imposée durant les années 1990 par les sbires de l'émir Saouane. On comprend dès lors le mutisme et le silence sépulcraux de la contrée. Le terrain escarpé, très raviné, ne favorisant pas l'agriculture les gens survivent avec quelques moutons, quelques poules. D'autres, par contre, tentent l'aventure des grandes villes. Un trajet de 10 km sur une route en lacets nous a conduits à Derrag. A l'entrée du village, le cimetière des martyrs, parmi lesquels un parent de Kasdi Merbah. Il est à peine 11 heures et les rues sont déjà désertes, en synergie avec l'aridité polymorphe des lieux. Ici, on ressent durement les effets combinés de l'enclavement et des disparités. Les programmes de développement n'ont pas daigné répondre à la vocation de Derrag, qui semble avoir laissé filer entre ses doigts la céréaliculture, l'arboriculture fruitière, et l'élevage bovin. En 1990, le village était déjà un réservoir de frustration et de mécontentement sociaux ravalés. Des jeunes sans emploi, rêvant de consommer, de se marier, d'avoir un logement, et n'ayant connu que l'univers sordide et brutal du désoeuvrement, ont mis leurs pas dans ceux de l'émir Abdelkader Saouane, un Rastignac intellectuel, directeur d'école à Kherba-Siouf. C'est l'embrassement au sud-ouest de Médéa, à Tissemsilt et Aïn-Defla. Le quadrilatère de Djbel Ellouh. A l'époque , la commune de Derrag comptait 13 000 habitants. Près de 7 000 familles rurales des Meroudj, Tifran, Aïn-Frour, Matmata l'ont désertifié, pour s'éparpiller entre Ksar El-Boukhari, Khemis Miliana et Blida. Un exode inédit, celui des populations qui ont refusé de payer " l'impôt religieux ", et souscrire à l'équipe barbare des longs couteaux. Des douars totalement coupés du monde, mais véritable paradis insulaire, encore dépeuplé. Certes, des projets ont été réalisés dans le cadre des programmes destinés à favoriser le retour des familles déplacées, mais le déclic est toujours attendu.A Derrag, on insiste surtout sur le logement social, les routes secondaires, l'exploitation du gisement de la pierre taillée, une unité pour la Protection civile, et des infrastructures sportives. Une page est tournée, et une pensée pour Mokhtar Guedouar, tombé sous les balles terroristes.