L'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, 66 ans, a quitté, avant hier soir, le nord ivoirien et était en route pour la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, près de huit mois après avoir plongé le pays dans une crise meurtrière en refusant de céder le pouvoir. M. Gbagbo, attendu dans la nuit aux Pays-Bas, sera le premier ex-chef d'Etat à comparaître devant la CPI qui, créée en 2002, est le premier tribunal international permanent chargé de poursuivre des auteurs de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Ce transfert intervient à une dizaine de jours des élections législatives du 11 décembre, et alors que la réconciliation entre le camp Gbagbo et celui du nouveau président Alassane Ouattara patine, après la crise post-électorale de décembre 2010-avril 2011 qui a fait quelque 3 000 morts. Interrogé sur le transfert vers La Haye de M. Gbagbo, le procureur d'Abidjan Simplice Kouadio Koffi a déclaré: "Laurent Gbagbo est parti depuis 18H21" (locales et GMT). Selon un communiqué du parquet ivoirien lu sur la télévision publique, ce magistrat était, avant-hier, à Korhogo (nord), où M. Gbagbo était détenu dans une résidence depuis avril, pour lui notifier, "en présence de ses avocats", le mandat d'arrêt émis par les juges de la CPI le 23 novembre. "En exécution de ce mandat d'arrêt, M. Laurent Gbagbo a été transféré" à la CPI, a ajouté le parquet. Selon une source proche du dossier, après une étape dans la soirée à Abidjan, l'ancien président devait atterrir dans la nuit à l'aéroport de Rotterdam (ouest des Pays-Bas). Il devait être remis aux autorités néerlandaises chargées de son transport jusqu'au centre de détention de la CPI à Schveningen, le quartier balnéaire de La Haye. Un cortège de plusieurs véhicules, notamment des Forces républicaines (FRCI, nouvelle armée ivoirienne) et de l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci), avait conduit M. Gbagbo du palais de justice de Korhogo jusqu'à l'aéroport où l'attendait, à la nuit tombée, un avion affrété par les autorités ivoiriennes. A la demande d'Alassane Ouattara, la CPI conduit depuis octobre sa propre enquête sur des crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis pendant la crise née du refus de M. Gbagbo de reconnaître sa défaite à la présidentielle de novembre 2010, et qui s'est conclue par deux semaines de guerre. Les forces pro-Gbagbo comme les ex-rebelles pro-Ouattara et leurs alliés sont pointés du doigt. Avant même le transfert, les Etats-Unis ont jugé que M. Gbagbo "doit rendre des comptes pour les atteintes aux droits de l'homme qu'il a pu commettre", estimant que "tout procès crédible et transparent" est "certainement constructif dans l'optique de la réconciliation". A l'inverse, Me Lucie Bourthoumieux, l'une des avocates de M. Gbagbo, a affirmé que le mandat d'arrêt de la CPI était "illégal" et qu'il allait "exacerber les antagonismes entre toutes les parties". Arrêté le 11 avril à Abidjan et détenu ensuite à Korhogo, fief de son rival, Laurent Gbagbo, de même que son épouse Simone qui est en détention à Odienné (nord-ouest), a été inculpé en août par la justice ivoirienne pour "crimes économiques" commis durant la crise. Dans le cadre des mêmes enquêtes nationales, plusieurs dizaines de personnalités du régime déchu, des civils et des militaires, sont détenues pour crimes de sang, "atteinte à l'autorité de l'Etat" ou "crimes économiques". Parmi elles, l'ex-Premier ministre Gilbert Aké N'Gbo et plusieurs anciens ministres, le fils de l'ex-président, le Franco-Ivoirien Michel Gbagbo, le chef du Front populaire ivoirien (FPI, ex-parti au pouvoir) Pascal Affi N'Guessan, et plusieurs poids lourds de l'appareil sécuritaire de l'ancien régime. Lors d'une visite à Abidjan le 15 octobre, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, avait promis une enquête "impartiale" et indiqué qu'il ciblerait de "trois à six" personnes ayant les plus lourdes responsabilités dans les crimes. Du côté des nouvelles autorités, on ne cachait pas depuis plusieurs semaines son impatience de voir Laurent Gbagbo transféré à La Haye, présentant parfois cet éloignement comme une condition de la réconciliation voulue par le pouvoir. Mais le camp Gbagbo, qui dénonce une "justice des vainqueurs" car aucun responsable pro-Ouattara n'a été inquiété, a toujours fait de la libération de son champion une exigence pour un apaisement. Il a invoqué notamment la détention de nombre de ses figures pour boycotter les législatives. Moreno-Ocampo : l'arrestation de Gbagbo n'est qu'un début D'autres responsables ivoiriens devront rendre des comptes devant la justice internationale, l'arrestation du président déchu ivoirien Laurent Ggagbo n'étant qu'un début, a déclaré, hier, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) Luis Moreno-Ocampo. Ceci est le premier dossier en Côte d'Ivoire. Ce ne sera pas le dernier, ce n'est que le début, a déclaré M. Moreno-Ocampo dans un entretien. Transféré dans la nuit de mardi à mercredi. à La Haye où il a été écroué M. Gbagbo, est sous le coup d'un mandat d'arrêt pour crimes contre l'humanité. Il est soupçonné de meurtres, viols et d'autres violences sexuelles, d'actes de persécution et d'autres actes inhumains lors des violences post-électorales de 2010-2011. Justice sera faite pour les victimes ivoiriennes de crimes commis à grande échelle : M. Gbagbo est le premier à devoir rendre compte de ses actes. Il ne sera pas le dernier, avait déclaré M. Moreno-Ocampo, hier matin, dans un communiqué. L'enquête suit son cours. “Nous continuerons de recueillir des éléments de preuve en toute impartialité et en toute indépendance, et nous saisirons la Cour d'autres affaires, quelle que soit l'affiliation politique des personnes concernées”, avait ajouté M. Moreno-Ocampo, selon lequel il apparaît que des crimes ont été commis dans les deux camps. “Nous avons beaucoup travaillé à Abidjan, c'est pourquoi nous avons été aussi rapides”, a précisé M. Moreno-Ocampo, que les juges avaient autorisé le 3 octobre à enquêter en Côte d'Ivoire. Nous avons bien organisé les choses, nous avons identifié des témoins et envoyé une équipe à Abidjan : en une semaine, nous avons mené tous les interrogatoires nécessaires pour compléter les investigations, a-t-il expliqué. Le procureur a salué la bonne coopération avec le procureur général ivoirien. Ils ont interrogé plus de 160 victimes et nous ont donné une énorme quantité d'éléments de preuve, a souligné le magistrat argentin. Laurent Gbagbo, dont le refus de céder le pouvoir à Allassane Ouattara, vainqueur de l'élection présidentielle de novembre 2010, avait plongé le pays dans une crise meurtrière qui avait fait 3.000 morts, est le premier ex-chef d'Etat à être remis à la Cour, entrée en fonction en 2002 à La Haye. Le porte-parole de l'ancien président ivoirien, Justin Koné Katina, a affirmé, hier, que le transfert de Laurent Gbagbo à La Haye consacrait la victoire de la corruption et de la magouille. “Nous constatons aujourd'hui la victoire de la corruption, de la magouille, des réseaux au détriment de l'Etat”, a-t-il déclaré depuis son exil au Ghana.