Face à une crise de l'euro toujours plus menaçante, la chancelière allemande, Angela Merkel tente de reprendre la main en ouvrant le chantier à long terme du projet européen mais refuse obstinément des mesures conjoncturelles à court terme. "Nous avons besoin de plus d'Europe d'une union budgétaire et nous avons besoin avant tout d'une union politique", a-t-elle déclaré, jeudi matin, à la télévision publique allemande, allant jusqu'à violer le tabou d'une Europe à deux vitesses, si certains pays ne voulaient pas suivre. Mais les propositions économiques mises sur la table sont très loin des mesures immédiates attendues à Londres, Paris ou Washington pour ranimer la conjoncture économique et alléger le fardeau des pays européens les plus en difficulté. Le discours de Merkel sur l'union politique et l'Europe à deux vitesses, "c'est très bien joué", a commenté un diplomate européen à Berlin. "Elle dégage le plus loin possible, car l'union politique c'est pour dans dix ans, et en même temps elle évite d'apparaître comme " la poupée qui dit non "". Eloge de la discipline "Mais ce n'est pas de cela que nous allons discuter fin juin", a-t-il dit. Il a par ailleurs critiqué le programme pour l'Europe présenté par Berlin cette semaine, un document de huit pages qui fait l'éloge de la discipline budgétaire et des réformes structurelles sur le modèle allemand pour flexibiliser les marchés du travail. Ce texte, conformément aux dernières prises de position de Mme Merkel, rejette à "dans de nombreuses années" la perspective des euro-obligations, réclamées par le président français François Hollande pour mutualiser la dette. Même chose pour l'union bancaire, dont on pourrait tout de même commencer à discuter. Rejet catégorique de toute intervention de la Banque centrale européenne (BCE) pour stimuler la croissance et de toute intervention directe des fonds de secours européens pour aider les banques en difficulté. Les divergences restent profondes avec les partenaires européens, à l'instar de la France, qui réclament des mesures conjoncturelles et plus de solidarité de la part des pays les plus solides. Quand la catastrophe approchera... "L'idée de la chancelière est qu'il ne faut rien céder avant les élections législatives en Grèce" du 17 juin, estime Thomas Fricke, chef économiste du Financial Times Deutschland. "Elle ne veut surtout pas envoyer le signal que les partis extrêmes dans ce pays ont raison de faire pression sur Berlin" pour obtenir des aménagements du plan de rigueur de la Grèce. Mais il se dit confiant que la chancelière finira par agir. "On ne sait pas ce qu'elle est prête à faire, mais quand la catastrophe approchera, elle infléchira sa position au dernier moment comme elle l'a fait en mai 2010, quand, voyant arriver l'implosion du système, elle a soutenu l'idée d'une aide à la Grèce", assure-t-il. Pour le quotidien Tagesspiegel, la chancelière, pressée de toute part, y compris par l'opposition de gauche dans son pays, doit composer avec une opinion publique réticente. Convaincus d'avoir fait les réformes douloureuses oubliées par les autres, les Allemands rechignent à payer pour eux. "L'étirement en longueur du drame européen fait partie intégrante de la politique de sauvetage" de la chancelière, estime le journal. "Elle sait que les Allemands veulent sauver l'euro mais pas à n'importe quel prix. Plus la crise sera profonde, plus ils y seront disposés". Jusqu'à présent, l'Allemagne, en quasi plein emploi, a échappé aux effets de la crise grâce à sa puissance industrielle exportatrice qui a trouvé des débouchés dans les pays émergents. Mais la chute des partenaires européens et le ralentissement aux Etats-Unis ainsi que dans les grands pays émergents ne manquera pas de la toucher. Certains observateurs y voient le meilleur moyen de faire bouger la chancelière.