Le parti d'Erodgan l'AKP obtient avec 46,6% des voix un résultat historique puisqu'il avait été élu en 2002 avec 34,4% et que cela fait maintenant 52 ans qu'un parti d'un pouvoir sortant n'a pas été confirmé aux affaires en faisant en plus mieux que lors de son arrivée au Gouvernement. L'opposition laïque accusait l'AKP, le parti de la justice et du développement de vouloir supprimer la stricte séparation entre la religion et l'Etat, en vigueur en Turquie. Une laïcité défendue par la puissante armée turque. Sur le sujet, Erdogan se montre ambigu. Officiellement, il n'a pas de programme islamiste. Mais sa femme porte le voile, tout comme ses deux filles qui étudient aux Etats-Unis. Si elles fréquentaient une université turque, elles devraient retirer le foulard. Recep Erdogan n'a jamais osé défier l'armée en autorisant le voile, ou en faisant voter une loi pour criminaliser l'adultère. L'argument de la séparation entre la religion et l'Etat n'a pas été entendu par la population turque, qui a opté pour la stabilité. Il faut dire que Recep Erdogan recueille les fruits d'une forte croissance économique, de l'amélioration du niveau de vie, et d'une baisse de l'inflation. Il a promis de poursuivre les réformes économiques dans la perspective d'une adhésion à l'Union européenne. Mais la grande inconnue de cette législature qui s'ouvre est en fait l'attitude de l'Armée qui n'est pas prête à accepter un Président issu des rangs de l'AKP. Tous les regards sont donc tournés maintenant vers cette élection car l'AKP renforcée va être tentée bien entendu d'élire un Président issu de ses rangs. Le score de l'AKP sonne comme un plébiscite pour Recep Tayyip Erdogan. Le premier ministre avait mis dans la balance, mardi, son retrait de la vie politique en cas de défaite. Mais dimanche soir, à Ankara, devant quelques milliers de fidèles scandant "La Turquie est fière de toi !", M. Erdogan pouvait savourer son triomphe. "C'est votre démocratie qui est sortie renforcée, a-t-il lancé. Ces résultats font porter encore plus de responsabilités sur nos épaules. Nous allons continuer à travailler pour atteindre notre objectif: une Turquie puissante et prospère. Et l'adhésion à l'Union européenne." Jamais un parti sortant n'avait été réélu avec une telle marge sur ses adversaires. Le score de l'AKP, en hausse de 13 points par rapport à 2002, progresse dans toutes les régions, de la très laïque Izmir aux confins du Sud-Est. Sa base électorale, populaire et conservatrice, s'est considérablement élargie. Les milieux d'affaires ou encore les communautés chrétiennes ont soutenu à mots couverts le parti sortant. "C'est la première fois que des chrétiens votent pour des soi-disant islamistes", note Raffi Hermonn, vice-président de l'association des droits de l'homme et d'origine arménienne, qui veut désormais croire à une normalisation des rapports entre les minorités non-musulmanes et l'Etat. "C'est une grande victoire pour l'AKP, analyse Ahmet Insel, professeur à l'université Galatasaray. Elle est pour moitié de leur fait: ils ont réussi à attirer des sociaux-démocrates et des gens du centre-droit. Et pour moitié du fait de l'échec de la stratégie de déstabilisation menée par les militaires et la bureaucratie pour créer un sentiment de peur et coaguler les votes autour du CHP. Ces résultats montrent qu'il y a en Turquie un réflexe démocratique, car c'est le parti le plus proche des positions civiles qui a gagné." De son côté, le camp kémaliste, qui nourrissait de grands espoirs, est déconfit. Le CHP (Parti républicain du peuple), parti de l'appareil étatique fondé par Mustafa Kemal, n'est pas parvenu à rassembler au-delà de son électorat traditionnel, avec 20,85 % des voix. Et les manifestations antigouvernementales qui ont germé au printemps dans les grandes villes turques ne semblent pas avoir eu d'effet dans les urnes, signe que les électeurs n'ont pas jugé sérieuses les craintes d'une islamisation du pays et d'une remise en cause de la laïcité par le parti au pouvoir. "Il faut avouer que c'est presque la Berezina, admet Bedri Baykam, écrivain et militant pugnace du CHP. Nous n'avons pas réussi à surmonter le facteur Deniz Baykal [le leader du CHP]. Ce parti est géré comme un parti fasciste : comment peut-il convaincre qu'il est pour la démocratie s'il ne l'applique pas dans ses propres rangs ?" Chez ses partisans démobilisés, Deniz Baykal affrontait, dès dimanche soir, des appels à la démission.