Le pétrolier russe Rosneft a annoncé, avant-hier, qu'il allait racheter la totalité de la coentreprise TNK-BP, dans une transaction chiffrée par son président à 61 milliards de dollars qui devrait faire du groupe public le premier producteur d'or noir coté en Bourse dans le monde. Troisième producteur russe de pétrole, TNK-BP avait été créé en 2003 par BP et le consortium d'oligarques russes Alfa Access Renova (AAR). Mais la coentreprise était engluée dans un conflit entre actionnaires depuis la signature en janvier 2011 d'une alliance entre BP et Rosneft pour explorer l'Arctique, qui a finalement échoué en raison de l'opposition d'AAR à cet accord. Après des mois de spéculation, BP a annoncé, avant-hier, être parvenu avec un accord pour vendre sa part à Rosneft, qui devrait lui permettre également de prendre à terme 18,5% du groupe public russe et de recevoir 12,3 milliards de dollars. BP va dans un premier temps recevoir 17,1 milliards de dollars en numéraire et des actions représentant 12,84% du capital de Rosneft. Il a ensuite l'intention d'utiliser 4,8 milliards de dollars pour racheter 5,66% supplémentaires de Rosneft à l'Etat russe, portant ainsi sa participation totale à 19,75%, compte tenu des 1,25% qu'il possédait déjà. Cette participation sera achetée à la Russie au prix de 8 dollars par action, soit une prime de 12% par rapport au cours de clôture du 18 octobre. L'accord a été annoncé à l'issue d'une rencontre entre le président russe Vladimir Poutine, et le président de Rosneft Igor Setchine, dans la banlieue de Moscou. L'homme fort du Kremlin a salué l'accord, estimant qu'il était bon pour l'économie russe. J'espère que (Rosneft) parviendra à bâtir des relations de partenaire avec l'un de ces futurs principaux actionnaires, a-t-il déclaré, en référence à BP et aux conflits entre BP et AAR. Cette compagnie travaille depuis longtemps chez nous, elle s'est montrée sous un jour positif, a-t-il ajouté. Rosneft a parallèlement annoncé s'être mis d'accord avec les actionnaires russes pour reprendre leur participation pour 28 milliards de dollars en numéraire. Cette nationalisation géante a été chiffrée à 61 milliards de dollars par M. Setchine, un proche de M. Poutine, ce qui en fait selon lui la troisième plus grosse fusion-acquisition de tous les temps dans le secteur énergétique, après la fusion entre les américains Exxon et Mobil et l'absorption d'Elf par Total. Elle propulse Rosneft, détenu à 75% par l'Etat russe, à la première place des producteurs de pétrole cotés en Bourse dans le monde, devant l'américain ExxonMobil ou le chinois Petrochina. Sa production, de plus de 4 millions de barils par jour, représente environ 40% de la production quotidienne de la Russie. Elle renforce aussi selon certains analystes l'emprise du Kremlin sur le secteur énergétique russe, le président s'étant personnellement impliqué dans les négociations. Pour BP, l'opération permet de solder une aventure très juteuse financièrement mais qui avait fini par le paralyser en Russie. Ses déboires étaient devenus l'un de ses principaux problèmes avec l'explosion en avril 2010 de sa plate-forme Deepwater Horizon et la marée noire dans le golfe du Mexique qui avait suivi. Le groupe britannique a dit s'attendre à obtenir deux sièges sur neuf au conseil d'administration de Rosneft. TNK-BP a été un bon investissement et nous posons désormais les nouvelles bases de notre activité en Russie, a commenté Carl-Henric Svanberg, président de BP. Les deux parties ont désormais une période d'exclusivité de 90 jours pour aboutir à un accord définitif. Elles devront par la suite obtenir divers feux verts gouvernementaux et réglementaires pour une finalisation attendue au premier semestre de 2013. La Russie renforce son emprise sur le secteur énergétique Le rachat de TNK-BP par Rosneft renforce sa position de géant dans le secteur de l'énergie et révèle l'emprise de plus en plus forte de l'Etat russe dans un pays aux gigantesques ressources d'hydrocarbures, très convoitées. L'opération représente la plus importante nationalisation dans le secteur des ressources depuis une décennie, soulignaient la semaine dernière les analystes de la Société Générale. Vladimir Poutine, s'était personnellement impliqué dans les négociations, organisant des rencontres en septembre entre M. Setchine, l'un de ses proches, et les dirigeants du britannique BP, qui détient actuellement la moitié de la coentreprise. Avec TNK-BP, Rosneft représentera à lui seul environ 40% de la production de la Russie, pays qui dispute à l'Arabie saoudite le titre de premier pays producteur de brut de la planète. La Russie pourrait maintenant manipuler l'offre de pétrole dans un objectif politique, comme elle l'a fait dans le passé avec le gaz, a prévenu Cliff Kupchan, analyste d'Eurasia Group basé aux Etats-Unis. Ce n'est pas la première fois que Rosneft profite des déboires de ses concurrents privés. En 2007, il s'était adjugé la part du lion dans le démantèlement de Ioukos, placé en liquidation judiciaire à la suite d'un procès retentissant pour fraude fiscale et escroquerie. L'affaire a été dénoncée comme une opération inspirée par le Kremlin pour reprendre le contrôle de précieux actifs pétroliers et mettre au pas le patron de Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, toujours emprisonné. L'opération s'inscrit dans la stratégie du gouvernement russe d'inverser le mouvement de privatisation des ressources de pétrole et de gaz des années 1990, a relevé Andreï Goloubov, professeur de finance à la Cass Business School à Londres. L'expert s'est dit en revanche surpris que la Russie permette au britannique BP de monter à près de 20% de son géant pétrolier. Le britannique ne disposera cependant que d'un poids décisionnaire limité: il s'attend à obtenir deux sièges au conseil d'administration, qui en compte neuf. Les pouvoirs publics russes ont une forte confiance en la capacité des sociétés publiques à obtenir de bons résultats, a estimé Ilda Davletchine, analyste chez Renaissance Capital. Mais étant donné les difficultés croissantes à remplacer des champs pétroliers qui arrivent à épuisement, les compagnies multinationales vont probablement aussi pouvoir renforcer leur présence en apportant leur expertise critique pour le développement de nouvelles ressources, a-t-il tempéré. De nombreux analystes estiment que l'accord avec Rosneft pourrait permettre à BP de relancer ses projets d'exploration dans l'Arctique, souvent présentée comme une terre promise aux ressources abondantes mais difficiles à exploiter.