La France envisage fortement de créer des sociétés publiques à 51% pour exploiter les barrages hydroélectriques actuellement dans le giron d'EDF et GDF Suez, au lieu d'un appel d'offres réclamé par Bruxelles, un nouveau rebondissement dans le feuilleton de la mise en concurrence de ce secteur très convoité. Cette option des sociétés d'économie mixte (au capital partagé entre sphère publique et secteur privé), défendue notamment par le ministre de l'Energie Philippe Martin et par l'influent député socialiste de l'Isère François Brottes, est celle qui a été privilégiée lors d'une réunion organisée mercredi à l'Elysée, en présence de François Hollande, ont indiqué deux sources gouvernementales. L'arbitrage final n'a toutefois pas encore été rendu et devrait intervenir durant la deuxième quinzaine de février, selon ces sources. Les choses ont bougé, mais rien n'est stabilisé, a nuancé un partisan de ce projet. Si cette solution permettrait à l'Etat de garder la haute main sur des actifs très prisés, Paris compte bien organiser un appel d'offres pour attribuer les parts minoritaires (49%) qui seront dévolues au secteur privé, ouvrant ainsi une petite porte aux nombreux énergéticiens européens intéressés par l'hydroélectricité française. Une façon de contenter Bruxelles a minima. La solution sera de toute façon compatible avec le droit européen, cela veut dire un appel d'offres, a assuré un bon connaisseur du dossier. L'Etat percevrait également une redevance budgétaire, déjà prévue par la loi mais pas toujours appliquée aux opérateurs. Autre piste très avancée de ce scénario: une clause de destination qui flècherait l'électricité des barrages exclusivement vers les clients français, sur le modèle de l'Arenh (dispositif qui oblige EDF à revendre à ses concurrents une partie de sa production nucléaire), voire les entreprises fortement consommatrices d'électricité (les électro-intensifs), que le gouvernement veut protéger. En revanche, du fait de la complexité du montage, ce modèle des SEM pourrait ne pas s'appliquer à des vallées comprenant des petits ouvrages. Ni l'Elysée, ni Matignon, ni le ministère de l'Energie n'ont souhaité faire de commentaires. Si ce scénario était bel et bien choisi, il marquerait un nouveau rebondissement dans le feuilleton de l'ouverture à la concurrence des barrages français, alors qu'on semblait se diriger vers une ouverture des concessions, un scénario toujours défendu à Bercy par les ministres Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve.
Revirement Propriétés à 100% de l'Etat (ce qui restera le cas, les appels d'offres ne concernant que l'exploitation), les barrages français sont actuellement concédés sur de très longues durées, en très grande majorité à EDF (80%) ainsi qu'à GDF Suez (environ 17%). Depuis la fin du monopole d'EDF et l'abrogation en 2006 de la prolongation des concessions à la simple demande de l'exploitant, l'attribution des concessions doit désormais se faire par un appel d'offres, un sujet suivi de près par la Commission européenne soucieuse d'introduire plus de concurrence dans ce secteur très fermé. L'arrivée à échéance de concessions de barrages dans une dizaine de vallées françaises a suscité les convoitises de grands groupes européens, EDF et GDF Suez étant bien décidés à garder leurs joyaux. Le précédent gouvernement avait enclenché le processus de mise en concurrence des concessions en 2010, mais sans finalement le faire aboutir. La gauche arrivée au pouvoir en 2012 avait d'abord semblé traîner des pieds, jusqu'à un rappel à l'ordre de la Cour des comptes l'été dernier. Le gouvernement Ayrault avait alors ouvert la porte au lancement du renouvellement des concessions à partir du premier semestre 2014, redonnant l'espoir aux probables candidats. Mais cette perspective suscitait aussi beaucoup de mécontents, notamment à gauche. Renouvelable et propre, modulable selon la demande et produite à bas coûts dans des barrages largement amortis, l'hydroélectricité (25 gigawatts installés en France; 13,8% de l'électricité produite en 2013) est en effet un trésor jalousement gardé. Un rapport de la députée socialiste de l'Isère Marie-Noëlle Battistel avait détaillé en novembre des pistes alternatives à la mise en concurrence en soulignant que les autres pays européens ne s'empressaient pas non plus de libéraliser leur secteur. La fin des concessions d'ici 2015 représente environ 5 gigawatts. Dans certains vallées, un calcul des fins de concessions selon une méthode dite des barycentres, qui fait partie des discussions actuelles, permettrait toutefois de repousser certaines échéances de plusieurs années.