L'Egypte et pas celle exclusivement est coupée en deux. Une partie anti-islamiste, une autre partie pro-islamiste. Ce qui est grave, c'est cette répartition d'adversaires pratiquement moitié moitié. Les rapports d'opinion sont équilibrés, et, en conséquence, les rapports de force devraient l'être également. En réalité, les rapports de force ne peuvent pas être équilibrés du fait que la mouvance islamiste avait accédé au pouvoir puis s'en était faite déloger pour passer devant le peloton d'exécution. Retour au système Moubarek sans Moubarek. Il y a donc sur le plan interne, un problème. Un vrai problème qu'on doit déclarer irrésolvable. Pourquoi irrésolvable? Parce que les projets portés sont incompatibles. Un projet ne peut monter au pouvoir et se donner les moyens de sa mise en œuvre que si l'autre projet est condamné à mort. Ou les idées que celui-ci porte meurent, ou meurent ceux qui en sont porteurs. C'est l'incompatibilité entre eux qui est source d'instabilité permanente et également d'insécurité permanente.. Ceux qui veulent prétendre qu'en creusant au centre ils vont promouvoir les valeurs de tolérance sont porteurs d'ambitions de pouvoir et non de programme de réconciliation. Dès lors que de part et d'autre, les convictions sont présentées comme non négociables, les différences se menaceront mutuellement au lieu de se surmonter. Entre l'islamisme et le reste, il ne saurait exister un centre. Il ne s'agit pas d'un champ politique ou d'une version pluraliste occidentale pour qu'on puisse réellement identifier et localiser un centre. Quand on cherche à concilier ce qui pour le moment n'est pas conciliable, et qu'on dise par la suite, comme le disent certains, qu'il faudrait tenir la canne par le milieu, on peut dire que les intentions sont louables, mais impuissantes. C'est une responsabilité très lourde, trop lourde même, de continuer à conduire de transition dans le cadre d'une cohabitation parfois non pacifique entre idéologies présentées comme incompatibles. C'est le cas actuellement en Egypte, en Tunisie. Les lectures internationales et arabes se font par référence. En Tunisie, en Egypte, et partout ailleurs dans le monde arabe, deux pôles dominent la scène politique et les rapports de force. Ce sont les systèmes qui reposent sur l'armée et les islamistes. Certains diraient que la cohabitation avait commencé avec la coalition transformée par la suite en alliance. Mais, dans ce cas précis, il ne s'agit pas d'une cohabitation car le gouvernement s'est engagé à appliquer le programme du président. Au sein de l'alliance, peut-être pourrions-nous parler d'une co existence et d'une entente a minima sur une partie du programme dans sa partie technique, ce qui se traduit par l'octroi au parti islamiste uniquement des postes techniques. La construction de l'autoroute en Algérie n'a pas de couleur idéologique. Nous ne savons pas encore dans quel système politique sommes-nous entrés. Les résultats sont vus comme une validation de la conduite actuelle du processus de transition politique. Pourtant, cette lecture n'est pas faite sur le plan interne, car il y a une convergence hors FLN et RND pour discréditer ce scrutin qui est crédibilisé cependant sur le plan extérieur. Ainsi, il y a deux appréciations sur cette crédibilité. Quelle est la nature du système en vigueur, ou à venir ? Il y en a qui estiment que nous ne sommes pas dans une phase de transition comme toutes les réformes étaient déjà mises en œuvre et que ce processus est achevé. Alors, s'agit-il bien d'un processus de transition compte tenu que le peuple qui vote sait bien que l'Algérie n'est pour le moment ni une démocrate, ni une théocratie. Que veut-elle devenir alors ? Que peut-elle devenir ? Entre le vouloir et le pouvoir, il y a plusieurs courants qui peuvent se neutraliser. Démocratie impossible (démocratie résonne " laïcité ") , car les islamistes sont disponibles à en contrarier le cours . Théocratie impossible car les démocrates sont là pour la rejeter. Mathématiquement, on voit qu'il y a plusieurs destinations, plusieurs " possibles ", mais également plusieurs incertitudes. De ces incertitudes, ne peuvent en découler que des déstabilisations génératrices d'insécurités, alors que les insécurités génèrent des instabilités. La boucle est ainsi bouclée. Des hommes politiques appuyant le pouvoir observent avec inquiétude que le champ politique risque de générer de nouvelles menaces, pour ce qui les concerne et pas pour leurs partis. Ces incertitudes amusent les vrais opposants, lesquels n'ont rien à en perdre. Et pourtant, ceux qui, de chaque côté, de part et d'autre de la ligne de fracture, se chargent d'étudier les vulnérabilités de l'autre, savent qu'en réalité les moyens politiques de l'opposition ne pourront pas venir à bout de ceux qui détiennent en main le pouvoir d'agir. Nous ne sommes pas dans la situation où sont possibles les " révolutions " colorées. Pouvons-nous soutenir sans erreur aucune qu'aussi bien en Algérie que dans les autres pays arabes, les orientations politiques et économiques sont celles que dégage le champ politique par confrontations dans un débat approfondi ? Tout se passe comme si les pays arabes n'ont pas besoin d'une opposition qui sort du champ politique.