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Zone Euro : Quel avenir pour la Grèce et l'Europe après le Non ?
Publié dans Le Maghreb le 11 - 07 - 2015

Dr. Abderrahmane MEBTOUL professeur des universités, expert international
Après le Non historique de la Grèce aux conditions draconiennes que lui imposaient ses créanciers, Dr Abderrahmane Mebtoul a répondu aux questions de nos confrères de Radio Algérie Internationale, le 8 juillet 2015, relativement à l'avenir de l'Europe face à la crise grecque.

Quelle est la situation financière de la Grèce ?
Les créanciers privés depuis 2010 sont marginaux et les principales créances étant détenues par les Etats allant dans la lignée des effets de la crise économique mondiale où l'on est passé de l'endettement privé à l'endettement public dans la majorité des pays développés, en faisant supporter aux générations futures le poids de cette dette. Le poids de la dette par rapport au produit intérieur brut (PIB) représenterait en 2015 entre 175 et 177% du PIB. Les principaux créanciers de la Grèce sont le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et les Etats membres, qui détiennent à 60% les 313 milliards d'euros de créances émises par la Grèce. Selon certaines sources, nous avons l'Allemagne 56 milliards d'euros, la France 43 milliards d'euros et l'Italie 34 milliards d'euros. Rappelons qu'en mars 2012, les créanciers ont dû effacer presque 70% de leurs créances, soit 107 milliards d'euros, le premier plan d'aide s'élevant à 110 milliards d'euros, constitués de prêts bilatéraux et le second plan d'aide de 141,8 milliards d'euros, versés à travers le Fonds européen de stabilisation financière (le FESF). Au total, la Grèce a reçu près de 250 milliards d'euros d'aide, sous forme de prêts, mais qui ont fait gonfler l'endettement du pays par le fait des taux d'intérêts imposés. Aussi si le 30 juin 2015, la Grèce n'honorait pas le déboursement de 7,2 milliards d'euros dont un remboursement de 1,5 milliard d'euros au FMI, le pays serait en défaut de paiement et le référendum n'a pas changé la donne. Mais il ne faut pas avoir une vision de catastrophe, car que représentent les 313 milliards d'euros où l'Europe des 27 pour environ 900 millions d'habitants a un PIB en 2014 de 17.359.420 milliards de dollars étant la première puissance économique mondiale avant les Etat-Unis d'Amérique qui ont un PIB de 16.768.100 milliards de dollars pour une population de 360 millions d'habitants (ces deux zones concentrant plus de 40% de la richesse mondiale) sur un total mondial de plus de 78.000.000 milliards de dollars. Par ailleurs, comme leçon de la crise de 2008, pour le sauvetage des Etats, ont été créés un Fonds européen de stabilité financière (FESF) et un Mécanisme européen de stabilité (MES) ainsi que pour les banques, un mécanisme de résolution avec un fonds associé afin que les crises bancaires ne se transforment plus en crise de la dette. C'est la vision de certains experts à Bruxelles pour qui la zone euro est mieux armée pour résister aux risques de contagion en cas de sortie de la Grèce, mais c'est une hypothèse dans la mesure où actuellement personne ne saurait prévoir la réaction des marchés et leur évaluation du risque politique pour l'ensemble de l'Union européenne. Et c'est ce facteur stratégique qu'il faut étudier, c'est-à-dire la manière nouvelle de construire l'Union européenne où a été privilégiée la monnaie au détriment du social. Je pense qu'avec la crise grecque plus rien ne sera comme avant.

L'impact du Non et les créanciers ne vont-ils pas punir la Grèce ?
Le chef de gouvernement grec Alexis Tsipras a sacrifié son ministre des Finances qui avait critiqué ouvertement les créanciers et notamment l'Allemagne et avait affirmé que le Non ne signifiait pas le retrait de la Grèce de l'Europe, et qu'il entendait négocier tenant compte de la situation difficile de la Grèce. Avant le référendum, il réclamait une décote de 30% de la dette grecque et une période de grâce de 20 ans, un scénario difficilement réalisable pouvant tout juste aller vers une restructuration de la dette à moyen et long terme sous réserves de réformes structurelles. C'est que les deux restructurations de la dette privée, de 2011 et 2012, n'ont pas permis de réduire le taux d'endettement du pays, le PIB s'est effondré, le taux de chômage et la paupérisation se sont accrus, et le taux d'endettement a mécaniquement gonflé du fait que le taux d'intérêt pratiqué à la Grèce est souvent deux à trois fois le taux pratiqué pour l'Allemagne et la France rentrant les primes de risques et finalement l'on s'est retrouvé dans l'impasse. Pour revenir à votre question, et c'est l'hypothèse la plus dramatique que je ne souhaite pas au peuple grec, c'est l'asphyxie financière où la banque européenne n'alimenterait plus les banques grecques rendant difficile le paiement des fonctionnaires et des salariés, et à terme la mise en faillite de la Grèce. Cela reviendrait à des révoltes sociales qui pousseraient à la démission l'actuel chef de gouvernement.

La sortie de l'Euro de la Grèce est-elle envisageable ?
Le traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009 inclut une clause de retrait. L'article 50 stipule que "tout Etat membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l'Union". Le traité prévoit que "l'Etat membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l'Union négocie et conclut avec cet Etat un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l'Union". Cet accord est conclu au nom de l'Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen. Le retrait est acté dans un délai maximum de deux ans "sauf si le Conseil européen, en accord avec l'Etat membre concerné, décide à l'unanimité de proroger ce délai". Mais rien n'est prévu pour la sortie de l'euro. Selon Sylvain Broyer, responsable du département d'économie chez Natixis " on ne sort pas comme ça de l'euro puisqu'il n'y a pas de texte qui prévoit la sortie d'un des pays membres de l'Union monétaire européenne ", et l''adhésion à la monnaie unique est même au contraire de l'objectif assigné à tous les pays sauf le Royaume-Uni, le Danemark ou la Suède, qui bénéficient d'une exemption. " Si vous voulez sortir de la zone euro, vous devez sortir de l'Union européenne, auquel cas la Grèce ne bénéficiera plus de transferts de fonds européens vers ce pays". Et la sortie de la Grèce de la zone euro aurait un impact négatif sur l'avenir de l'Europe, du fait des maillons faibles, dont le Portugal, l'Espagne, l'Italie et en dernier lieu la France. Et la crise engendre l'apparition des partis populistes comme le FN en France. N'oublions jamais que les nationalistes chauvinistes sont nés des crises comme cela a été le cas pour Hitler en Allemagne et Mussolini en Italie, effet de la crise de 1929 avec toutes les conséquences dramatiques que l'on a connues. Sortir de l'euro c'est avoir sa propre monnaie - cela mettra du temps -, les expériences historiques montrant que cela conduit à des rationnements comme en économie de guerre, et à un processus inflationniste à deux chiffres qui pénaliserait encore plus les couches les plus défavorisées. Mais est-ce que cela résoudra les problèmes fondamentaux, j'en doute.

Quel est alors l'avenir de la construction européenne ?
La crise grecque pose le problème de l'avenir de la construction européenne (est-elle viable à 27). Cela rend d'actualité une Europe économique et sociale comme nous l'avons recommandé au sein d 'une organisation qui porte le même nom, à laquelle j'étais membre en 1992, sous la direction de feu le professeur Raymond Barre Premier ministre français et président de cette organisation, nous avons proposé trois cercles interdépendants , le premier remplissant les conditions de stabilité (3% pour le déficit budgétaire et 60% pour la dette publique par rapport au PIB), ceux qui s'en rapprocheraient et enfin ceux qui auraient besoins de réformes structurelles devant les aider par solidarité. En fait, tout dépendra de l'attitude de l'Allemagne où avant le vote, selon l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, la chancelière Angela Merkel aurait été favorable à une sortie de l'euro en cas de victoire de la gauche radicale aux élections grecques, ce qui a provoqué des remous à Bruxelles. Rappelons-nous le tandem entre le président François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl. C'est un vrai dilemme face à ses députés que devra affronter la chancelière Angela Merkel. Car nous avons deux positions. Celle de l'Allemagne qui demande à la Grèce plus de rigueur budgétaire, la lutte contre la sphère informelle dominante, l'évasion fiscale et la corruption, et l'autre plus conciliatrice, de la France de tenir compte de la situation sociale dramatique devant concilier efficacité économique et équité et que sans retour à la croissance il serait impossible à la Grèce d'honorer ses engagements. Le retrait de la Grèce remettrait en cause le fonctionnement actuel même de l'Union européenne. Cela ne dédouane pas les différents gouvernants qui se sont succédé en Grèce où domine l'économie de casino : corruption, dominance de la sphère informelle, non-paiement des impôts, un train de vie supérieur à la création de la richesse interne, fuite des capitaux, illusion de richesses accentué par les créanciers qui ont en vu un eldorado qui se sont retrouvés piégés. Nous sommes dans la mondialisation, en interdépendance et toute crise touche forcément tous les pays du monde, les plus vulnérables étant les mono-exportateurs. Pour preuve, le cours du Brent a fortement chuté se cotant à 57 dollars et le WIT à 51 dollars alors qu'il était coté avant le référendum pour le Brent à plus de 62 dollars et 59 dollars pour le WIT. C'est une bonne expérience pour l'Algérie dont les principaux échanges (importation et exportation) se font avec l'Europe, bien qu'existent des différences structurelles, un pays qui avoisine selon l'OCDE 10, 96 millions d'habitants, et un PIB de 237,6 milliards de dollars en 2014, (en diminution en 2015) presque l'équivalent de l'Algérie qui approche 40 millions d'habitants. L'Algérie a connu les effets de la crise de 1986, une cessation de paiement et un rééchelonnement en 1994, la population, notamment les couches moyennes qui se sont paupérisées, ayant payé un lourd tribut vu l'ajustement structurel imposé par le FMI. Espérons que nos gouvernants en tireront les leçons pour l'avenir.


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