La justice allemande a validé hier matin un dispositif anti-crise de la Banque centrale européenne (BCE), une bonne nouvelle pour l'institution monétaire au seuil d'une semaine chargée pour elle, entre prêt géant aux banques et référendum britannique. Les juges suprêmes de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe (sud) ont rejeté, au bout de plus de trois ans de procédure, plusieurs plaintes à l'encontre d'un programme de la BCE. Baptisé OMT (pour "Outright Monetary Transactions"), le mécanisme avait été adopté en septembre 2012, au moment où la crise de la dette faisait vaciller plusieurs pays de la zone euro. Il ouvre la possibilité à la BCE de racheter massivement des obligations de certains pays. L'OMT n'a jamais été utilisé à ce jour, sa simple existence sur le papier ayant réussi à contenir un emballement des taux d'emprunt. Mais l'enjeu du jugement, très attendu, dépassait le cadre de l'OMT, puisqu'entre temps la BCE est passée à la vitesse supérieure. Depuis mars 2015 elle rachète massivement de la dette publique et privée sur le marché - 80 milliards d'euros par mois à l'heure actuelle -, pour redynamiser l'activité économique et les prix. Les plaignants - un député, des professeurs d'université, plusieurs milliers de particuliers - estimaient qu'avec l'OMT la BCE enfreignait son mandat, qui lui interdit de financer directement les Etats. Ils ont peur que l'Allemagne ne se retrouve à combler les dettes de pays à la discipline budgétaire laxiste.
"Réserves" persistantes Mais l'OMT "ne dépasse manifestement pas les compétences attribuées à la BCE", a conclu le juge suprême Andreas Vosskuhle. Le jugement pose néanmoins certaines conditions à une activation de l'OMT. Et fait état de "réserves" des juges, par exemple sur la légitimité démocratique de l'institution monétaire. La Cour penchait initialement plutôt du côté des plaignants. Mais entre-temps elle a sollicité l'avis de la justice européenne, pour finalement se caler mardi sur le feu vert de celle-ci. Au grand soulagement de la Commission européenne, qui "soutient pleinement" la BCE dans son action, selon un bref communiqué. "Le juges (allemands) ont opéré un virage, ils n'ont pas osé" s'inscrire en faux contre la justice européenne, a déploré le chef de l'institut allemand Ifo, Clemens Fuest, notoirement critique de la BCE. Son confrère Marcel Fratzscher, président du DIW, a au contraire salué une décision "intelligente" et "sage". "Il est grand temps de tirer un trait sur les conflits de l'Allemagne avec la BCE", a-t-il estimé. Plusieurs responsables allemands et médias s'en sont pris ces derniers temps avec véhémence à la politique de taux d'intérêt bas de l'institution, accusée de spolier les épargnants allemands.
Prêt géant et Brexit La décision de Karlsruhe était le premier rendez-vous d'une semaine très chargée pour la BCE. Elle doit lancer mercredi le premier d'une série de quatre prêts bancaires géants à destination des banques européennes. Elle fait partie du dispositif déployé par la banque centrale pour faire repartir les prix dans la zone euro, aux côtés des taux d'intérêt bas - le principal est à zéro - et des achats de dette. Les analystes de UniCredit anticipent une demande soutenue de la part des banques, à un jour du référendum britannique sur le maintien dans l'Union européenne. Il pourrait conduire à des emprunts "de précaution" auprès de la BCE, en prévision de turbulences dans les jours à venir. Le résultat du scrutin sera connu vendredi matin et pourrait aussi amener la BCE, qui s'est dite "prête à toutes les éventualités", à passer à l'acte si le secteur bancaire ou les marchés sont trop déstabilisés. L'institution a fait savoir la semaine dernière qu'elle agirait "en utilisant tous les instruments à sa disposition" en cas de matérialisation des risques pour la stabilité des prix, parmi lesquels un Brexit figure en bonne place. Un de ces instruments pourrait être une intervention concertée avec les autres grandes banques centrales mondiales, sous forme d'injections de liquidités, par exemple en dollars ou en livres sterling.