En pleine moisson, les prix mondiaux du blé s'effondrent car la récolte 2016 s'annonce exceptionnelle dans la plupart des grands pays producteurs, sauf la France, où les dégâts liés aux pluies placent les céréaliers dans une situation catastrophique. A la bourse de Chicago, les cours du blé américain étaient proches en ce début de semaine des plus bas niveaux constatés depuis dix ans. A Paris, les prix sur Euronext sont en-deçà de 170 euros la tonne. Pourtant, la moisson s'annonce désastreuse en France, l'un des principaux exportateurs mondiaux, le 1er au niveau européen. Le blé français a souffert des maladies induites par la pluie et le manque de luminosité au printemps, avec pour résultat des rendements et un volume médiocres. Selon le principal syndicat agricole français, la FNSEA, la récolte de blé pourrait être en baisse d'un quart par rapport à 2015, à 30 millions de tonnes. Il s'agirait de la plus faible production depuis 13 ans, un phénomène qui affecte la santé financière des exploitations céréalières et va réduire les capacités exportatrices du pays. "Sur une année aussi catastrophique, le vrai problème sera pour les céréaliers de pouvoir réensemencer pour l'année suivante", a dit mercredi le ministre français de l'agriculture Stéphane Le Foll. Mais l'impact sur le marché mondial est bien plus limité. La France, bien qu'étant un producteur très performant au regard de sa taille, ne représente que 5% de la production mondiale de blé, et 10% des échanges. Et dans les autres grands pays à blé que sont les Etats-Unis, le Canada, l'Ukraine ou la Russie, la récolte "se passe exceptionnellement bien", souligne François Luguenot, analyste marchés pour le géant coopératif InVivo. Le Conseil international des céréales (CIC), basé à Londres, vient ainsi de prévoir une récolte mondiale pratiquement au même niveau que celle, record, de l'été 2015, à quelque 730 millions de tonnes. "Nous sommes proches des records de production dans le monde (...) Le marché est baissier partout dans le monde, sauf en France", résume Arnaud Saulais, courtier chez Star Supply Commodity Broker, en Suisse. L'an dernier, plusieurs facteurs exceptionnels avaient poussé à la hausse la demande de blé dans plusieurs pays: sécheresse en Afrique de l'Est, hausse des importations de céréales fourragères en Asie du Sud-est et en Chine après des changements de politiques agricoles. Il pourrait ne pas en être de même cette année, même si la demande "reste vigoureuse" en Egypte, Algérie, Arabie saoudite ou au Maroc, souligne M. Luguenot. La flambée des cours mondiaux après les graves incendies de l'été 2010 qui avaient frappé la récolte en Russie, et suscité des craintes d'émeutes de la faim similaires à celles de la crise alimentaire de 2007-2008, semble avoir peu de chances de se reproduire. Mais même dans les pays qui auront eu une bonne moisson, la faiblesse des cours signifie que les céréaliers, eux, ne seront pas à la fête. Ukrainiens et Russes s'en sortent mieux que les Américains. "Aux Etats-Unis, la moisson du blé d'hiver continue et on fait toujours état de très hauts rendements", rapporte dans une note Jack Scoville, de Price Futures Group, remarquant toutefois que la qualité en était inégale cette année. "Tout dépend des coûts de production", rappelle François Luguenot. Dans ce domaine, Ukrainiens et Russes s'en sortent mieux que les Américains. "Aussi faibles les cours soient-ils, ils restent rentables pour beaucoup d'agriculteurs russes ou ukrainiens, surtout s'ils ont utilisés des semences ou produits phytosanitaires locaux", estime Pierre Bégoc, du cabinet Agritel, qui a dirigé jusqu'en 2013 le bureau ukrainien de cette société d'analyse. Ces pays, qui bénéficient dans la région de la mer Noire de terres très fertiles, se lancent désormais dans une politique d'exportation agressive, avec des prix très compétitifs qui leur ont déjà permis de rafler la semaine passée et cette semaine des appels d'offre convoités en Egypte, 1er importateur mondial de blé. La France était hors-jeu en raison de prix de vente trop élevés par rapport aux cours mondiaux. "La puissance de feu du blé russe et ukrainien est phénoménale" sur les marchés, prévient M. Bégoc. Outre les agriculteurs, la baisse mondiale des prix pèse fortement sur le négoce et la transformation. ADM, l'un des géants américains du secteur, a vu son bénéfice réduit de 25% au deuxième trimestre 2016, et de 50% au premier trimestre.