Ce devait être la deuxième plus grosse acquisition de l'histoire du capitalisme. A peine évoquée, vendredi 17 février, cette idée grandiose du mariage de deux géants de l'industrie agroalimentaire mondiale s'est fracassée, le surlendemain, sur le mur des réalités. L'américain Kraft-Heinz n'avalera pas l'anglo-néerlandais Unilever. Le célèbre ketchup et la pâte à tartiner Philadelphia ne feront pas salon avec les thés Lipton et les Esquimau Magnum pour constituer le deuxième groupe mondial des biens de consommation derrière Nestlé. Le conglomérat européen ne voit officiellement, dans cette opération, " aucun intérêt, ni financier ni stratégique, pour ses actionnaires ". Pour une fois, le propriétaire de Kraft-Heinz, le fonds d'investissement brésilien 3G, habituellement très agressif, n'a pas insisté et a retiré " amicalement " son offre. La proie était certes importante, deux fois sa taille, mais quand on a réussi, en cinq ans, à avaler les hamburgers de Burger King, puis les sauces et fromages de Kraft et le ketchup Heinz, on ne manque pas d'appétit. La tactique de Jorge Paulo Lemann, le fondateur de 3G, est toujours la même et puise dans les recettes des fonds d'investissement des années 1980 : " Les coûts sont comme les ongles, il faut les couper en permanence. " Avec Kraft-Heinz, acquis en 2015 avec l'aide de Warren Buffett, les économies ont déjà atteint 1,5 milliard de dollars (1,4 milliard d'euros) et ont permis d'atteindre 30 % de marge d'exploitation, le double de celle d'Unilever. De quoi faire saliver les actionnaires. Mais l'ambiance n'est plus la même au Royaume-Uni, depuis que Theresa May a emménagé au 10 Downing Street. Peu de temps après son installation, celle-ci a confié n'avoir jamais digéré l'acquisition, en 2010, des bonbons Cadbury, autre icône de la même Angleterre victorienne, par un certain Kraft Food, dont la branche biscuits s'est rebaptisée en 2012 Mondelez. Elle n'a pas non plus aimé la tentative du laboratoire pharmaceutique américain Pfizer de racheter une autre gloire nationale, AstraZeneca. La première ministre britannique n'épouse pas le laisser-faire de ses prédécesseurs et entend réformer la loi sur les acquisitions pour la rendre plus sévère. Une initiative qui tinte agréablement aux oreilles françaises, qui avaient bloqué les velléités de PepsiCo sur Danone, mais qui marque une rupture en terre anglo-saxonne,... Unilever perd sa valeur L'action du groupe anglo-néerlandais de grande consommation a perdu près de 8 % de sa valeur aux premières heures de la Bourse de Londres. Après l'annonce du retrait de la proposition de rachat par Kraft-Heinz dimanche , Unilever se fait taper sur les doigts par les marchés. Le groupe anglo-néerlandais perdait 7,9% aux premières heures d'ouverture de la Bourse de Londres lundi. L'offre de rachat "à l'amiable" de l'américain, pour 143 milliards de dollars, rendue publique vendredi après des fuites, avait permis au groupe courtisé de clôturer la dernière séance hebdomadaire sur une hausse record de 13,43% à 3797.00 pence. La proposition avait d'ores et déjà été déclinée mais Kraft-Heinz avait laissé planer le doute dans un communiqué évoquant un potentiel "accord sur les termes d'une transaction". May se met en ligne La Première ministre britannique Theresa May a demandé à des membres de son équipe gouvernementale de passer en revue le projet de reprise du géant anglo-néerlandais des biens de consommation courante Unilever par le groupe agro-alimentaire américain Kraft Heinz, rapporte dimanche le Financial Times. Le second a créé la surprise vendredi en mettant 143 milliards de dollars (134 milliards d'euros) sur la table pour racheter le premier, qui a aussitôt sèchement rejeté cette proposition. Selon le Financial Times, Theresa May a demandé à des responsables de voir si la transaction, qui serait le cas échéant le plus important rachat d'une entreprise basée au Royaume-Uni, pouvait avoir des implications pour l'économie britannique dans son ensemble et, éventuellement, justifier une intervention de l'Etat. Le bureau de Theresa May a refusé de commenter l'article. Le Financial Times ajoute que des membres de l'équipe gouvernementale de la Première ministre avaient eu des discussions aussi bien avec Unilever qu'avec Kraft Heinz pour voir quelles seraient les conséquences sur les emplois, la recherche & développement ainsi que sur les activités britanniques d'Unilever d'une fusion. Le travail d'évaluation du projet de rapprochement sera dirigé par Alex Chisholm, un haut responsable du ministère des Entreprises, de l'Energie et de la Stratégie industrielle qui s'efforcera d'obtenir des garanties de Kraft Heinz sur sa stratégie, ajoute le journal. L'an dernier, lors de la campagne pour accéder au pouvoir, Theresa May avait critiqué le rachat du fabricant de chocolat britannique Cadbury par Kraft en 2010, accusant le groupe américain de n'avoir pas respecté sa promesse de maintenir ouverte une usine dans le sud-ouest de l'Angleterre. Elle avait alors dit que le gouvernement ne devait pas automatiquement empêcher le rachat de sociétés britanniques par des firmes étrangères, tout en disant qu'il devait intervenir pour défendre des secteurs importants. Le plus important rachat d'une entreprise basée au Royaume-Uni Un mariage des deux multinationales serait arrivé au troisième rang du classement des plus grosses fusions d'entreprises jamais conclues dans le monde et serait le plus important rachat d'une entreprise basée au Royaume-Uni. Le secteur de l'alimentation est confronté simultanément au ralentissement des marchés émergents, qui ont longtemps été le principal moteur de leur croissance, à la baisse des prix sur les marchés développés et à l'évolution des comportements d'achat des consommateurs, de plus en plus sensible aux arguments sur l'origine et la qualité des produits. Cette rupture a suscité des spéculations parmi les analystes et les investisseurs pour savoir si Kraft pourrait envisager un plan B et le rachat d'un autre acteur majeur du secteur.