Pourra-t-il aller au bout de son mandat? Le président brésilien Michel Temer, cible de graves accusations de corruption, devait être fixé sur son sort mercredi, avec un vote crucial au Parlement. Si deux tiers des députés (342 voix sur 513) décident d'un procès devant la Cour Suprême, le chef de l'Etat risque d'être inculpé et écarté du pouvoir pour six mois. Malgré une cote de popularité historiquement basse (5%), M. Temer affiche une confiance inébranlable en sa capacité à obtenir les voix nécessaires pour que l'affaire soit définitivement classée. À tel point que la principale préoccupation de l'entourage du président est de s'assurer que le vote aura bien lieu, face aux menaces de boycott de l'opposition, qui espèré faire traîner la procédure en longueur, en misant sur l'usure d'un gouvernement conservateur aux abois. Là encore, il est question du chiffre magique de 342, comme le nombre de parlementaires qui doivent être présents dans l'hémicycle pour que la question soit définitivement tranchée. Les deux camps doivent se livrer à un numéro d'équilibriste, entre la nécessité de rassembler le plus de voix possibles et les comptes d'apothicaire liés au fameux quorum nécessaire pour que le vote ait bien lieu mercredi.
Négociations en coulisses Selon le quotidien Folha de Sao Paulo, M. Temer été tellement sûr de lui qu'il s'est mis à encourager des députés qui se sont déclarés en faveur de l'ouverture d'un procès à se présenter à la séance. Même son de cloche du côté de Rodrigo Maia, président de la Chambre des députés, qui s'est montré mardi confiant dans une issue rapide de cette crise institutionnelle qui tient en haleine le Brésil. "Je crois que le vote aura lieu mercredi, ce qui donnera plus de tranquillité à notre société. Cette question doit être résolue dans l'après-midi", a-t-il affirmé à des journalistes. Même s'il est considéré comme un fidèle allié de M. Temer, la loyauté de M. Maia a été remise en cause ces dernières semaines par des rumeurs lui prêtant des ambitions présidentielles. Si le chef de l'Etat est écarté du pouvoir, le président de la Chambre le remplacera pendant un mois, le temps de désigner un successeur. "Il faut que cette affaire soit tranchée pour le bien du Brésil. On ne peut pas jouer avec un sujet aussi grave. Il ne faut pas laisser le patient sur la table d'opération avec le ventre ouvert", avait déjà déclaré M. Maia vendredi dernier. Même s'il connaît bien les arcanes de la chambre basse, qu'il a présidée à trois reprises, M. Temer sait qu'il n'est pas à l'abri d'un retournement de situation. C'est pourquoi il a continué à négocier en coulisses ces derniers jours pour s'assurer le soutien d'un maximum de parlementaires. Mardi, il a déjeuné avec 52 députés apparentés au Front Parlementaire pour l'Agriculture (FPA), qui représente les intérêts du puissant lobby de l'agro-business. M. Temer a aussi multiplié ces derniers jours les apparitions publiques visant à renforcer sa stature d'homme d'Etat. Dimanche, il était à Rio de Janeiro pour assurer le service après-vente du déploiement de l'armée dans une ville en proie à la violence. Une initiative qui lui a valu une caricature féroce en une de l'édition de mardi du quotidien O Globo. Le président est accusé de s'être "prévalu de sa condition de chef d'Etat" pour recevoir 500.000 réais (environ 140.000 euros) de pots-de-vin de la part du géant de la viande JBS, impliqué dans le gigantesque scandale de corruption qui touche le Brésil. Selon un sondage de l'institut Ibope diffusé lundi sur la radio CBN, 81% des Brésiliens souhaitent que les députés renvoient la mise en accusation vers la Cour Suprême. Arrivé au pouvoir en mai 2016, après la destitution controversée de Dilma Rousseff, dont il était le vice-président, M. Temer est pour le moment parvenu à se maintenir à son poste malgré les scandales à répétition. En juin, il avait déjà été blanchi par la justice électorale, face à des accusations de financement illégal de campagne.
Un an de présidence ébranlée par les scandales Voici les faits marquants d'une présidence secouée par les scandales:
2016 - 12 mai: Le vice-président Michel Temer, du PMDB (centre droit) remplace à titre intérimaire la présidente de gauche Dilma Rousseff écartée du pouvoir par le Parlement, qui approuve le début de la procédure de destitution pour maquillage des comptes publics contre elle. - 13 mai: L'annonce du premier gouvernement Temer est vivement critiquée pour l'absence de femmes et de noirs parmi les ministres. - 31 août: Le Sénat entérine la destitution de Dilma Rousseff et Michel Temer est investi officiellement jusqu'au terme du mandat présidentiel, fin 2018. - 19 octobre: L'ex-président de la Chambre des députés Eduardo Cunha, du PMDB, considéré comme un des principaux artisans de la destitution de Mme Rousseff, est arrêté pour son implication dans le scandale Petrobras. Il sera condamné en mars à 15 ans et 4 mois de prison. - 13 décembre: le Sénat adopte une proposition d'amendement à la Constitution qui prévoit le gel des dépenses publiques pour vingt ans, une des mesures phares du gouvernement Temer pour tenter de sortir le Brésil d'une récession historique.
2017 - 11 avril: la Cour Suprême donne son feu vert pour l'ouverture d'enquêtes contre huit ministres du gouvernement Temer et des dizaines de parlementaires de tous bords, soupçonnés d'implication dans le scandale Petrobras. - 17 mai: Le journal Globo révèle l'existence d'un enregistrement compromettant dans lequel M. Temer semble donner son accord à Joesley Batista, patron du géant de la viande JBS, pour acheter le silence d'Eduardo Cunha. Les appels à la démission fusent de toutes parts et des manifestants descendent dans la rue dans la plupart des grandes villes brésiliennes. - 18 mai: "Je ne démissionnerai pas", martèle le président Temer lors d'une allocution télévisée. - 19 mai: La Cour Suprême ouvre une enquête contre M. Temer pour "corruption passive, entrave à la justice et association de malfaiteurs". - 25 mai: De grandes manifestations anti-Temer convoquées par la gauche à Brasilia sont marquées par des heurts avec la police. Le bilan officiel fait état de 49 blessés et de dégâts causés à huit ministères. Le président Temer décide de déployer l'armée pour assurer le maintien de l'ordre avant de faire machine arrière le lendemain matin, sous le feu des critiques. - 3 juin: Arrestation de Rodrigo Rocha Loures, ancien proche collaborateur du président Temer. Soupçonné d'être un intermédiaire du chef d'Etat pour le versement de pots-de-vin, cet ex-député a été filmé en train de recevoir une valise pleine de billets. - 6 juin: le Tribunal Suprême Electoral (TSE) reprend le procès qui peut invalider l'élection présidentielle de 2014 ayant reconduit au pouvoir le binôme Rousseff-Temer, accusé de financement illégal de campagne. - 9 juin: Le TSE tranche en faveur d'un maintien au pouvoir de M. Temer par une étroite majorité de 4 juges pour et 3 contre. - 20 juin: Dans un rapport préliminaire de l'enquête contre M. Temer, la Police brésilienne annonce disposer de preuves qui "indiquent avec vigueur la pratique de corruption passive". - 26 juin: Le procureur général Rodrigo Janot présente une demande de mise en accusation formelle contre M. Temer pour corruption passive, une procédure inédite pour un président en exercice. - 10 juillet: Le rapporteur d'une commission parlementaire chargée d'étudier la mise en accusation émet un avis favorable à l'ouverture d'un procès. - 13 juillet: Contre l'avis du rapporteur, la commission s'oppose à l'approbation de la mise en accusation par 40 voix contre 23, un vote non contraignant.