Les deux jours de la Conférence sur la Libye à Palerme, en Sicile, ont exposé au grand jour les profondes divisions et conflits d'intérêts entre Libyens mais aussi entre pays tiers, plombant toute tentative de sortir le pays du chaos, estiment des analystes. Depuis la chute du dictateur Mouammar Khadafi en 2011, la Libye est plongée dans le chaos, avec une multitude de groupes armés et des forces politiques rivales. "L'attitude des (...) délégations libyennes présentes à (...) Palerme montre malheureusement que les divergences sont encore très profondes", a déploré Claudia Gazzini, spécialiste de la Libye à Crisis Group. Elle a rappelé que certains protagonistes de la crise ont refusé de s'asseoir à une même table avec leurs rivaux, en plus du boycott de la conférence par l'homme fort de l'Est libyen, le maréchal Khalifa Haftar, chef de l'autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL). Un avis partagé par Khaled Saleh el-Kouafi, professeur à l'université de Benghazi (est), qui a estimé que ce rendez-vous avait "illustré l'ampleur de la crise et des divisions en Libye et la fragilité de la situation". M. Haftar a cependant retrouvé mardi à Palerme lors d'une "réunion informelle" les représentants de plusieurs pays impliqués dans le dossier libyen, dont l'Egypte, la Russie, l'Algérie, la Tunisie et la France. Le chef du gouvernement d'union nationale (GNA) internationalement reconnu, Fayez al-Sarraj, y était également présent.
"Besoin d'une véritable unité" Le Qatar et la Turquie invités à la conférence en ont été exclus. Si Doha a préféré la discrétion, Ankara a claqué la porte. "La Turquie et le Qatar sont venus à Palerme pour protéger les intérêts des groupes terroristes qu'ils soutiennent en Libye", a soutenu mercredi le général Ahmed al-Mesmari, porte-parole de l'ANL, lors d'une conférence de presse. Le maréchal Haftar "a réussi à être la star de cette conférence en refusant de rencontrer certains de ses rivaux (...) et en écartant d'une réunion des pays influents (en Libye) comme la Turquie et le Qatar", a estimé M. Kouafi. "Ces stratégies de division montrent que la voie vers un réel rapprochement est encore longue", a prédit Mme Gazzini, ajoutant que la Libye avait "besoin d'une véritable unité de la communauté internationale". Pour Khaled al-Montasser, professeur de relations internationales à l'Université de Tripoli, aucun rendez-vous "ne pourrait-être un succès tant que des parties internationales font pression sur les Libyens et tant qu'elles avancent des solutions à la crise qui leur conviennent à elles seules". Emad Badi, analyste libyen, a estimé de son côté que la conférence s'inscrivait dans le seul cadre de la lutte d'influence entre Rome et Paris sur le dossier libyen.
"Riposte" "La conférence de Palerme ne s'est pas focalisée sur l'amélioration des relations entre les deux principaux pôles politiques, mais elle fut plutôt la volonté de l'Italie de riposter à l'initiative française", a-t-il dit. Après un sommet libyen à Paris en mai, Rome avait reproché à la France de vouloir faire cavalier seul sur la Libye. Ekhlas al-Mezweghi, chercheuse dans les affaires afro-européennes, a elle aussi déploré la mésentente entre les pays européens sur la Libye, ce qui a un "impact négatif sur la situation actuelle qui pourrait perdurer dans les années à venir". Mais si la conférence a été un "échec" pour plusieurs analystes, certains ont souligné l'importance de deux réunions organisées par l'ONU peu avant l'ouverture de la réunion, à laquelle ont participé des responsables du GNA et du Parlement, exilé dans l'Est. Elles ont été consacrées à l'économie et à la sécurité, deux thèmes ayant un impact direct sur le quotidien des Libyens qui subissent de plein fouet les effets de la crise. L'émissaire de l'ONU en Libye, Ghassan Salamé, s'est par ailleurs félicité de l'appui des participants à la conférence aux réformes prises par le GNA après des combats meurtriers en septembre entre des groupes rivaux près de la capitale. Ces mesures visent à former des forces de sécurité, limiter la corruption, la pénurie de liquidité et la chute du dinar. Selon lui aussi, il a obtenu un "soutien unanime" des participants à la conférence nationale qu'il envisage d'organiser en Libye début 2019, avant le lancement du processus électoral prévu au printemps. Cependant, "à l'heure actuelle, de nombreux Libyens ne sont toujours pas certains du format et des objectifs de cette conférence", note Mme Gazzini. Frederic Wehrey, expert à l'Institut Carnegie Endowment for International Peace, note pour sa part que "certains signes d'appui à un nouveau calendrier (de l'ONU) sont légèrement encourageants". Mais selon lui, "des défis importants subsistent: l'unification des forces de sécurité et des institutions économiques".
Triptyque décisif pour la stabilité Les questions relatives à la sécurité, à la lutte antiterroriste et à la crise liée aux déplacés induite par l'instabilité en Libye ont constitué, lors de la Conférence internationale sur la Libye, les principaux axes à prendre en charge pour le rétablissement de la sécurité dans ce pays et la réalisation de sa stabilité politique et économique. Dans le communiqué final ayant sanctionné les travaux de la Conférence internationale sur la Libye, tenue lundi et mardi à Palerme (Italie) et à laquelle a pris part le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, représentant du président de la République, accompagné du ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, il a été décidé de la poursuite du soutien des efforts de lutte contre le terrorisme, tout en rappelant "les sacrifices consentis par toutes les parties libyennes dans cette lutte". Les participants ont exprimé, dans ce communiqué, leur soutien au dialogue à même d'amorcer le processus d'établissement d'une institution militaire régulière sous l'autorité du pouvoir civil. Les conclusions de la Conférence de Palerme, ayant déploré les hostilités en Libye et le recours à la violence, ont exhorté l'ensemble des parties libyennes à poursuivre la mise en oeuvre totale et rapide des nouveaux accords sécuritaires dans la capitale, basés sur le redéploiement des ces armées et sécuritaires régulières pour remplacer les groupes armés. "La communauté internationale est prête à prendre des sanctions à l'encontre de toute partie qui oserait violer le cessez-le-feu dans la capitale libyenne", ont-ils soutenu. S'agissant de la sécurité, les participants ont affirmé leur disposition à prendre des initiatives pour l'établissement des institutions sécuritaires en Libye, à l'instar du Centre commun d'opérations, ainsi qu'à travers des exercices d'entrainement des éléments des forces sécuritaires régulières. Le rôle des pays voisins dans le rétablissement de la stabilité a été également mis en avant. Ils se sont dits préoccupés par la poursuite de la détérioration de la situation sécuritaire et humaine dans certaines régions libyennes, notamment dans le sud du pays, exprimant leur engagement à rétablir la stabilité dans la région.
Valorisation des réformes économiques engagées Les réformes économiques engagées, récemment, par le gouvernement libyen d'union nationale ont été évoquées dans le communiqué final de Palerme, dans lequel les participants ont plaidé pour la poursuite de leur mise en oeuvre, en collaboration avec la Mission d'appui des Nations unies en Libye (MANUL) et les institutions financières internationales, afin de sécuriser les ressources et investissements susceptibles de garantir les services de base au profit du peuple libyen et d'améliorer son cadre de vie. Ils ont exprimé leur satisfaction quant à l'engagement d'opérer de nouvelles réformes globales dans le domaine monétaire et en termes de mesures de soutien, en se basant sur la feuille de route présentée à Palerme, qui doit être adoptée rapidement. Les efforts en cours pour encourager l'obligation redditionnelle des entreprises économiques ont également été bien accueillis, l'accent ayant été mis sur l'impératif d'outrepasser "toute forme de corruption pour permettre au peuple libyen de jouir de ses ressources". Un appel a également été lancé, dans ce sens, aux organisations internationales concernées pour faire profiter les autorités libyennes de leur expérience dans les domaine technique et professionnel. Par ailleurs, les participants ont plaidé pour un dialogue sur la transparence financière et l'exécution du budget pour une répartition transparente et équitable des ressources.
Souveraineté et intégrité territoriale Les participants à la conférence, ont réaffirmé leur "ferme engagement" pour la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Libye. Dans leur déclaration finale, les participants ont appelé la communauté internationale à "soutenir le processus de stabilisation dans ce pays avec une direction libyenne", mettant en avant "leur ferme engagement pour la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Libye". La situation politique et sécuritaire actuelle est "conjoncturelle" et "il n'y a pas de solution militaire en Libye", ont-ils-soutenu. A cette occasion, les participants ont réitéré "leur approbation et total soutien au plan d'action de l'Organisation des nations unies (ONU) pour la Libye et aux efforts de l'envoyé personnel du secrétaire général onusien, Ghassan Salamé", se félicitant du briefing qu'il avait présenté au Conseil de sécurité le 8 novembre 2018 dans lequel il avait appelé à "la tenue d'une rencontre nationale inclusive dirigée par la Libye durant les premières semaines de 2019". A cet effet, ils ont mis l'accent sur l'importance "de rouvrir les portes d'inscription sur les listes électorales", réitérant "leur détermination à suivre de près les résultats de la conférence de Palerme et à évaluer l'application des engagements pris". Par ailleurs, les participants ont salué l'engagement des délégations libyennes à "encourager la chambre des représentants pour la promulgation d'une loi à l'effet d'accomplir le processus constitutionnel en tant qu'acquis principal pour la souveraineté de la nation libyenne et à s'acquitter de leurs responsabilités en vue de tenir des élections crédibles".
Engagement des Libyens Pour sa part, l'émissaire des Nations unies pour la Libye Ghassan Salamé s'est dit "rassuré" sur l'engagement des Libyens en vue d'un règlement de la crise dans leur pays et notamment sur leur soutien à la "conférence nationale" libyenne qu'il entend convoquer pour le printemps prochain. L'organisation de cette conférence nationale a été "rendue plus facile aujourd'hui grâce au soutien unanime des différentes parties libyennes" et à "l'engagement clair des Libyens à y participer", a affirmé M. Salame à l'occasion d'une conférence de presse, avec le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte, en marge de la conférence de Palerme sur la Libye. Outre les principaux dirigeants libyens dont le président du Conseil présidentiel, Fayez Al-Sarraj, le président de la chambre des représentants, Aguila Saleh, le président du Haut Conseil d'Etat, Khaled Al Mechri et l'envoyé spécial des Nations unies pour la Libye, Ghassan Salamé, prennent part à cette Conférence initiée par l'Italie, notamment les pays voisins de la Libye, à l'instar de la Tunisie, l'Algérie, l'Egypte parmi une vingtaine de pays. La Conférence vise à "identifier les étapes d'un processus de stabilisation". Elle s'appuiera sur la responsabilité de la partie libyenne et le respect du parcours prévu par l'ONU pour résoudre la crise en concentrant les débats sur une "approche inclusive" en vue de ramener la stabilité et la sécurité à la Libye. Il s'agit d'aboutir à une solution commune entre les parties protagonistes libyennes appelées à dépasser leur différence d'opinion.