L'Union européenne veut décider, lundi, un relèvement de ses quotas de production de lait pour faire face à la hausse de la demande et des prix du beurre ou du fromage, malgré l'opposition de plusieurs pays qui s'inquiètent des conséquences pour la profession. "Il y a quelques Etats membres qui continuent à avoir des problèmes (avec cette hausse) mais je pense que nous aurons une majorité qualifiée pour cette décision", a déclaré à la presse le ministre slovène de l'Agriculture, Iztok Jarc, dont le pays préside l'UE, avant une réunion à Bruxelles avec ses collègues européens. Il s'agit de relever les quotas de 2% pour la campagne laitière 2008 débutant en avril. La Commission, à l'origine de la proposition, y voit une première étape dans un processus qui doit conduire l'Europe à mettre définitivement fin, d'ici 2015, au système des quotas mis en place en 1984. A l'époque, il s'agissait de lutter contre les excédents qui donnaient le jour à des "montagnes" de beurre invendu dans l'UE. La mesure, même si elle est pour l'instant limitée à une année, amorce donc potentiellement une rupture historique dans la politique agricole commune qui, pendant des décennies, a consisté à limiter la production. Le contexte mondial a changé, avec une explosion des prix agricoles et alimentaires, conséquence notamment d'une demande en forte hausse des pays émergents comme l'Inde ou la Chine, où le développement économique change les habitudes alimentaires des populations. Les quotas doivent augmenter "car nous avons une hausse de la demande pour le lait frais en Europe mais surtout, et c'est à mon avis plus important, parce que de nouveaux marchés s'ouvrent en Asie", a fait valoir, lundi, la commissaire européenne à l'Agriculture, Mariann Fischer Boel. "Si nous ne parvenons pas à mettre le pied dans la porte (de ces marchés) avec les produits européens de grande qualité, comme le fromage, il sera très difficile d'y revenir plus tard", a-t-elle ajouté. Mais pour certains pays, et non des moindres, l'UE met le doigt dans un engrenage dangereux pour l'industrie laitière dans son ensemble, qui a dû supporter pendant des années des prix trop bas.Cette hausse de quotas est "une décision politique erronée", a ainsi protesté le ministre allemand de l'Agriculture, Horst Seehofer, dont le pays est le principal producteur de lait en Europe. A ses yeux, le moment est mal choisi car si les prix laitiers ont effectivement explosé l'été dernier (hausse du prix du beurre de jusqu'à 50% en Allemagne!), le problème se pose avec beaucoup moins d'acuité aujourd'hui. "Depuis plusieurs semaines, les prix reculent déjà. Une hausse des quotas les ferait baisser davantage et mettrait l'existence de nombreux producteurs de lait en danger", a-t-il ajouté, en réclamant de la Commission des aides spécifiques pour les producteurs les plus fragiles, en zones de montagne notamment. Son collègue français, Michel Barnier, a aussi mis en garde contre "un retournement du marché". "Je peux comprendre qu'on augmente très modestement les quotas cette année parce que la demande est là, mais je mets en garde contre des décisions qui peuvent être lourdes de conséquences à l'avenir", a-t-il dit. L'Allemagne et l'Autriche veulent voter contre le relèvement de quotas, et la France s'abstenir. Ces trois pays comptent publier à l'occasion de la réunion une déclaration soulignant leur inquiétude pour l'avenir de l'industrie laitière, même si cela ne devrait pas être suffisant pour empêcher l'adoption de la mesure. Par ailleurs, les gouvernements européens ont adressé lundi une fin de non recevoir, en l'état, à une proposition de la Commission visant à réduire nettement les subventions agricoles les plus élevées dans l'UE, qui frapperait surtout le Royaume-Uni et l'Allemagne. Toute diminution sensible du niveau de paiement, pour les paiements les plus importants, risquerait d'avoir des conséquences néfastes non négligeables dans certains Etats membres, souligne un texte adopté par les ministres européens de l'Agriculture réunis à Bruxelles. Ce rejet ne constitue pas en soi une surprise, plusieurs pays ayant déjà exprimé au cours des derniers mois tout le mal qu'ils pensaient de la proposition. Mais il est désormais acté au nom de tous les Etats de l'UE, ce qui va obliger selon toute vraisemblance la Commission à revoir sa copie. La commissaire à l'Agriculture, Mariann Fischer Boel, avait fait cette suggestion en novembre dans le cadre du "bilan de santé de la PAC", une série de mesures appelées à améliorer le fonctionnement de la politique agricole commune. Elle doit faire en mai des propositions législatives définitives à ce sujet, avant une décision par les Etats membres attendue d'ici fin 2008. Actuellement, environ 80% des subventions agricoles de l'Union européenne profite à seulement 20% des exploitants. La Commission suggère donc de les réduire progressivement lorsqu'elles dépassent un montant déterminé, par exemple 100 000 euros. La mesure affecterait principalement quatre pays où elles sont concentrées: la Grande-Bretagne, où un petit nombre de propriétaires terriens aristocratiques --à commencer par la famille royale-- perçoit d'importantes aides, l'Allemagne, qui a hérité d'exploitations de très grande taille de l'ex-RDA, la République tchèque et le Danemark. Une première tentative de la Commission en 2002 sur ce sujet très sensible, pour limiter les aides à 300 000 euros, s'était déjà soldée par un échec du fait de l'opposition de Berlin et de Londres. Mme Fischer Boel a déjà indiqué qu'elle pourrait s'orienter vers une solution de compromis proposée par le Parlement européen. Ce dernier suggère de s'en prendre par un autre biais aux subventions directes versées aux plus grandes exploitations, en les obligeant à consacrer davantage de fonds que les petites au développement rural et à l'environnement. Dans le même ordre d'idées, les ministres européens entendent continuer à garder "toute latitude pour fixer un niveau minimal de paiement" aux exploitants, alors que Bruxelles propose d'augmenter la superficie minimale donnant droit aux subventions de l'UE. Elle est fixée actuellement à 0,3 hectare. Les ministres insistent aussi sur la nécessité de préserver un système de gestion et de prévention des crises agricoles, pour donner aux exploitants "un filet de sécurité efficace". Et se montrent réservés concernant la suppression envisagée par la Commission de mécanismes dite d'"intervention" (prix garantis de rachat aux agriculteurs) notamment pour les céréales. Pour le reste, ils ont approuvé dans leur texte, lundi, les grandes lignes des propositions de la Commission visant à adapter et simplifier la PAC, après la réforme de 2003.