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Lorsque le présent se conjugue au passé
«Paris berbère», de Hédi Bouraoui
Publié dans Le Midi Libre le 17 - 12 - 2011

La relation franco-algérienne reste complexe et elle n'est pas seulement à un niveau diplomatique ou économique mais à des niveaux individuels où l'histoire commune gangrène la vie des personnes et devient de plus en plus embrouillée. Cette relation a fait et fera l'objet de divers écrits romanesques, essayistes, théâtraux et cinématographiques. La dernière œuvre de Hédi Bouraoui «Paris berbère» vient conforter ce thème.
La relation franco-algérienne reste complexe et elle n'est pas seulement à un niveau diplomatique ou économique mais à des niveaux individuels où l'histoire commune gangrène la vie des personnes et devient de plus en plus embrouillée. Cette relation a fait et fera l'objet de divers écrits romanesques, essayistes, théâtraux et cinématographiques. La dernière œuvre de Hédi Bouraoui «Paris berbère» vient conforter ce thème.
Paru aux Editions du Vermillon, la trame de ce roman est axée essentiellement sur la vie d'un couple franco-algérien : Théophile Deviau et Tassadit Aït Mohand. A travers cette relation, le narrateur montre combien les choses sont difficiles à surmonter entre ces deux individus dûment différents : «A plusieurs reprises, elle me fit comprendre que trop de différences nous séparaient : la religion, la culture, les us et coutumes, sans parler de nos héritages respectifs qui brouillaient à notre insu notre carte du tendre.» (p. 179)
Frontières historiques, frontières culturelles ; l'intrigue, tissée de relations duelles, montre que les plaies de la guerre d'Algérie et de la colonisation demeurent à vif. Les différences unissent autant qu'elles séparent les êtres et les communautés.
Les vivants voudraient remonter l'Histoire et en réparer les injustices. Théo se passionne pour son ancêtre du 17e siècle, Théophile de Viau, «prince des poètes», persécuté et emprisonné. Parallèlement, Tassadit ne peut oublier l'assassinat de son père, poète et descendant du chantre berbère Aït Mohand. Elle a fait le pari de venger ce père considéré comme un traitre par les siens et traité en paria dans son pays d'adoption. «Aller à la recherche de la mémoire non pour capter les faits et gestes passés, mais la foudre qui a donné lieu aux tempêtes, de tous bords, déclenchées par le cœur !» (p.63). Paris berbère s'attarde aussi sur le sort tragique des harkis, combattants algériens pour la France, occultés de part et d'autre. Mai 68, guerre d'Algérie... Dans Paris berbère, ces échos du passé sont un vibrant rappel des «Indignés» d'aujourd'hui.
Une histoire d'amour
Le roman «Paris berbère», «un récit à une seule voix, si pittoresque qu'il frise la littérature de voyage, mais qui se lit d'une seule traite, comme un suspense, écrit dans une langue chatoyante, pleine de verve et de fantaisie», dira de lui le critique tunisien Rafik Darragi. Avec ce roman, le narrateur place un débat amplement d'actualité, ou quelques personnes s'opposent à l'amour, s'oppose aux relations humaines s'insincères car ils sont emprisonnés dans leurs préjugés, dans leur racisme, dans leurs idéologies obscurantistes : «Je n'ai jamais su si mon père aimait ou détestait les Maghrébins, s'il approuvait la politique de De Gaulle ou non, s'il se plaçait du côté des colons ou des colonisés. Ses confessions créaient des incertitudes qui m'incitaient à me lancer dans une quête de vérité à jamais élusive.» (p.17)
Théo fait sa demande à Tassadit la Kabyle dans un lieu symbolique chargé d'histoire : l'Arc de Triomphe. Vont-ils triompher devant tant d'obstacles, devant les blessures et le passé. C'est ce que le narrateur avait si bien formulé en disant : «Sauront- ils dire la mère merveilleuse par-delà l'absence, et le père au- delà de la vengeance ? Leur faudra-t-il, comme le canal, ''mourir en livrant ses eaux tranquilles au courant exigeant de la Seine ?'' Ou bien vivre en chantant en chœur les souvenirs couchés en mots magiciens pour étancher la soif des curieux ?»
Hédi Bouraoui est né à Sfax, en Tunisie. Eduqué en France, il enseigne et écrit à Toronto. Il est l'auteur d'une vingtaine de recueils de poésie, d'une douzaine de romans, et d'une dizaine d'essais de critique littéraire où il fait l'analyse d'une francophonie plurielle.
Il se définit d'abord comme un auteur de poèmes, romans, nouvelles, contes et essais.
Mais il est également un critique littéraire à la renommée internationale : littérature française du XXe siècle, littératures francophones : Ontario français, Maghreb, Afrique sub-saharienne, Caraïbes, tout comme il fut un enseignant passionné.
Son approche aux diverses littératures est surtout d'analyse textuelle, sémiotique, structurelle, existentielle, phénoménologique, déconstructionniste... méthode éclectique qui met l'accent sur l'apport socio-culturel, l'identité, l'altérité et la différence.
Un auteur au-delà
des frontières
Il ressent l'Afrique comme son continent natal, la France comme celui du cœur et de la langue, le Canada comme sa terre d'adoption. Héritier de trois cultures, maghrébine, française et canadienne, l'écrivain emprunte son inspiration aux valeurs culturelles qui circulent à travers le cosmos.
Ce n'est plus la veine romantique - le moi qui se replie sur lui même - mais une écriture ouverte aux altérités dans un monde "village global" de plus en plus complexe. Il adore la ville de Toronto, dans l'Ontario, pour y avoir écrit toute son œuvre et, sur le plan professionnel, mis en place le premier programme d'études « transculturelles » au Collège Universitaire Stong, Université York. Il rappelle qu' "ainsi la mosaïque canadienne fait écho à (s)on multiculturalisme originaire carthaginois et (s)es rites de passage gascon et périgourdin".
En France, il aime Paris, ville lumière, source d'inspiration où il se ressource la moitié de l'année. Il apprécie la vie dans la splendide capitale française, carrefour des rencontres, lui renvoyant l'image de sa transculturalité profonde, tant sur le plan linguistique, littéraire, qu'existentiel ou civilisationnel.
L'itinéraire personnel et en somme tricontinental de Hédi Bouraoui participe des tenants et aboutissants de sa démarche d'intellectuel et de créateur. Le "et" n'étant pas du tout exclusif mais intégré. Certes professeur, essayiste, conférencier, théoricien, il est avant tout, et selon Georgette Toësca, «un des meilleurs représentants de ce que peut être une symbiose de cultures (qui) vit cette expérience avec enthousiasme et équilibre, sans rien renier toutefois de ses origines et de son tempérament maghrébin».
L'écriture d'Hédi Bouraoui se distingue par une facture avant-gardiste qui capte l'époque post-moderne dans laquelle il vit. D'où un style alliant l'oralité ancestrale aux divers « beat » du jazz et autres musiques nord-américaines. Son écriture se caractérise aussi par la « forgerie » de mots-concepts nouveaux ( transculturel, amourir, écrivoyance, musocktail, échosmos, émigressence...).
Ecriture interstitielle (sa conception), qui travaille dans les interstices de plusieurs cultures afin de révéler la pluralité civilisationnelle qui nous caractérise, et donc miner l'hégémonie de toute culture nationale unique. Ses sujets de prédilection sont les chevauchements et les brassages culturels, la tolérance et la paix entre les peuples de toutes les nations et de toutes les croyances.
Mais aussi l'harmonie entre les êtres lorsqu'ils auront compris leur identité originelle et celle des autres: un transculturalisme qui transcende et transvase ses données pour être disponible, et recevoir la pluralité essentielle des différences.
Paru aux Editions du Vermillon, la trame de ce roman est axée essentiellement sur la vie d'un couple franco-algérien : Théophile Deviau et Tassadit Aït Mohand. A travers cette relation, le narrateur montre combien les choses sont difficiles à surmonter entre ces deux individus dûment différents : «A plusieurs reprises, elle me fit comprendre que trop de différences nous séparaient : la religion, la culture, les us et coutumes, sans parler de nos héritages respectifs qui brouillaient à notre insu notre carte du tendre.» (p. 179)
Frontières historiques, frontières culturelles ; l'intrigue, tissée de relations duelles, montre que les plaies de la guerre d'Algérie et de la colonisation demeurent à vif. Les différences unissent autant qu'elles séparent les êtres et les communautés.
Les vivants voudraient remonter l'Histoire et en réparer les injustices. Théo se passionne pour son ancêtre du 17e siècle, Théophile de Viau, «prince des poètes», persécuté et emprisonné. Parallèlement, Tassadit ne peut oublier l'assassinat de son père, poète et descendant du chantre berbère Aït Mohand. Elle a fait le pari de venger ce père considéré comme un traitre par les siens et traité en paria dans son pays d'adoption. «Aller à la recherche de la mémoire non pour capter les faits et gestes passés, mais la foudre qui a donné lieu aux tempêtes, de tous bords, déclenchées par le cœur !» (p.63). Paris berbère s'attarde aussi sur le sort tragique des harkis, combattants algériens pour la France, occultés de part et d'autre. Mai 68, guerre d'Algérie... Dans Paris berbère, ces échos du passé sont un vibrant rappel des «Indignés» d'aujourd'hui.
Une histoire d'amour
Le roman «Paris berbère», «un récit à une seule voix, si pittoresque qu'il frise la littérature de voyage, mais qui se lit d'une seule traite, comme un suspense, écrit dans une langue chatoyante, pleine de verve et de fantaisie», dira de lui le critique tunisien Rafik Darragi. Avec ce roman, le narrateur place un débat amplement d'actualité, ou quelques personnes s'opposent à l'amour, s'oppose aux relations humaines s'insincères car ils sont emprisonnés dans leurs préjugés, dans leur racisme, dans leurs idéologies obscurantistes : «Je n'ai jamais su si mon père aimait ou détestait les Maghrébins, s'il approuvait la politique de De Gaulle ou non, s'il se plaçait du côté des colons ou des colonisés. Ses confessions créaient des incertitudes qui m'incitaient à me lancer dans une quête de vérité à jamais élusive.» (p.17)
Théo fait sa demande à Tassadit la Kabyle dans un lieu symbolique chargé d'histoire : l'Arc de Triomphe. Vont-ils triompher devant tant d'obstacles, devant les blessures et le passé. C'est ce que le narrateur avait si bien formulé en disant : «Sauront- ils dire la mère merveilleuse par-delà l'absence, et le père au- delà de la vengeance ? Leur faudra-t-il, comme le canal, ''mourir en livrant ses eaux tranquilles au courant exigeant de la Seine ?'' Ou bien vivre en chantant en chœur les souvenirs couchés en mots magiciens pour étancher la soif des curieux ?»
Hédi Bouraoui est né à Sfax, en Tunisie. Eduqué en France, il enseigne et écrit à Toronto. Il est l'auteur d'une vingtaine de recueils de poésie, d'une douzaine de romans, et d'une dizaine d'essais de critique littéraire où il fait l'analyse d'une francophonie plurielle.
Il se définit d'abord comme un auteur de poèmes, romans, nouvelles, contes et essais.
Mais il est également un critique littéraire à la renommée internationale : littérature française du XXe siècle, littératures francophones : Ontario français, Maghreb, Afrique sub-saharienne, Caraïbes, tout comme il fut un enseignant passionné.
Son approche aux diverses littératures est surtout d'analyse textuelle, sémiotique, structurelle, existentielle, phénoménologique, déconstructionniste... méthode éclectique qui met l'accent sur l'apport socio-culturel, l'identité, l'altérité et la différence.
Un auteur au-delà
des frontières
Il ressent l'Afrique comme son continent natal, la France comme celui du cœur et de la langue, le Canada comme sa terre d'adoption. Héritier de trois cultures, maghrébine, française et canadienne, l'écrivain emprunte son inspiration aux valeurs culturelles qui circulent à travers le cosmos.
Ce n'est plus la veine romantique - le moi qui se replie sur lui même - mais une écriture ouverte aux altérités dans un monde "village global" de plus en plus complexe. Il adore la ville de Toronto, dans l'Ontario, pour y avoir écrit toute son œuvre et, sur le plan professionnel, mis en place le premier programme d'études « transculturelles » au Collège Universitaire Stong, Université York. Il rappelle qu' "ainsi la mosaïque canadienne fait écho à (s)on multiculturalisme originaire carthaginois et (s)es rites de passage gascon et périgourdin".
En France, il aime Paris, ville lumière, source d'inspiration où il se ressource la moitié de l'année. Il apprécie la vie dans la splendide capitale française, carrefour des rencontres, lui renvoyant l'image de sa transculturalité profonde, tant sur le plan linguistique, littéraire, qu'existentiel ou civilisationnel.
L'itinéraire personnel et en somme tricontinental de Hédi Bouraoui participe des tenants et aboutissants de sa démarche d'intellectuel et de créateur. Le "et" n'étant pas du tout exclusif mais intégré. Certes professeur, essayiste, conférencier, théoricien, il est avant tout, et selon Georgette Toësca, «un des meilleurs représentants de ce que peut être une symbiose de cultures (qui) vit cette expérience avec enthousiasme et équilibre, sans rien renier toutefois de ses origines et de son tempérament maghrébin».
L'écriture d'Hédi Bouraoui se distingue par une facture avant-gardiste qui capte l'époque post-moderne dans laquelle il vit. D'où un style alliant l'oralité ancestrale aux divers « beat » du jazz et autres musiques nord-américaines. Son écriture se caractérise aussi par la « forgerie » de mots-concepts nouveaux ( transculturel, amourir, écrivoyance, musocktail, échosmos, émigressence...).
Ecriture interstitielle (sa conception), qui travaille dans les interstices de plusieurs cultures afin de révéler la pluralité civilisationnelle qui nous caractérise, et donc miner l'hégémonie de toute culture nationale unique. Ses sujets de prédilection sont les chevauchements et les brassages culturels, la tolérance et la paix entre les peuples de toutes les nations et de toutes les croyances.
Mais aussi l'harmonie entre les êtres lorsqu'ils auront compris leur identité originelle et celle des autres: un transculturalisme qui transcende et transvase ses données pour être disponible, et recevoir la pluralité essentielle des différences.


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