«Que faire? », se demandait Madjid Laribi, dans un article publié récemment sur LQA. Un pouvoir usé, miné par la corruption et les luttes de clans, une opposition de façade aux ordres, les quelques rares véritables opposants en panne d'idées et divisés, des intellectuels acquis au khobzisme ou dispersés aux quatre coins de la planète, une société vidée de toutes ses valeurs et ployant sous le poids de la vie quotidienne rendue de plus en plus pénible par les multiples dysfonctionnements d'un système qui n'en finit pas de recycler les hommes qui ont pris part à la mise en œuvre de politiques dont l'échec est plus qu'avéré… La colonne du passif est surchargée et s'alourdit de jour en jour. Où va notre pays? Que veulent ses dirigeants, à part se maintenir indéfiniment au pouvoir? Que veut l'opposition? Que veut la population? Ou bien, tout le monde trouve-t-il son compte dans cette immense galère qu'est devenue l'Algérie? Du temps de Chadli, on disait : l'Etat fait semblant de payer les gens et ces derniers font semblant de travailler. Nous faisons semblant d'avoir un Etat, un président, un gouvernement, une économie, des écoles et des universités, des hôpitaux, etc. Nous faisons semblant d'être de bons musulmans ou de bons démocrates. Les jours, les semaines, les mois, les années et les décennies passent et rien ne s'arrange. Tel un bateau perdu sur l'océan, notre pays n'en finit pas de dériver au gré des courants. Le prix du pétrole grimpe, et la vie redevient soudain belle; on oublie toutes les tempêtes passées et toutes les bonnes résolutions. L'argent coule à flot, irriguant abondamment tous les circuits institutionnalisés de la prédation et de la corruption. Qu'il descende au-dessous de 50 dollars le baril et c'est la panique à bord! On se rappelle soudain qu'il existe des règles économiques impitoyables et que la facture devra être payée un jour ou l'autre. Après moi le déluge : telle semble être la devise des Algériens, peuple et Etat, gouvernants et gouvernés. Englués dans un système politique qui a dès le premier jour été basé sur la prévalence de la force sur la négociation, le dialogue et le consensus, nous n'en finissons pas de nous enfoncer. Le cercle des décideurs a rétréci, année après année, depuis 1962. Après s'être débarrassé de tous les civils d'envergure qui avaient dirigé le combat pour l'indépendance et qui refusaient d'accepter le fait accompli – Boudiaf, Aït-Ahmed, Ferhat Abbas, Benkhedda, Khider, Krim Belkacem et même Ben Bella – le colonel qui avait patiemment attendu son heure s'attela à mettre la société tout entière sous sa botte, la terrorisant et la maintenant dans un état de totale dépendance vis-à-vis de l'Etat policier rentier qu'il mit en place. Ses disciples continueront le travail de sape de toutes les énergies vives jusqu'au face-à-face sanglant avec une population poussée dans ses derniers retranchements. Je terminais un précédent article par la phrase suivante : «Il faut continuer dans cette voie [celle de l'éveil des consciences initiée par l'Appel du 19 mars à travers LQA], jusqu'à ce que les petites lumières deviennent un grand feu, un immense brasier qui brûlera toute la pourriture.» La pourriture dont je parle n'est pas seulement d'ordre moral, c'est une pourriture organique. C'est la pourriture qui s'installe dans un arbre mort livré aux termites et aux parasites de toutes sortes. Le pouvoir algérien est tel ce végétal que la vie a quitté depuis longtemps mais qui reste debout, incapable de produire de nouvelles pousses. Comment sortir de ce système moribond qui ne veut pas et ne peut pas se réformer? Après avoir subi pendant 48 ans un pouvoir autoritaire qui lui refuse toute autonomie, la société algérienne n'est-elle pas prête à rejeter définitivement toute forme d'autoritarisme? Les Algériennes et le Algériens n'aspirent-ils pas à devenir enfin des citoyens libres, conscients de leurs droits et devoirs qui refusent qu'un groupe se proclame leur tuteur et les mène comme on mène un troupeau de moutons? N'ont-ils pas enfin compris que seule la démocratie véritable, celle de l'alternance au pouvoir et de la libre confrontation des idées et des programmes politiques est porteuse de stabilité et de prospérité? Ils doivent prendre conscience d'une vérité incontournable : les divergences et les antagonismes qui traversent la société algérienne doivent pouvoir s'exprimer librement et pacifiquement afin qu'un tri entre les vraies et les fausses valeurs, entre les vérités et les mythes, se fasse et que la sérénité s'installe. Nous ne sommes pas différents des autres peuples du monde et nous avons les mêmes besoins qu'eux. Nous ne devons pas nous faire les défenseurs des valeurs générées durant la période de décadence et de repli sur soi que notre aire civilisationnelle a connus depuis de nombreux siècles. Nous devons renouer avec les valeurs qui ont porté la civilisation arabo-musulmane au zénith tout en faisant nôtres celles que le monde d'aujourd'hui a fait siennes et qui ont fait leurs preuves, en particulier le respect de la personne humaine dans ses droits fondamentaux, quelque soient ses opinions politiques et ses croyances. Nous voyons encore certains intervenants sur LQA rejeter la démocratie, alors que l'Appel du 19 mars est très clair à ce sujet. Toutes celles et tous ceux qui adhèrent à l'Appel du 19 mars se doivent de défendre les valeurs autour desquelles les signataires de cet appel historique ont articulé leur plate-forme politique. Quelque soient nos divergences pour ce qui est du projet de société et d'autres questions importantes, nous devons nous unir autour d'un seul mot d'ordre : démanteler le pouvoir autoritaire mis en place en 1962 pour mettre à sa place un Etat véritablement démocratique dans lequel tous les acteurs politiques s'engagent à respecter la liberté d'opinion et de conscience ainsi que l'alternance au pouvoir. Une démocratie qui donne au parti qui obtient la majorité le droit de gouverner, tout en permettant à la minorité de continuer à s'exprimer et à défendre ses idées et son programme afin de devenir à son tour la majorité. Toute autre position reviendrait à faire objectivement le jeu du pouvoir en place et à favoriser l'immobilisme ou à entrainer notre pays dans un nouveau coup de force qui mettrait au pouvoir un nouvel homme fort, un nouveau groupe d'Oujda, qui maintiendrait le peuple algérien sous une nouvelle tutelle. Tous les patriotes sincères se doivent d'adhérer à ce mot d'ordre afin de mettre définitivement un terme à l'ère de l'autoritarisme et de l'arbitraire et permettre à toutes les Algériennes et tous les Algériens de devenir enfin des citoyens libres et égaux en droits et en devoirs.