En Algérie, réveil lourd et difficile après les manifs de samedi In RUE89 Par Sofia Djama | Réalisatrice | 14/02/2011 | 15H15 Les Algériens seraient-ils de moins bon marcheurs que les Tunisiens ou les Egyptiens ? La tentative algérienne du 12 février nous amène à penser que oui. Car la marche, ce mouvement aussi simple qu'il puisse paraître, est un acte d'une extrême complexité. Il fait appel à la coordination entre le système nerveux et le système locomoteur. La marche dépend aussi de l'équilibre régi par l'oreille interne. Samedi 12 février, de petits corps fragiles se sont présentés sur la place du 1er Mai à Alger, sur la place d'Armes à Oran [aujourd'hui place du 1er Novembre, ndlr] , ainsi que dans d'autres villes d'Algérie, afin de pratiquer synchroniquement cet acte physique naturel et inaliénable, sauf cas d'incident. Marcher, c'est l'enclenchement de mouvements, de muscles qui embarquent une masse corporelle, c'est une production d'énergie, et le tout est lié par une volonté, celle du corps et de l'esprit. C'est avancer ensemble vers un objectif commun : se réapproprier notre Algérie que l'on nous a confisquée depuis près de cinquante ans. Impulsion défaillante, entrave sécuritaire Que s'est-il donc passé pour que le 12 février, quand une énergie nous est venue de Tunisie et d'Egypte, censée alimenter nos jeunes corps d'Algérie, ceux-ci n'aient pas pu faire bloc et exprimer une volonté par un acte ? Il y a eu d'abord ce système nerveux, appelons le « coordination nationale », qui a fait preuve de défaillance, incapable d'organiser le mouvement. Si bien que le système locomoteur, donc la première forme d'exécution, se retrouve à lancer comme elle peut et désespérément la masse corporelle dans un espace qu'elle ne parvient à intégrer que très difficilement. Car entre-temps, les articulations ont été touchées par un événement extérieur, une force contraire évidente depuis quelques jours. Elle est habillée d'uniformes bleus, munie de matraques en bois, et de bombes lacrymogènes ; appelons la « la force anti-émeute ». Ils n'étaient pas moins de 25 000 policiers le 12 février [entre 30 000 et 35 000 selon la presse internationale, ndlr]. Une presse internationale avide de sensationnel La coordination ainsi que la pseudo opposition n'ont pu réorganiser le mouvement : elles étaient plutôt affairées à expliquer le propos, pourtant notoire, de la marche à une presse internationale avide de sensationnel. Seulement, le sensationnel n'a pas été rendu possible, puisque nous, « la masse corporelle », étions livrés à notre triste sort, tentant de garder un équilibre précaire, tout en essayant de gagner quelques petits pas, vers la promise place des Martyrs. Et ce malgré l'absence d'énergie locale et faisant avec un cumul d'informations transmises à nos oreilles internes (arrestations, manipulations, et perturbations). Nos corps ont été peu à peu démembrés. Le mouvement s'est éclaté, la marche a été immobilisée. Nos muscles se sont à nouveau engourdis. Avant la fin de la journée, nous nous sommes traînés chez nous, à plat ventre, avec un arrière goût d'échec dans la gorge, rendant l'expression orale impossible, nous nous contentons d'une toute petite victoire, les échos des rassemblements spontanés à Paris et à Montréal, encouragés par nos nouveaux amis tunisiens et égyptiens. Seule certitude : la nécessité d'une rupture 13 février, réveil lourd et difficile. Mais aussi un constat : pour savoir marcher, il faut savoir d'abord structurer, et identifier toute notre anatomie. Réveil approximatif dans un pays approximatif, où la seule certitude que nous traînons comme un boulet, est la nécessité d'une rupture avec un système aussi dur que de l'acier trempé qui nous oblige à l'immobilisme. Ce système a engourdi nos muscles pendant si longtemps que nous en sommes arrivés à ne plus savoir accomplir l'acte le plus naturel que puisse ambitionner un corps humain jeune et a priori en bonne santé : marcher. Lectures: