Ahmed Selmane . Mardi 29 Novembre 2011 Toute l'Afrique du Nord de l'Egypte au Maroc est en mouvement ou bien tente de donner une apparence de mouvement. Le régime algérien fait ouvertement vœu d'immobilité. L'incarnation présidentielle du pouvoir donne ouvertement des signes de grande lassitude et les «animateurs », les présumés partis politiques, patinent et ne savent plus quel thème agiter pour assumer leur « rôle ». Il est vrai que le système algérien demande à ses relais subalternes de parler sans rien dire. On sait depuis au moins Staline que ceux qui n'ont pas le pouvoir sont confinés et « contraints » à l'expression en forme de langue de bois. Il faut dire sans rien dire ! La comédie de la politique organisée par le système algérien est d'une simplicité inégalable. Les acteurs disent sans rien dire du tout. Les algériens l'ont compris depuis longtemps. Il n'y a que les pauvres diplomates en poste en Algérie qui cherchent quelque chose dans la trivialité de la guéguerre au sein du djihaz du FLN et les accusations que lance contre lui un autre parti de bloquer les « réformes » du président. On trouve même des députés qui en appellent au Président pour « légiférer par ordonnances » pour soi-disant « libérer » les réformes. Les diplomates, parait-il astreint à donner de la copie à leur centrale et soucieux de ne pas être pris par surprise comme pour la chute du très « stable » Ben Ali, ont de quoi remplir des rapports avec le vide. Les algériens, eux, ont perdu jusqu'au réflexe d'écouter et de voir les titres du JT du 20 heures avant de zapper. Vague verte « light » En Egypte, les choses ne cessent de bouger avec un bras de fer politique à multiples directions. Entre une armée qui veut préserver ce qu'elle peut de l'ancien système – dans lequel elle avait le rôle principal – et des révolutionnaires sympathiques, romantiques, mais qui ne semblent pas se rendre compte de l'impatience sociale d'un « retour d'ordre », un tiers acteur pointe. Les Frères Musulmans s'offrent, aux égyptiens, comme une « ligne médiane » entre une armée suspecte de vouloir restaurer un ordre honni et des jeunes « trop radicaux » pour une population dont une bonne partie est dans l'optique de la simple survie. En toile de fond, un ordre impérial et une situation géopolitique compliquée qui pousse à des arrangements qui ne bousculent pas trop les choses. Une seule chose est sure : la très lourde Egypte bouge, des acteurs nouveaux émergent, des acteurs anciens sont bousculés. Un nouvel ordre se cherche. Dans lequel le radicalisme démocratique romantique de la Place Al-Tahrir joue bien un rôle d'éclaireur et de témoin vivant pour que l'inévitable retour d'ordre incarné dans des institutions ne se transforme pas en une nouvelle fermeture pour d'autres décennies. Il faut noter que les Frères Musulmans ont bien une activité caritative et sociale significative mais qu'ils restent un parti de droite qui défend le même libéralisme économique que celui de Moubarak. La Place Al-Tahrir donne surtout à voir une « middle class » instruite qui se veut – cela est discutable – l'incarnation d'une « légitimité révolutionnaire ». Mais une légitimité en voie d'être submergée par le recours aux urnes et à l'expression majoritaire. Mais ce que ne montre pas Place Al-Tahrir ou alors très imparfaitement est que derrière la révolution, il y a une grande contestation sociale qui s'exprime. Et qui risque d'être étouffée, pendant un certain temps, par la capacité de Frères Musulmans à exercer un contrôle social permettant au vieil ordre de reprendre des forces. Quitte à passer en vert présumé « Light ». Le coté rassurant est que beaucoup d'égyptiens ont goutté à la liberté de s'exprimer. Et ils ne sont pas prêts à l'abandonner de sitôt. Même si les urnes – et à l'évidence cela semble bien marcher – vont contraindre Place Al-Tahrir à penser la politique différemment. Et à s'organiser différemment. Une chose est certaine : l'Egypte est en mouvement. Et ceux qui sont ou seront aux affaires vont devoir tenir compte d'une société avec ses différences et ses divergences et dont l'existence politique a été constamment niée. Maroc : l'ombre du Palais Le Maroc bouge ? Pas vraiment, même si les médias français très amoureux de la « dolce vita » veulent le faire croire au monde entier. Avec une certaine réussite d'ailleurs. Comparativement à l'Egypte et à la Tunisie, le Maroc fait du surplace. Ou bien applique à la lettre la règle de Lampedusa édictée dans le Guépard : que quelque chose bouge pour que tout reste en place. C'est assez bien mené. Après une révision constitutionnelle qui n'a pas changé l'ordre du système mais qui a opéré des adaptations sémantiques, le Palais a organisé une compétition entre partis de l'establishment qui donne aux islamistes du PJD (Parti de la Justice et du développement) une avance relative qui lui permet de prétendre au poste de chef de gouvernement mais qui le contraint à s'allier avec d'autres partis. Le Palais garde la main. Et la Constitution révisée indique que le roi le « contraint » à prendre un Premier Ministre au sein du Parti vainqueur, elle lui permet de choisir la personne qu'il veut au sein de ce parti. En recevant, ce mardi, Abdelillah Benkirane, le roi a choisi de ne pas trop jouer sur cette possibilité. Mais il est clair – il suffit de relire la Constitution marocaine pour s'en convaincre – que le Roi garde la main. Les islamistes, fréristes, du PJD ne vont pas bouleverser la donne. Ils font bouger les lignes au sein des partis de l'establishment. Ils mettent les islamistes du PJD à l'épreuve de la gestion d'un pays en proie à de grandes difficultés sociales. Et qui s'expriment politiquement au sein d'un mouvement du 20 février tenace dans sa revendication du vrai changement. Si la Tunisie et l'Egypte bougent et si le Maroc donne l'apparence du mouvement, le système algérien parait incapable de créer jusqu'à une illusion du mouvement. Algérie – l'ombre du guerrier Que demande le « Centre » au système algérien qu'il connaît bien ? D'essayer de faire, au moins, comme le Maroc. Mais comment envisager un mouvement semblable à celui du Maroc quand la doctrine du système est de ne plus « faire confiance » à la capacité des électeurs algériens de faire le « bon choix » ? Comment faire des réformes quand l'immobilisme – rendu encore plus immobile par les revenus de la rente pétrolière – est élevé au rang de religion. On a beaucoup invoqué la séquence de la décennie 90 pour expliquer pourquoi les algériens restent rétifs aux « démon-crates » qui relancent leur « suivez-moi » et décident, après des années de compagnonnage assidu avec le régime, qu'il faut le « changer ». Mais cette séquence hante encore davantage les tenants du régime. Les libertés, le droit de s'organiser sans la tutelle des «chefs » de l'ombre, des élections libres… Tout cela fait partie du lexique à bannir. Où plutôt à vider de sens. Le régime n'accepte pas que la société secrète un paysage politique. Il veut toujours dessiner le paysage en donnant des partitions à des acteurs qui n'en finissent pas de perdre la voix. La réalité est qu'à force de manipuler les mots, les partis et les journaux, le régime a réussi à leur enlever toute crédibilité. A titre d'exemple, le MSP qui semblait avoir un avenir dans les années 90 a été déserté discrètement par ses cadres qui ne gouttaient pas la mauvaise comédie dans laquelle leur parti a été engagé. Ce MSP n'est même pas une pale copie du PJD. Il ne faut pas s'étonner dès lors de constater que le régime n'est même pas en mesure de créer l'illusion du mouvement et que les « animateurs » qui doivent dire sans rien dire soient devenus aphones. Le système algérien ressemble au clan Takeda dans le film « l'ombre du guerrier » du grand Akira Kurosawa. Il est cliniquement fini mais il s'emploie, sans la réussite du clan Takeda, à le dissimuler. Il est vrai que le clan Takeda s'était donne une durée relativement raisonnable de trois ans de dissimulation de la mort de son chef. En Algérie, le système cherche une dissimulation ad-vitae ad-aeternam. Intenable…