L'apport d'Abane Ramdane à la Révolution algérienne. Clarifications complémentaires. 1. Habituellement je prends connaissance des commentaires des blogueurs qui suivent la publication de mes articles sans leur répondre. Exceptionnellement, à la demande de mon ami le Dr Sidhoum Salah-Eddine qui pilote le site « Le Quotidien d' Algérie » je fais exception pour cette fois. Bien que je juge certains de ces commentaires déplaisants et démunis, au demeurant, de substance, j'admets que derrière tout blogueur – à moins d'une manipulation qu'il ne faut pas exclure -, se dresse un Algérien . Je n'ai pas le droit – ni moralement, ni politiquement – d'ignorer mes contradicteurs. C'est dans cet esprit que je me livre, pour la première fois, à l'exercice de répondre à des blogueurs. 2. Les commentaires qui ont suivi la publication par « Le Quotidien d'Algérie » de mon entretien consacré à Abane Ramdane dans le quotidien « L'Expression » – suivi d'un complément pour clarification – s'ordonnent autour de trois points essentiels. Premièrement, le jugement porté sur mon statut d'ancien officier de l'ANP lequel pèserait négativement sur les propos que je développe. Deuxièmement, les ambigüités ou imprécisions relevées par les blogueurs pour certaines parties de mon entretien ; celles relatives, notamment, au phénomène de l' « anti-kabylisme primaire ». Troisièmement, certains détails liés au parcours personnel d'Abane Ramdane évoqués pour précision par les blogueurs. 3. Les attaques en coupe réglées livrées à propos de mon ancienne appartenance à l'ANP, plus précisément aux services de renseignement, m'indispose surtout parce qu'elles finissent par constituer un écueil méthodologique au bon déroulement des débats qui auraient du faire suite à mes contributions dans la presse. Les bloggeurs, en l'espèce, focalisent sur cet aspect des choses – en se livrant à bien des fantasmes – ce qui les conduit à délaisser la problématique de base qui sous-tendait l'entretien ou l'article publiés. Soit, cependant, remettons les pendules à l'heure. Après des démarches laborieuses, ma démission des rangs de l'ANP a été acceptée en 1996. J'ai démissionné pour deux motifs essentiels. Sans prétendre que j'appartenais, alors, à un niveau de commandement élevé au sein de la hiérarchie militaire, je considérais, en effet, que je devais marquer ma différence pour préserver ma conscience. Le premier motif se rapportait à la démarche globale empruntée par le commandement de l'ANP vis-à-vis de la crise qui frappait le pays, notamment après l'interruption du processus électoral en 1991. De mon point de vue, l'ANP ne devait pas se cantonner à dresser une comptabilité macabre des morts. Elle devait être porteuse d'un vrai projet national capable de conduire à un dépassement de la crise. Pour cela, il eut fallu convaincre les forces vives réelles de la nation, pas s'appuyer sur des relais politiques virtuels ne disposant pas d'un véritable ancrage social. Subséquemment, les services de renseignement qui constituaient l'interface du commandement militaire avec la société civile et politique auraient du s'ouvrir vers l'élite nationale dans toute sa diversité pour établir un pont solide et fécond susceptible d'entretenir les échanges d'idées qui auraient contribué à doter l'Armée Nationale Populaire d'une vision aiguë des évènements et des choses, capable de lui faciliter l'anticipation de choix avisés .Cela est le deuxième motif de ma démission. Faute d'avoir pu parvenir à obtenir un résultat probant en poussant à la rationalité de la décision militaire, j'ai déclaré forfait en quittant les rangs de l'ANP. Depuis lors, à tous les niveaux de la hiérarchie, ANP et services de renseignement confondus, j'entretiens des rapports de proximité chaleureuse avec de nombreux compagnons qui me témoignent considération et, parfois, affection. Faut-il que je rougisse de ces rapports de proximité ? Que non ! Il n'empêche que j'ai une vision critique du mode de fonctionnement de l'ANP et, encore plus, des services de renseignement. J'aspire à voir l'ANP complètement modernisée et impulsée par une doctrine de défense consensuelle portée par la nation toute entière. Je souhaite, de toutes mes forces, qu'à la faveur d'une vraie transition démocratique intervienne une réforme appropriée de toute la communauté du renseignement pour une prise en charge efficace des impératifs de Sécurité Nationale. Je dis bien impératifs de Sécurité Nationale. Cela ne doit pas, forcément, s'accompagner d'une chasse aux sorcières. Tout n'est pas blanc ou noir, y compris au sein de l'ANP et des services de renseignement lesquels comportent bien des cadres de valeur, profondément imprégnés de l'idéal patriotique. Il en résulte que je n'ai jamais eu à encenser l'ANP ou les services de renseignement dans mes écrits. Je ne crois pas devoir, aussi bien, attaquer, de manière systématique, ces deux institutions, encore moins, les personnes de chair et de sang qui les composent. Je renvoie, dans tous les cas, à mon ouvrage « Problématique Algérie » (éditions « Le Soir d'Algérie » ; 2009) ceux des bloggeurs qui souhaitent s'étaler sur cet aspect des choses. 4. J'imagine, à présent, que les bloggeurs auront compris que ma contribution relative à Abane Ramdane n'est pas une commande et qu'elle procède de l'attachement passionné que je voue à cette figure emblématique de la guerre de libération nationale. Abane Ramdane a eu l'avantage de réunir en lui la dimension intellectuelle et celle de l'homme d'action. Sa force de conceptualisation et d'anticipation était très forte. De même, cette exceptionnelle endurance physique et psychologique qui lui facilitait la maîtrise du terrain. L'handicap majeur de Abane Ramdane c'est d'avoir été en avance sur son temps et, surtout, d'avoir dominé, rapidement, par sa forte personnalité ses pairs du Comité de Coordination et d'Exécution du FLN. Personnellement, je récuse l'idée que, dans sa rivalité avec ses pairs, Abane Ramdane ait été inspiré par une soif avide de pouvoir. Il était, plutôt, impulsé par la volonté de parvenir, le plus rapidement possible, au but assigné, à savoir, l'indépendance nationale. En dotant la Révolution algérienne des moyens politiques et opérationnels adéquats pour parvenir à cette fin, il a été, justement, l'architecte d'une victoire dont il n'a pu apprécier les fruits. Naturellement, il n'était pas seul. J'ai mentionné le duo exceptionnel qu'il avait formé avec Larbi Ben M'Hidi. En ce sens, la mort de Larbi Ben M'Hidi a constitué une première mort pour Abane Ramdane. Bien sûr, auparavant, il faut évoquer la proximité de Benyoucef Benkhedda, plus rompu à l'organisation du PPA-MTLD et meilleur connaisseur des formations politiques autochtones qui existaient sur la scène nationale. Ce n'est pas diminuer de la valeur d'Abane Ramdane que de souligner son aptitude au travail collégial. 5 . Ayant évoqué, par ailleurs, la notion « d'anti-kabylisme primaire » que j'ai qualifiée de maladie infantile du mouvement national algérien, les bloggeurs m'ont interpellé pour que je clarifie mes propos. Lors de la préparation de ma thèse de Doctorat en sciences politiques intitulée « mouvement national algérien et projet de renaissance nationale (1936-1956) » – soutenue à Alger en juillet 1981 – j'ai été conduit à me familiariser avec la « crise berbériste » qui avait affecté en 1949 le PPA-MTLD. J'avais été révulsé, alors, par la réaction brutale et sans nuances de la direction du PPA-MTLD contre des militants chevronnés de la cause nationale accusés de « berbéro-matérialisme » et combien j'ai été meurtri par la désespérance politique qui a marqué l'esprit de certains cadres étudiants du PPA-MTLD contraints à s'engouffrer, presque par dépit, au sein du Parti Communiste Algérien (PCA). Certains dirigeants du PPA-MTLD ont transformé cet épisode en une régle, le fondement d'une démarche systématique qui a perduré jusqu' après le déclenchement de la guerre de libération nationale. Ne nous voilons pas la face. Il a existé une attitude de répulsion vis-à-vis des éléments instruits, à plus forte raison s'ils étaient d'origine kabyle. Cette conception primaire de la politique n'est pas, cependant, la règle générale. Je peux évoquer, non sans un certain bonheur, les liens d'amitié tissés à la prison de Maison Carrée entre Mohamed Lamouri (futur Colonel de la Wilaya I), Mhamed Bouguerra (futur Colonel de la Wilaya IV) et Abane Ramdane lui-même. Pour mémoire, l'un des points du mémorandum présenté au GPRA, en 1958, par le Commandement Opérationnel Militaire (COM) dont faisait partie le Colonel Mohamed Lamouri, portait précisément sur l'éclaircissement des conditions de la mort d'Abane Ramdane. Cette doléance, précisément, provoqua l'ire de Krim Belkacem qui fit, aussitôt, des conjurés du complot dit « des Colonels », des ennemis personnels. J'admets, in fine, que dans mon propos sur ce phénomène « d'anti kabylisme primaire », il y avait une part de dépit contre ceux qui sont affublés du quolibet de « kabyles de service », tant ils s'évertuent à gommer leur origine, juste pour plaire aux gouvernants de l'heure. 6. Les bloggeurs, enfin, ont voulu apporter des précisions sur le parcours d'Abane Ramdane et autres épisodes de l'histoire nationale. Ces précisions se sont avérées inexactes. Ainsi Abane Ramdane n'a jamais étudié à la médersa de Constantine et sa maîtrise de la langue arabe était rudimentaire. C'est, d'autre part, une réunion du Comité Central du PPA-MTLD qui s'est déroulé dans la ferme de Zeddine, pas le Congrès de ce parti. Cette réunion du Comité Central où Hocine Ait Ahmed s'était distingué, portait sur la mise en œuvre des décisions adoptées par le Congrès du PPA-MTLD qui venait de se tenir au Ruisseau à Alger. L'objet portait, plus particulièrement, sur la mise en place de l'Organisation Spéciale, l'OS. 7. « Pan sur le bec ! » comme dirait le « Canard enchaîné ».La formule que j'ai utilisée pour rendre compte de la position d'Abane Ramdane sur le rapport du politique au militaire est, en effet, incorrecte. J'avais écrit « L'armée doit être l'instrument d'un projet politique pas sa source ». La formule la plus heureuse est proposée par un bloggeur qui l'emprunte à l'auteur basque Pio Baroja : « L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête». Dont acte. 8. En conclusion, je voudrais présenter mes félicitations au site « Le Quotidien d'Algérie » qui essaie, non sans difficulté, de servir de pont entre les écoles qui traversent l'élite algérienne dans toute sa diversité. Je suis d'avis que c'est ce commun dénominateur que représente l'amour de la patrie qui doit primer, dans nos choix, sur toutes les autres considérations. .L'exclusion et l'ostracisme ont provoqué tant de mal à notre pays. Eloignons nous en. Cette recommandation s'applique à tous, même les blogueurs du site « Le Quotidien d'Algérie » lesquels, sans devoir mettre au boisseau leurs convictions, gagneraient à s'habituer à accepter les avis contraires sans céder à l'anathème et l'invective.