Salima Ghezali Mercredi 19 Décembre 2012 Victime d'une agression barbare dans l'affaire qui l'a opposé à Saad Garboussi, Abdelhaï Beliardouh est également victime du mensonge et de l'illusion politiques. Sans ceux qui ont affirmé, sans vergogne, qu'il y avait un quatrième pouvoir de la presse dans ce pays, qu'il y avait une justice et un Etat, une République et une démocratie, même imparfaites, des institutions et des hommes pour les défendre, une dignité humaine reconnue et des lois pour la défendre... Sans cela peut-être que Beliardouh aurait continué son bonhomme de chemin de libraire et de peintre, qu'aurait-il été chercher du côté de la liberté d'informer dans un pays livré à la barbarie des féodalités ? Depuis des millénaires, les autochtones algériens se sont défendus contre l'injustice et la barbarie en faisant le dos rond ou... en prenant le maquis. Il ya en la matière un savoir-faire qui, avec les possibilités qu'offre l'armement moderne, mis aujourd'hui généreusement en circulation par les parrains du chaos du monde, de quoi transformer un enfer personnel en un enfer pour tous. Dix ans de sale guerre à l'abri des regards du monde, et pas une leçon de tirée ! Il semble bien que l'insoutenable légèreté de nos élites les a convaincus que l'enfer c'est seulement pour les autres. Dans l'univers clos sur lui-même de la vitrine démocratique on peut ignorer ce qui se passe dans le chaudron du pouvoir-réel et des seuls contre-pouvoirs auxquels il peut donner lieu. L'affaire Beliardouh n'est que le résultat logique de la rencontre de la vitrine et du chaudron. Tant que la vitrine ne sera que la face maquillée du pouvoir de Janus et le chaudron sa réalité sociale. L'histoire des violations des droits de l'homme dans notre pays est tellement pesante qu'elle ne tolère ni légèreté ni amateurisme. Si une partie non négligeable des tortionnaires connus est labélisée « démocrate ». Si la qualité « d'opposant au régime » absout à leurs propres yeux les « islamistes » comme les « laïcs » qui n'ont jamais fait un principe du respect de l'intégrité physique et morale de leurs adversaires. Si le « patriotisme » se suffit de prendre les armes contre une autre partie de ses compatriotes et oublie, ou ne sait même pas, qu'un pays qui fonctionne dans le mépris des règles du droit et des lois ne pourra jamais être la patrie de tous ses enfants. Et ne connaitra donc jamais ni paix, ni stabilité ni prospérité, ni développement et restera, demain comme aujourd'hui et hier, la proie de tous ceux qui se sont donnés les moyens de leur puissance. Si un travail constant et méthodique de dépolitisation est mené depuis plusieurs années par la quasi-totalité des relais habituels de l'évolution des sociétés vers plus de « civilité », qui ont chez nous été pervertis: médias inféodés, universités neutralisées, associations muselées, partis infiltrés, redressés ou folklorisées... Si des ministres de la république s'expriment comme des voyous à la télévision. Si le mensonge officiel et public ne fait plus rougir que ceux qui l'entendent et non ceux qui en ont fait une ligne de conduite. Si la mobilisation des avocats n'a jamais été qu'extrêmement marginale autour de la protection des droits de la défense et du véritable respect de la loi. Si des magistrats sont capables, à la demande, de condamner un innocent et d'acquitter un violeur, un voleur ou un assassin. Sans même que cela fasse débat dans la corporation des gens de loi et dans la société. Si la liberté de la presse peut s'accommoder de toutes les aberrations de notre vie publique et se satisfaire de prospérer financièrement. Si plus que tout autre le principe de : « notre âne est mieux que votre cheval » est en vérité le summum de conscience morale, politique, religieuse, philosophique ou professionnelle auquel nous puissions prétendre, derrière la façade des slogans. Alors un tel pays est façonné sur mesures pour tous les Garboussi qu'il peut générer à la pelle. Et à tous les vengeurs fous-furieux qui leur répondront tôt ou tard. Il faut seulement demander pardon à tous les Beliardouh qui ont été induits en erreur. A qui on n'a pas expliqué qu'il n'ya jamais eu de liberté de la presse là où il n'ya pas de liberté. Qu'il n'ya jamais eu de liberté de l'information là où il n'ya pas d'indépendance de la justice. Qu'un homme ne vaut en définitive que ce que vaut la société dans laquelle il vit. Et à ce tarif là, l'honneur et la vie d'un homme ne valent pas grand-chose sous nos cieux.