Mercredi 23 Janvier 2013 Après In Amenas, on retrouve des éradicateurs qui remontent sur la scène sur le mode du « on vous l'avait bien dit », et pour qui il faut la guerre partout de l'Algérie au Mali. L'on redécouvre nos super-patriotes pour qui tout questionnement serait intelligence avec l'ennemi – lequel ou lesquels ils ne le précisent pas. Comme toujours quand on est au pouvoir et qu'on estime qu'il n'y a rien à expliquer ! Et puis, il y a le « reste », ces innombrables Algériens qui ne parlent pas et qui ont suivi, chez les autres, jusqu'à la nausée parfois, ce qui se passe chez eux, à Tiguentourine. Entre Abou Al Barra, prenant d'otages causant en live sur Al Jazeera par téléphone satellitaire et l'Aboubri (l'a peu près en français de récupération) des responsables du pays, les Algériens ont constaté une nouvelle fois qu'ils étaient orphelins d'un Etat fonctionnel. C'est la faute à Bouteflika martèlent les éradicateurs – un horrible imposteur installé à Paris et sur toutes les chaines de télévision est particulièrement en pointe sur ce registre – dans une tentative peu subtile de travestissement de l'histoire pour justifier ce dérèglement permanent qui fait de l'Algérie un pays où sévissent des pouvoirs absolus et où l'Etat est évanescent. Tiguentourine a été l'expression multiforme de cette faillite aussi bien sécuritaire que politique de l'ensemble – de l'intégralité complète, osons l'écrire – du système de pouvoir en Algérie. L'illustration de cette banqueroute a été planétaire, d'où le besoin de créer une diversion à la mesure. On cherchait pour se « donner plus de temps » à nous faire passer un quatrième mandat, voire un « demi-mandat » de plus – moyennant un ravalement light de la Constitution -, pour Bouteflika. On œuvre à présent à porter la figure de proue institutionnelle du système au rang de sujet majeur de la diversion. Les Algériens sont trop choqués par l'accumulation de signaux d'une impotence généralisée doublée d'une incapacité à un minimum d'anticipation pour que l'on ne soit pas tenté de rejouer le grand air des leurres et des fausses pistes. De jeter un « os » à ronger, pour le « techghil echabab », pour occuper la populace. La diversion était d'autant plus tentante que Bouteflika s'est abstenu – pour des raisons qu'on ne s'explique pas et qui n'ont pas été expliquées, ce n'est d'ailleurs pas le style de la maison – d'utiliser la marge d'action verbale qui lui est attribuée : il s'est muré dans un silence abyssal. Certains se souviennent du commentaire de Cherif Belkacem lors du choix de Bouteflika comme « candidat du consensus » en 1999 : « il sait parler ». Cette fonction purement tribunicienne mais bien rémunérée n'est même plus formellement assurée. Mais Bouteflika est toujours utile : il pourrait autant retrouver un quatrième mandat que la porte de sortie réservée aux boucs-émissaires. La résurrection des éditocrates éradicateurs locaux participe de cette mise en scène dont l'objectif est d'éviter les vraies et sérieuses questions. On a beaucoup glosé lors de cette terrible attaque contre le site de Tiguentourine sur la carence ou la faiblesse de la communication de l'Etat algérien. Sur Al Jazeera, en direct-live, le terroriste Abou Al Baraa communiquait, vitupérait, menaçait tandis que l'Etat Algérien était aux abonnés absents. Certes, il n'est pas simple de gérer de telles situations et ceux qui doivent informer sont tenus de ne pas donner des éléments qui peuvent aider les agresseurs. Mais c'était un « job » qui doit être assumé pour faire que la communication sur l'évènement ne soit monopolisée par les ennemis ou de tierces parties aux intérêts divergents. Mais la non-communication de l'Etat algérien qui a dérouté les commentateurs de la presse mondiale n'est pas un accident, elle est une donnée structurelle du système en place. Un pays aphone En Algérie, la langue de bois devient plus hermétique à mesure qu'on l'on descend dans la hiérarchie. Le parler-vrai est l'apanage des seuls « décideurs ». Or, les décideurs dans le système algérien veillent à ne pas apparaitre en pleine lumière. Du coup, c'est un Etat qui ne dit rien d'audible, de déchiffrable, de compréhensible. Le phénomène a été amplifié par la disparition des compétences professionnelles au cours de deux dernières décennies. Cela vaut pour la communication comme pour l'ensemble des secteurs d'activité, enseignement, santé, économie, etc... Il suffit donc que le détenteur officiel exclusif de la parole officielle à destination du public se bunkérise et verse – pour des raisons diverses – dans le mutisme pour que le pays devienne aphone. Devant un silence assourdissant, de moins en moins supportable, on se doit de meubler le vide par du bruit. Que faire de mieux que de remettre en selle les éradicateurs, prétendument adversaires de Bouteflika le « réconciliateur », l'homme par qui le scandale sécuritaire serait arrivé, celui qui aurait causé une « baisse de la garde » des services spécialisés, et provoqué la très regrettable « perte de vigilance » saharienne.... Comme si la pure fiction présidentielle d'un système fermé mais très normé pouvait traiter de la disposition des troupes, du renseignement... Cette tonitruante diversion n'explique pas comment des terroristes ont pu accéder au site gazier ? Les cris d'orfraies ne donnent pas les clés de cet échec sécuritaire. Cela fait des mois que des journalistes, sur la base des «sources ouvertes », mettent en garde contre l'agrégation explosive des risques et sur l'effort des occidentaux pour entrainer l'armée algérienne dans les sables maliens. Ce qui reste le plus inquiétant est l'asthénie politique inhérente à un Etat autoritaire qui aura même fait perdre à l'Algérie les compétences techniques accumulées depuis l'indépendance par des générations bâillonnées et stérilisées. Les arguments idéologiques de diversion ressassés par de vieux éradicateurs sur le retour visent à éluder les critiques d'un système rentier brutal mais politiquement handicapé car en quête permanente de l'assentiment du « centre » impérial ou de son démembrement régional. L'impotence et l'immobilisme du régime sont naturellement aggravés par le fait que les dirigeants ne sont pas soumis à l'obligation de rendre des comptes aux populations. Quand la vie publique est réduite à de misérables jeux de rôle, le discours idéologique qu'il soit éradicateur, hyper-nationaliste ou islamo-conservateur n'est qu'un voile élimé qui ne masque rien d'une affreuse nudité. Le système algérien apparait ainsi comme une menace pour le devenir des générations actuelles, celles en devenir, en interdisant la constitution d'un Etat pour lequel leurs parents se sont battus. A cette mesure, les diversions idéologiques et les leurres médiatiques ne sont que plus dérisoires. A propos du vol sans limite L'annonce par Laurent Fabius d'un droit de survol sans limite des avions français est un geste politique. A-t-il été convenu avec les responsables algériens ? On peut en douter. Fabius les a tout simplement mis devant la « com » accomplie. Mais hormis, cet aspect politique important, il faut rétablir les événements dans leur réalité. La première victime de toute guerre est la vérité, l'adage se vérifie à chaque fois, imparablement. La guerre de la démocratie civilisée au Mali n'échappe pas à la règle. On épargnera au lecteur les considérations perplexes sur la fabrication des légendes propagandistes et notamment sur la représentation des armées de dictatures héréditaires comme celles du Togo ou du Gabon en tant que forces libératrices. Pas plus qu'on ne s'attardera sur les innombrables informations fausses mais jamais démenties, comme celle d'une soi-disant proposition russe de fournir une aide logistique aérienne aux troupes françaises. Nous ne tenterons même pas de faire sourire le lecteur sommé de croire le petit doigt sur la couture du pantalon au caractère absolument désintéressé et radicalement humaniste de l'intervention militaire française au Mali. Nous nous contenterons d'examiner un élément mineur du discours tous azimuts sur la guerre sahélienne récemment mis en exergue. Ainsi des chroniqueurs et des experts de plateau de télévision, catégorie où le ridicule pontifiant se conjugue avec un bien involontaire comique troupier, ont fait des gorges chaudes sur le caractère inédit, à « forte charge symbolique », de l'autorisation donnée par les autorités d'Alger à l'aviation militaire française pour le survol illimité du territoire. Les commentateurs de tous bords, relevant d'Instituts de « stratégie » aussi bidon les uns que les autres, s'en sont donné à cœur joie, entre constat ironique d'un abandon « réaliste » de souveraineté aérienne ou célébration étonnée d'une réconciliation « décomplexée » entre une Algérie autrefois irrédentiste et l'armée de l'ancien colonisateur. Sauf que le survol illimité de l'Algérie par l'aviation militaire française n'a rien d'inédit et n'est en rien exceptionnel. Des escadres aériennes françaises traversent l'espace aérien national depuis des décennies et il arrive même comme en décembre 2006 qu'un Mirage en proie à des problèmes techniques s'écrase sur le sol algérien, dans le sud constantinois en l'occurrence, sans que cela ne nourrisse la moindre polémique. Il ne s'agit nullement d'un secret d'état, la presse des deux pays avait mentionné l'incident. Mais, dans cette guerre néocoloniale contre l'obscurantisme et pour la démocratie comme pour celles qui l'ont précédé, il faut être prêt à tout entendre d'une pseudo-expertise mercenaire, bégayante et sans mémoire. La seule suggestion que l'on pourrait se permettre serait de confiner ces savants stratèges aux chaines de télévisions spécialisées dans la voyance ou aux pages horoscopes des journaux. On le voit les diversions et les leurres ne sont nullement l'apanage des indigentes tyrannies du tiers-monde. L'Occident néo-conservateur n'a de ce point de vue, tout au moins, aucune leçon à nous donner. Cet Occident des lumières recycle parfaitement nos faussaires, il n'est que de regarder, si on en a la force, les talk-shows politiques des télévisions civilisées. Sous les spots et derrière le maquillage le mensonge éhonté et la manipulation cacophonique atteignent des sommets qui seraient burlesques si l'existence de milliers de personnes n'était en jeu. C'est bien là le seul point commun que nous ayons avec les démocraties du nord.