Les monarchies arabes versus l'islam politique, c'est l'ultime combat arbitré par les Etats-Unis d'Amérique. Le coup de force opéré par l'armée égyptienne début juillet et qui a eu pour résultat de mettre fin prématurément au mandat du président islamiste Mohamed Morsi et de chasser la confrérie des Frères musulmans du pouvoir n'est, d'après les observateurs, que le premier round dans une « guerre sans merci» que se livrent plusieurs monarchies arabes, notamment celles du Golfe, et les représentants de l'islam politique avec à sa tête les frères musulmans égyptiens et le parti Ennahda en Tunisie. En effet, au lendemain des premières victoires électorales du Parti de la Justice et de la Liberté en Egypte post Moubarak, certains dirigeants des pays du Golfe ont broyé du noir. Déjà qu'ils ne voyaient pas d'un bon œil ce « printemps arabe » qui a libéré la parole et projeté sur le devant de la scène une jeunesse arabe éprise de liberté, de modernité et surtout de démocratie, les voilà qui se retrouvent face à un sérieux concurrent politique. Ainsi, les premiers à avoir montré leur énervement furent Ryad et Abu Dhabi. La première a vite accueilli le tunisien Zine El Abidine Ben Ali, premier despote arabe de l'histoire moderne à être chassé par des foules en colère. La seconde, après s'être livrée à de multiples pressions sur les militaires égyptiens afin qu'ils libèrent le président déchu Hosni Moubarak, a accueilli en « exil volontaire » le général Ahmed Chafik, candidat du système Moubarak, battu par les islamistes en juin 2012. Faut-il encore rappeler que la rupture entre les tenants de l'islam politique et les monarchies arabes est toute récente. Les mouvements islamistes de toutes obédiences avaient toujours bénéficié de l'aide financière et logistique des monarchies du golfe. Dubaï, Ryad et Koweït City étaient devenues les exils dorés pour les dirigeants islamistes du monde arabe avant d'être supplantées, ces dernières années, par Doha. En parallèle, l'Arabie Saoudite et le Koweït avaient introduit un cheval de Troie au sein de l'islamisme politique arabe en encourageant le courant salafiste à être de plus en plus présent dans le paysage politique. Nourri idéologiquement et financièrement par les pétrodollars saoudiens, koweitiens et émiratis et nouant souvent des relations très « ambiguës » avec les pouvoirs en place, le courant salafiste s'est subitement réveillé au lendemain des révoltes en Tunisie et en Egypte. Il a démontré, comme en Egypte, qu'il était capable de réussir des scores électoraux assez honorables, et contrairement aux frères musulmans, il a su garder des relations assez « intimes » avec ses bailleurs de fonds. Aujourd'hui, l'Islam politique arabe issu idéologiquement des Frères musulmans égyptiens se trouve dans la ligne de mire de Riyad et d'Abu Dhabi. Il serait aux yeux des dirigeants émiratis et saoudiens -qui règnent par une interprétation passéiste de la religion- la preuve qu'une autre manière de « gouverner » plus démocratique est maintenant possible. Les monarchies du golfe qui ne tolèrent ni partis politiques, ni syndicats, ni presse libre ne pouvaient pas supporter la comparaison avec des régimes démocratiques en construction, où l'Islam pouvait arriver au pouvoir par les urnes, de manière totalement démocratique. Les systèmes politiques en vigueur en Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis, totalement archaïques, ont donc préféré rompre définitivement avec les régimes politiques nés du « printemps arabes ». À ce propos, les développements politiques en Egypte, forte de ses 85 millions d'habitants et de son positionnement géostratégique, commençaient à avoir des influences « assez négatives » sur les opinions publiques des pays du Golfe. Il fallait donc agir rapidement et revenir au statu quo ante où l'armée, alliée à une élite économico-politique prédatrice reprendrait les rênes du pays quitte à sacrifier le prometteur processus démocratique. Pris de court, les Etats-Unis, véritables parrains de l'islam politique dans sa version soft à la turque, n'ont que mollement réagi au coup de force des généraux égyptiens. Les pressions des Saoudiens et des Emiratis ne sont pas étrangères à cette position ostensiblement passive des Américains. Ils pourraient tout de même pousser vers une prompte reprise du processus électoral et cela sans exclusion d'aucun des acteurs politiques. Dans les coulisses, les diplomates américains seraient déjà en train de chercher une porte de sortie qui sauverait la face des putschistes et qui permettrait le retour aux affaires d'islamistes plus light. Finalement, l'ultime combat entre les monarchies arabes et l'Islam politique devrait se dérouler non pas en Egypte ou en Tunisie, mais en Arabie Saoudite où la succession du roi Abdallah Bin Abdelaziz s'annonce fort périlleuse. L'émir du Koweït, soumis à la pression d'une opposition islamiste de plus en plus vindicative devrait, lui, céder un peu plus de pouvoir. Demeure le cas très compliqué du royaume hachémite où le roi Abdallah dont la gestion est de plus en plus décriée, ne peut pas éternellement ajourner une démocratisation qui profiterait à la branche des Frères musulmans, fortement implantée en Jordanie. Pour les Etats-Unis et pour tout le monde, le plus dur reste à venir.