Nous partons de l'hypothèse suivante : quand des crimes monstrueux ont été commis par un pouvoir tyrannique, s'il n'y a pas de justice historique et sanction des coupables, il ne peut pas y avoir de justice sociale. Car tout peuple qui a subi l'horreur, pour être sujet démocratique de son histoire doit régler les comptes avec son passé. Or Rafik Khalifa n'a été qu'un instrument, à un moment donné, de ce pouvoir tyrannique qui est le même depuis plus d'un demi siècle. Le désir implicite, mais très clair, de l'ensemble du peuple algérien est la justice pour toutes et tous. Notre indifférence devant le sacrifice d'un bouc-emissaire ferait de nous des complices actifs et nous placerait en symétrie avec les tortionnaires et les bourreaux qu'on n'a pas cessé de dénoncer depuis toujours. L'ex-magnat algérien Rafik Khalifa sera extradé de Grande Bretagne vers l'Algérie d'ici la fin de l'année, ont annoncé des sources judiciaires britanniques, lundi passé, au moment de la visite du chef du gouvernement français J M Ayrault, à Alger. Poursuivi par la justice française et algérienne pour banqueroute et détournements de fonds, il sera extradé d'ici la fin de l'année en Algérie après avoir épuisé ses recours au Royaume-Uni. "M. Khalifa s'est vu refuser d'interjeter appel devant la cour Suprême le 3 décembre. Il va être extradé dans les 28 jours qui font suite à cette date", selon un communiqué du Home Office. Que signifie l'extradition de Rafik Khalifa à moins de quatre mois seulement de l'élection présidentielle, alors que la guerre fait rage entre les clans au sommet de l'Etat depuis l'attentat avorté de Tiguentourine ? S'agit-il d'une manœuvre électoraliste visant à faire oublier la cascade de scandales de corruption qui a éclaboussé toutes les institutions de la république ? Que peut signifier l'arrestation de Khalifa lorsque les horreurs commises par la junte contre le peuple algérien à Rais, à Bentalha, à Tibhirinne, contre les milliers de familles de disparus ne sont jamais évoquées par les instances algériennes et restent des crimes impunis, lorsque Nezzar, Tewfik, Djebbar, Bachir Sahraoui, Bajaoui, C Khelil sont toujours protégés et soignés au nom de cette même justice qui s'acharne à traduire devant ses barreaux la chèvre Khalifa ? Par quelle grâce donc le pouvoir généralement si muet sur toutes les questions qui engagent le destin de l'Algérie en tant que Etat et Nation, a-t-il découvert subitement les vertus de la communication lorsqu'il s'agit de la pendaison de Rafik Khalifa ? Puisque nous sommes à quelques semaines seulement de l'élection présidentielle, quel est l'avis des principaux adversaires de l'inamovible et indétrônable Bouteflika sur cette justice qui protége et soigne les barons du régime et qui s'applique à la lettre lorsqu'il s'agit de pauvres Don Quichotte, genre Khalifa ? Yasmina Khadra, écrivain universel au talent mondialement reconnu, est-il insensible aux multiples dérapages de la justice de son pays, au point de n'être qu'un adversaire muet pour garnir une scène politique ? Et que dire de Benflis, le principal adversaire de Bouteflika, juriste et homme de loi, qui s'est retranché dans un profond silence au moment ou les affaires de corruption éclaboussent généraux, ministres et cercle présidentiel ? Va-t-il en fin se décider à dévoiler son programme et dire ce qu'il pense de l'affaire Khalifa en traduisant cette devise populaire : « Que les bourreaux , tous les bourreaux et tous les criminels,soient jugés avec les mêmes lois démocratiques possibles », ou bien va-t-il une fois de plus se contenter de son rôle d'éternel lièvre ? Le peuple algérien, de l'Emir Abdelkader à Benboulaid, ne s'est pas battu pour n'importe quelle justice. Cette justice tombée aujourd'hui entre les mains d'âmes pilleuses et scélérates est le résultat de millions de victimes mortes pour elle, de larmes et de sang, de torturés, d'exilés et d'un pays qui est resté presque détruit par des guerres successives. Le peuple algérien ne peut pas se contenter d'un procès de Don Quichotte ou d'une justice attrape-nigaud pour aller voter massivement . . . Plus d'improvisation, de comédie et de faux semblants ! Plus jamais cela !