J'ai beaucoup hésité avant de vous écrire. C'est votre récente candidature à la magistrature suprême dans votre pays d'origine qui n'a cessé de m'interpeller depuis, et surtout, vos fréquentes apparitions sur les plateaux de télévision français où vous clamez que vous assumez votre échec: c'est tout à votre honneur de l'admettre. Pourtant, c'est à partir de ce moment-là que mon esprit a exprimé une sorte de réticence à vous suivre. Il s'est imposé à moi une frustration , un goût amer d'inachevé, un sentiment dont je suis certain qu'il a dû vous habiter (et, peut-être, vous habite encore). Diable, me suis-je dit, faudra-t-il qu'il attende encore, comme ce fut le cas pour sa candidature (du moins, est-ce ainsi que vous l'auriez vous-même expliqué), qu'un personnage d'une de ses fictions à venir, lui impose de se mêler de ce qui se passe en Algérie! Est-ce tout ce qu'il compterait rendre à ce pays qui l'a vu naître, et qui lui a tant donné? Trois petits tours, dix mille kilomètres en voiture (avez-vous dit) à sillonner le pays profond en quête de signatures, et puis s'en va continuer de vivre ailleurs! Est-ce que votre conscience vous autorise à vous en sortir à si bon compte, alors que c'est maintenant que ce bon vieux peuple (au sein duquel vous avez, semble-t-il, un auditoire de plus de quarante mille voix) a le plus besoin de vous! Ne sentez-vous qu'il gronde ici un air de révolte, une demande grandissante et légitime de changement qui nécessite le concours de toutes les compétences possibles. Ecrivains, juristes,économistes, sociologues,ingénieurs,enseignants de tous bords, hommes, femmes, tout un chacun devrait se sentir concerné pour mener cette jeunesse qui trépigne d'impatience vers les valeurs universelles qu'elle s'époumonne à revendiquer, cette jeunesse martyrisée, frustrée, et qu'on a déjà commencé à corrompre pour l'abêtir davantage. Ces jeunes ont besoin d'hommes comme vous qui jouissent d'une aura (et que le pouvoir craindra, car capables d'ameuter l'opinion internationale contre lui) pour exprimer leur besoin d'un ordre nouveau, plus conforme aux exigences du siècle. La situation est mûre pour un tel élan; il y a une opportunité, réelle, extraordinaire, qui risque de ne pas se reproduire avant lontemps. De nombreuses personnalités de tous bords, associations, et bonnes volontés anonymes, le sentent, et sont en train de se concerter en vue d'unir leurs efforts pour provoquer cette mue tant attendue ( fait unique dans les annales, même des anciens officiers supérieurs de l'armée se joignent à cette dynamique): tout le monde semble s'accorder qu'il y va de l'avenir de ce si beau pays. Alors, Mr Moulesshoul ( souffrez que je vous appelle par votre nom, et non pas par celui appliqué sur les couvertures de vos œuvres littéraires) , écoutez, à travers cet appel, celui de l'Algérie entière, une et indivisible, et associez-vous fermement à cette grande famille qui est en train d'identifier les siens. Afin que ceux qui sont morts pour elle ne soient pas trahis plus longtemps. Vous en pâtirez, soyez-en certain, si vous ne l'entendez pas. Vous avez combattu le terrorisme, mais, à l'époque, vous étiez militaire et vous étiez tenu d'obéir aux ordres; ce qui vous est demandé aujourd'hui, c'est un acte personnel, volontaire, non lucratif, pour combattre l'absurde (selon le terme que vous avez utilisé): une toute aussi noble cause. D'illustres écrivains, tels Zola ou feu Marquez (prix Nobel), et tant d'autres, se sont impliqués dans la vie politique de leurs pays; il n'en est pas moins attendu de vous. » On ne m'aime pas, on est jaloux de mon succès, etc... », laissez ces broutilles narcissiques de côté, car l'heure est grave. Bacha Ahmed, retraité.