Par: Hassane Saadoun 07 Mai 2019 TSA Pour la onzième fois depuis le début du mouvement populaire et alors que le Ramadhan vient de commencer, les étudiants sont sortis manifester, ce mardi 7 mai, à Alger et dans d'autres villes universitaires du pays, notamment à Constantine, Oran, Béjaia et Bouira, Sidi Bel Abbes, Boumerdèes, Tizi Ouzou pour réclamer le départ réel du pouvoir, notamment celui des deux B restants, Bensalah et Bedoui. À Alger-centre, plusieurs centaines d'étudiants de toutes les facultés de la capitale se sont rassemblés dès 9h00 devant la fac centrale pour entamer leur marche sur la rue Didouche Mourad, avant d'occuper la place de la Grande Poste. Avec cette nouvelle manifestation, les étudiants démontrent leur engagement dans le mouvement populaire et leur rôle mobilisateur et structurant au sein de la protesta. La mobilisation des étudiants dans le mouvement s'inscrit dans le cadre plus large de l'implication de la jeunesse algérienne dans la révolution. Les étudiants sont jeunes et sont impliqués comme le sont les ultras des supporters des clubs de foot ou les collectifs et associations de quartiers. Mais s'il le rôle joué par les étudiant est, certainement et de loin, plus décisif pour la poursuite du mouvement, c'est parce qu'ils en ont les moyens. Au nombre de plusieurs dizaines de milliers au moins dans chaque chef-lieu de wilaya, les étudiants ont leurs points de chutes que sont les universités. Ils s'y rencontrent, et ont alors l'occasion d'échanger leurs idées, de planifier et de coordonner des actions de rue. Le degré d'organisation des étudiants de certaines facultés dépasse même celui de certains syndicats et partis politiques. Les « tifos » et banderoles déployés chaque mardi lors des manifestations, les carrés bien encadrés des marcheurs en sont les preuves. Dans plusieurs facultés, instituts et écoles supérieures du pays, des comités autonomes sont créés, loin des organisations et syndicats estudiantins classiques. Ces derniers ont été définitivement éjectés de la sphère universitaire et sont en passe d'être remplacés par des comités de moindre envergure, locaux (à l'échelle d'une faculté ou d'une université) mais bien plus représentatifs et démocratiques. Ce sont certains de ces comités qui organisent et encadrent les marches hebdomadaires des étudiants à Alger. Les étudiants appartiennent à une génération qui a grandi avec les nouvelles technologies et ils s'en servent pour s'organiser. La plupart les initiatives, marches, projets de débats, d'ateliers ou de formations en lien avec le mouvement populaire contre le pouvoir, partent des réseaux sociaux, outil puissant et incontrôlable pour tout mouvement de protestation. Si les étudiants jouent le premier rôle dans le mouvement populaire c'est parce qu'ils en ont et s'en donnent les moyens mais surtout, parce qu'ils ont d'innombrables raisons de vouloir en finir avec ce système. L'université algérienne a connu, depuis l'arrivée d'Abdelaziz Bouteflika au pouvoir, une dégringolade sur tous les plans. Qualité des formations, valeur des diplômes, infrastructures, moyens, qualité de vie des étudiants, n'étaient pas parfaits avant 1999, mais depuis cette année, leur dégradation s'est accélérée, menant à la clochardisation de l'université. Favorisant la quantité sur la qualité, l'ex-président avait ordonné de doter chaque wilaya d'un centre universitaire. Ces centres rattachés à des universités situés dans les wilayas voisines ont été, par la suite, hissés au rang d'universités à part entière, sans préparation ni planification. Des universités, sans âmes, ont poussé comme des champignons partout dans le pays qui ont formé durant ces deux décennies des millions de diplômés, dont le nombre, les spécialisations et la qualité de la formation ne répondent pas forcément aux besoins des secteurs de l'industrie ou des services. L'université algérienne est alors devenue une usine à transformer les étudiants en chômeurs, les privant de toute perspective d'avenir. La valeur des diplômes délivrés par les universités algériennes s'est elle aussi dégradée. Reconnus nulle part dans le monde, ces diplômes permettent à peine de faire des équivalences, après des mois, parfois des années, de recyclage et de rattrapage, pour pouvoir intégrer une université étrangère. Les études à l'étranger, notamment en France et, depuis quelque temps, en Russie, en Ukraine, dans les pays du Golfe ou en Amérique du Nord sont devenues un des derniers recours des étudiants algériens pour s'ouvrir un horizon moins sombre sur l'avenir. La situation catastrophique que vivent les étudiants depuis des décennies a fait des études à l'étranger le rêve de beaucoup d'entre eux mais qu'une partie seulement réalisent, souvent avec amertume. Tout le monde se rappelle de l'interminable file d'attente des étudiants qui attendaient, fin octobre 2017, leur tour pour accéder à l'Institut français d'Alger pour accomplir des formalités leur permettant de candidater aux universités françaises. Des images vécues comme une humiliation par la communauté universitaire algérienne mais pas par le système. La qualité de vie des étudiants qui dépend en grande partie des œuvres universitaires s'est elle aussi dégradée. Dans les cités universitaires, les résidents dorment mal, mangent mal et vivent dans l'insécurité. Les œuvres universitaires qui gèrent l'hébergement, le transport, la restauration et la vie culturelle des étudiants sont devenues, sous le système Bouteflika, et dans de nombreuses universités, des poules aux œufs d'or ne profitant qu'à leurs administrateurs et leurs clientèles, fournisseurs ou entrepreneurs. Les cas de corruption, de détournements, de favoritisme au sein des œuvres universitaires arrivés devant la justice ne se comptent plus. Résultat : tout l'environnement de l'étudiant est devenu invivable et que ce dernier est plongé dans une misère profonde alors que des budgets faramineux sont chaque année alloués aux œuvres universitaires. Les agressions, parfois mortelles, d'étudiants et d'étudiantes au sein même de leurs résidences universitaires ont été nombreuses elles aussi lors de ces vingt dernières années. La dernière en date a été l'assassinat d'Assil, étudiant originaire de Bordj Bou Arréridj, dans une cité universitaire d'Alger, le 10 février, moins de deux semaines avant le début du mouvement populaire contre le pouvoir. D'innombrables autres problèmes sapent la vie universitaire et gâchent les perspectives offertes aux étudiants. Service civil et qualité de la formation des résidents en sciences médicales, l'insolvable problème des diplômés Deua, emploi des diplômés des écoles supérieures, ceux de l'ENS surtout, bureaucratie et incompétence dans la gestion des affaires des universités, instrumentalisation politique et idéologique des universités et de leurs moyens, sont autant de points noirs que les étudiants ne semblent pas avoir oublié. Mais le pire que puissent reprocher les étudiants au système Bouteflika est l'humiliation qu'il leur a fait subir. Humiliés par leur conditions de vie, la non-reconnaissance de leurs diplômes, la répression des marches des étudiants par le passé, la « bourse d'étudiant » dérisoire de 4000 dinars par trimestre, les étudiants et l'université algérienne ont aussi été humiliés par la nature même de ceux qui les dirigent et représentent. Les étudiants ont été, durant tout le règne de Bouteflika « représentés » par des organisations estudiantines soumises au pouvoir alors que l'université était sous la tutelle de ministres douteux, dont le dernier en date ne comprenait pas l'utilité pour une université d'avoir parmi ses enseignants un prix Nobel. C'est dire si les étudiants ont des comptes à régler avec ce système dont des figures sont encore au pouvoir.