Le régime s'est forgé dans l'anti-histoire. En 58 ans d'indépendance, il a empêché la réalisation de la souveraineté nationale. A l'absence de l'Etat national sous l'ordre colonial, il a substitué l'anti- Etat. Que signifie l'opacité organisée par la junte militaire autour de la réalité de l'évolution de la pandémie du coronavirus en Algérie ? Pourquoi ce déni du droit à l'information imposé aux Algériens ? Qu'en est-il de l'équipe médicale et de l'équipement reçus de la Chine ? Pourquoi toute cette confusion ? Pendant ce temps, que cherche la police politique algérienne à travers la multiplication des enlèvements, des arrestations ciblées et le coup d'accélérateur donné à la justice pour des mises sous mandat de dépôt programmées, des procès expéditifs et des condamnations arbitraires à l'encontre des détenus d'opinion ? Remuer le couteau dans la plaie des mémoires collectives ? Rappeler aux Algériens les années des «fleuves de sang» pour leur faire peur ? Remobiliser les traumatismes des tueries – notamment, celles d'Octobre 1988 à Alger – pour pouvoir appliquer, à nouveau, la stratégie du chaos local, comme ce fut le cas en Kabylie en 2001 et dans la région du M'zab par la suite ? Ces questions peuvent donner, à certains, l'impression d'une tendance à exagérer la gravité de ce qui se passe actuellement en Algérie. Cependant, il suffit d'un petit rappel des pages sanglantes de notre histoire récente pour se rendre à l'évidence : d'un côté, la junte militaire cherche à se protéger du coronavirus sans trop se soucier du peuple . De l'autre côté, les décideurs du régime n'ont jamais été inquiétés pour tous les crimes commis dans notre pays. L'impunité dont bénéficie la junte militaire est négatrice de tout sens de responsabilité dans l'exercice du pouvoir. En plus de «la protection» néocolonialiste dont ses décideurs ont toujours bénéficié, cette absence de responsabilité lui a, jusqu'à nouvel ordre, permis de puiser dans l'histoire macabre de «la machine de mort» pour neutraliser la société et opérer des rééquilibrages claniques, plus ou moins contrôlés, dans l'espace militaire clos. Le point sur la situation d'aujourd'hui : LE CORONAVIRUS POUR RETABLIR L'OPACITE DU REGIME. A l'aune d'une globalisation ayant fait du monde un petit village pris dans la Toile, les décideurs du régime savent qu'ils n'ont plus le monopole de l'information. Ils savent aussi que leurs canaux médiatiques «officiels » ou offshore ne sont plus crédibles aux yeux des Algériens. L'information, ces derniers préfèrent la chercher sur Internet ou dans des médias autres que ceux qui leur ont servi la sauce de la junte militaire des années durant. Cette situation, le régime ne l'aime pas. En effet, la police politique préfère organiser le flou que de lui faire face. Car, en réalité, il révèle son manque de visibilité, son incapacité à anticiper les événements et à se projeter. Or, quand la police politique tousse, c'est le régime entier qui est enrhumé ! Face à une Algérie nouvelle dont il a du mal à saisir les réalités complexes, les nouveaux référents historiques qu'elle est entrain de construire et confronté à la pandémie de la Covid-19, la police politique semble s'accrocher à l'illusion de rétablir l'opacité du régime dans l'espoir de retourner la situation en sa faveur. Ces derniers jours, le bruit a couru sur des cas avérés de coronavirus à l'hôpital militaire de Aïn-Naâdja. Certains médias électroniques vont jusqu'à évoquer la mort de “l'ex- Chef d'Etat-Major des Forces de Défense Aérienne, Ali Mohamed,” qui serait contaminé à la Covid-19. L'hôpital de Aïn-Naâdja serait-il soumis à un «dépistage systématique» ? Motus et bouche cousue au sein du semblant de gouvernement. Entre-temps, une équipe médicale chinoise constituée «de 21 personnes, 13 médecins et 8 infirmiers, tous spécialisés dans le traitement et la lutte contre le coronavirus», selon TSA, est récemment arrivée à Alger. En toute logique, cette équipe devrait être dépêchée à Blida, la région la plus touchée par le coronavirus dans le pays, pour y intervenir en urgence. En plus de cette équipe médicale, New China TV a révélé la nature de l'équipement dont la Chine a fait don à l'Algérie. «La première livraison inclut 500 000 masques chirurgicaux, 50 000 masques N95, 2000 tenues de protection ainsi que des masques médicaux et respirateurs, sans en préciser le nombre.» a rapporté TSA qui a précisé que «les équipements médicaux d'une valeur de 450 000 dollars ont été donnés par le géant du BTP China State Construction Corporation, en charge de la construction de la Grande Mosquée d'Alger entre autres en Algérie.Le groupe chinois a obtenu plus de 10 milliards de dollars de contrats en Algérie.» Dans quel centre hospitalier l'équipe médicale chinoise se trouve-elle exactement ? Quels sont les hôpitaux qui ont bénéficié du matériel anti-épidémique reçu par l'Algérie ? Silence radio, les priorités de la junte militaire semblent être ailleurs… Il est un secret de polichinelle que le régime préfère sauver sa tête, la peau de ses décideurs, celle de leurs enfants et ce qui lui reste de sa base sociale. Quant aux enfants du peuple, il peut en sacrifier sans compter, comme il l'a fait durant les années 1990. En mai 1992, le sinistre général Smaïn Lamari, ancien patron de la sécurité intérieure au sein du DRS, ne disait-il pas : «Je suis prêt à éliminer trois millions d'Algériens s'il le faut pour maintenir l'ordre que les islamistes menacent» ? La facture d'une telle doctrine a été payée dans le sang par le peuple algérien. Alors qu'un mouvement populaire massif et n'obéissant à aucune chapelle politique menace le pouvoir de la junte militaire, la police politique algérienne continue de sévir en toute impunité… LA CHASSE AUX MILITANTS CONTINUE ! Plusieurs pays du monde étant soumis au confinement par la pandémie du coronavirus Covid-19, le peuple algérien apprend à s'adapter à cette situation en réinventant les solidarités sociales et en optant pour d'autres formes de contestation pacifique afin de préserver la Silmiya tout en évitant les manifestations dans les rues. Pendant ce temps, la police politique multiplie les basses manœuvres pour provoquer l'essoufflement de la Silmiya. Hommes et femmes, jeunes ou âgés, les activistes sont surveillés et poursuivis sans relâche. La moindre dénonciation de la répression ou de l'irresponsabilité du régime face à la pandémie du coronavirus n'échappe pas aux foudres des services de sécurité et de la justice. C'est, notamment, le cas du journaliste indépendant Khaled Drareni. En effet, «La chambre d'accusation près de la Cour d'appel d'Alger a décidé le mercredi 25 mars de casser la décision du juge d'instruction de Sidi M'hamed, de mettre le journaliste Khaled Drareni sous contrôle judiciaire, et d'émettre un mandat de dépôt à son encontre»dénoncent les signataires d'un appel à sa libération, lancé via des médias tels que Radio M, TSA, et dans les réseaux sociaux. «Rappelant que l'article 50 de la Constitution garantit la liberté de la presse et bannit l'emprisonnement de journaliste pour un délit de presse » ces derniers soulignent que «dans le cas de Khaled Drareni ce délit est maquillé derrière l'accusation infondée d'incitation à attroupement public » ont précisé les signataires. En parallèle, la demande de mise en liberté provisoire de deux détenus d'opinion, Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche a été rejetée. C'est ce que dénonce le Comité National pour la Libération des Détenus (CNLD) dans son communiqué n° 06/2020 publié sur sa page Facebook : «La chambre d'accusation de la cour d'Alger, Ruisseau, vient d'annuler aujourd'hui, mercredi 25 Mars, le contrôle judiciaire du journaliste indépendant Khaled Drareni, prononcé par le tribunal de Sidi M'hamed en date du 8 Mars, et le place sous mandat de dépôt. La même chambre a rejeté la demande de liberté provisoire de Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche.» Coordinateur national des familles de disparus, Slimane Hamitouche a été placé, ainsi que Samir Benlarbi, sous mandat de dépôt par le juge d'instruction du tribunal de Sidi M'hamed, le 10 mars dernier. Son arrestation a profondément touché le journaliste Redouane Boudjema qui, dans un texte profondément humain, fraternel, épris de vérité et de justice, reproduit par le Quotidien d'Algérie sous le titre «L'ARRESTATION DE SLIMANE HAMITOUCHE EST UNE AUTRE INSUPPORTABLE TORTURE INFLIGEE AUX FAMILLES DE DISPARUS », a écrit : «J'ai suivi les procédures judiciaires dans de nombreux dossiers de militants arrêtés samedi dernier et j'ai été très affecté par la répression et la manière avec laquelle les manifestants pacifiques ont été traités. Ma peine s'est transformée en blessure avec l'arrestation d'une des figures de la lutte des familles de disparus. İl s'agit de Slimane Hamitouche, placé sous mandat de dépôt à la prison d'El Harrach et accusé en en vertu des articles 79 et 100 du Code pénal "d'atteinte à l'unité nationale" et "d'incitation à attroupement." Ce sont les mêmes charges collées à la majorité des détenus dont certains ont été acquittés après plusieurs mois de détention préventive. L'emprisonnement de Slimane Hamitouche dit toute l'injustice d'un régime qui méprise le peuple. Cette mesure résume également le pouvoir de la police politique qui connaît Slimane Hamitouche, présent dans toutes les manifestations et les activités des familles de disparus depuis plus de 20 ans. C'est elle qui a décidé de l'emprisonner et a donné l'ordre de le faire. Et son ordre a été exécuté.» Alors que des généraux notoirement connus pour leurs crimes contre l'humanité en Algérie durant la guerre contre le peuple des années 1990 sont propulsés aux plus hautes responsabilités dans les sphères de la junte militaires, à l'exemple du général-major Abdelazidz Medjahed,du général-major El Mansour Benamara, dit «hadj Redouane» et du général-major Ammar Athamnia, des militants comme Slimane Hamitouche sont mis en prison, d'autres encore, à l'instar du jeune Ibrahim Daouadji sont tout simplement enlevés par des agents de la police politique. Leurs familles restent sans nouvelles d'eux jusqu'à ce qu'elles apprennent qu'ils sont détenus dans en prison. Ibrahim Daouadji a été enlevé le 16 mars précédent. Devant cet arbitraire, il a entamé une grève de la faim que ses avocats et d'autres détenus d'opinion de la prison d'El Harrach où il se trouve ont fini par le convaincre d'interrompre. Par ailleurs, la mise en danger de la vie de Karim Tabbou et de Rachid Nekkaz sont des signaux envoyés en guise d'avertissement par les criminels du régime aux militants qui croient en une Algérie plurielle, démocratique et sociale. Le triste exemple du Dr Kamal-Eddine Fekhar et toujours dans les esprits… Pour sa part, Khadija Dahmani.. Cette activiste de Chlef «a été interpellée par la gendarmerie nationale et a été emmenée à la brigade où elle a subi un interrogatoire sur l'une de ses publications Facebook au sujet du Coronavirus. », selon l'information du Comité National pour la Libération des Détenus (CNLD), publiée jeudi (26 mars), sur sa page Facebook. Le CNLD a, aussi, fait état de l'acharnement juridico-policier que subissent d'autres activistes. A Boumerdès, «Meziane Koufi est parmi les personnes convoquées par la police à Boumerdes, seulement après quelques jours d'avoir reçu des menaces sur son Facebook.» à alerté le CNLD. D'autres cas sont, également, signalés. Il s'agit, entre autres, de «Mohamed Achiche, convoqué par la police judiciaire de la sûreté de daïra d'El-Rouina» dans la wilaya de Ain Defla et de Sohaib Debagh, convoqué par la police à Alger. L'IMPUNITE ET SES PIÈGES «Le tout sécuritaire» n'est pas seulement un choix stratégique pour le régime. Il est dans son ADN. Se nourrissant de l'impunité et de la corruption, il donne forme à la violence de la junte militaire en définissant ses options répressives selon l'évolution de la situation. Prise en le marteau du coronavirus qui semble s'être introduit dans les rangs de la junte militaire et l'enclume de la Silmiya qu'elle cherche impérativement à briser, la police politique donne l'impression d'être confrontée à l'impératif d'élaborer un semblant de stratégie en situation de crise. Cette condition lui est inconfortable. Habituée aux techniques de contrôle et de changement programmé, elle a en honneur les imprévus que peut induire tout mouvement populaire autonome. En décembre 2001, l'«analyse des conjonctures des origines récentes de la crise aux perspectives» faite par un «groupe d'une douzaine d'officiers travaillant autour du général Touati, considéré comme l'idéologue du régime» préconisait une «reconstruction (téléguidée) du paysage politique» étalée sur trois ans. L'une des préoccupation des concepteurs de ce programme articulé autour de six axes stratégiques majeurs était d'éviter «le pire moment» pour sa mise en place. Car, rappelaient-ils «Il n'est, selon des analystes, «pire catastrophe dans le domaine de la stratégie que d'être contraint de changer de stratégie au pire moment». En avril 2001, la stratégie du chaos local pour de nécessaires rééquilibrages claniques au sein du régime a été lancée en Kabylie avec son lot de morts, de blessés et de traumatismes profonds des mémoires collectives. Ces traumatismes rappellent ceux d'Octobre 1988 où la restructuration de la police politique et la redéfinition des rapports de force entre les clans du régime ont coûté la vie à 500 jeunes à Alger. D'autres exemples sont à mettre dans ce registre : les violences subies par les habitants de la régions du M'zab, «l'affaire Tiguentourine»… L'histoire récente de notre pays nous apprend que c'est dans la violence que le régime règle ses propres crises. Seulement, avec l'avènement de la Silmiya, le peuple a montré a quel point a-t-il appris à connaître la junte militaire. Certes, cet apprentissage s'est fait dans la douleur, les larmes et le sang. Cependant, il a permis aux Algériens de renouer avec le combat pour la construction de leur citoyenneté. Le régime s'est forgé dans l'anti-histoire. En 58 ans d'indépendance, il a empêché la réalisation de la souveraineté nationale. A l'absence de l'Etat national sous l'ordre colonial, il a substitué l'anti- Etat. Pour maintenir le pays dans cette condition, la police politique ne lésinera sur aucun stratagème. Ainsi, profitera-t-elle de la confusion entre le sens de la désobéissance civile et celui de la dissidence citoyenne pour porter atteinte au caractère pacifique de la révolution populaire en cours. La désobéissance civile, c'est un mouvement massif mené sous un mot d'ordre défini. Porté par une colère à surveiller, il est limité dans le temps. Cela dit, sa mobilisation est liée au parcours historique d'une nation. Or, l'histoire de l'Algérie post-indépendance a connu deux exemples marquants de la désobéissance civile : celle du FIS au début des années 1990 et la grève du cartable en Kabylie, en 1994. Chacune de ces deux actions a connu un échec traumatisant pour le pays. Par contre, la dissidence citoyenne rend visible l'évolution du mouvement révolutionnaire de la contestation du régime militaire à l'identification de nouvelles sources du pouvoir au sein du peuple et à la construction de nouvelles formes de l'exercice de cette souveraineté naissante. A ce titre, les exemples d'auto-organisation et de renouvellement des rapports sociaux donnés par les Algériens, mis à l'épreuve de la pandémie de la Covid-19 et faisant face à l'irresponsabilité du régime, ouvrent de nouvelles perspectives pour l'Algérie. Ces perspectives, la police politique ne lésinera sur aucun stratagème pour les refermer aussi rapidement qu'elle puisse le faire. En ces temps de confinement, parmi les scénarios à craindre, celui d'une nouvelle version de la stratégie du chaos local n'est pas à écarter. Les provocation répétées à travers l'écharnement des services de sécurité et de la machine judiciaire sur des militants politiques ciblés semblent avoir comme objectif d'inciter une partie des manifestants à sortir dans la rue. Ainsi, la police politique réunirait-elle les conditions d'une répression circonscrite à Alger pour pourvoir militariser d'avantage une situation exceptionnelle. Il est vrai que la mise en route de ce scénario n'est pas vérifiée. Seulement, il est tout aussi vrai que l'éventualité de sa conception n'est pas à écarter. Enfin, le plus important, c'est que la vigilance citoyenne rend caduques les pratiques de la police politique tout en permettant aux Algériens de ce battre pour triompher du coronavirus. Hacène LOUCIF.