Le nouveau président algérien Abdelmajid Tebboune n'a pas modifié l'ADN du régime. Et le bâillonnement des voix discordantes se poursuit même en période de confinement… Par Baudouin Loos LE SOIR de Bruxelles, 7/04/2020 à 17:56 L'Algérie n'échappe pas à la pandémie mondiale, mais dans ce pays en proie depuis plus d'un an à une contestation massive de « la rue » qui veut se débarrasser de son régime à la fois opaque et prédateur, il se passe que le pouvoir semble tenter de profiter des événements pour mieux bâillonner les trop nombreuses voix discordantes. En attestent plusieurs condamnations à des peines de prison ferme qui ont visé des personnalités proches du « Hirak » (mouvement), comme les Algériens ont surnommé leur propre élan de protestation. Ainsi, une justice que les opposants considèrent comme « aux ordres » a condamné le 6 avril à un an ferme pour « atteinte à l'intégrité du territoire national » Abdelouahab Fersaoui, 39 ans, président du Rassemblement-Actions-Jeunesse (RAJ), une association citoyenne très active. Il avait critiqué la répression, il y a six mois, et s'était alors fait embastiller. « La justice a fondé son accusation sur mes publications sur mon compte Facebook. Ces publications, dont je suis responsable, ne menacent ni l'unité nationale ni n'incitent à la violence », s'était-il défendu, selon le RAJ. Parmi les autres victimes de la « justice » algérienne figurent trois journalistes et un homme politique. Ce dernier, Karim Tabbou, une figure active du « Hirak » a été condamné le 23 mars à un an de prison ferme pour « atteinte au moral de l'armée » et « atteinte à l'unité nationale ». Il doit encore comparaître le 27 avril dans un autre procès. Qu'est-ce que cette répression nous dit du régime algérien ? Deux Algériens contactés par voie électronique nous ont donné des réponses différentes. Pour notre confrère indépendant Abed Charef, « le pays est en train de solder l'année 2019, qui a permis d'éliminer le cœur de l'ancien système. Les soubresauts d'aujourd'hui sont les séquelles d'une étape qui s'achève en queue de poisson, avec un Hirak qui se délite. On est entré dans une nouvelle séquence… » Le docteur Salah-Eddine Sidhoum, opposant radical de longue date, se montre plus offensif dans son analyse : « Rien n'a changé depuis le début de la révolution populaire pacifique du 22 février 2019, en dehors de l'effondrement du mur de la peur. Le système est toujours le même avec ses ignobles pratiques, ses pantins de service, ses partis des officines et sa police politique omniprésente. L'an passé, l'un des gangs de l'oligarchie militaro-financière a surfé sur cet événement pour régler ses comptes avec le gang adverse. Puis progressivement l'oligarchie s'est retournée contre ce mouvement populaire pour le réduire, par une lâche répression contre les activistes. Personne n'y a échappé, ni les vieux ni les jeunes. Comme toujours, elle instrumentalise une justice aux ordres pour faire taire les voix libres. Le procès scandaleux de Karim Tabbou et la condamnation inique d'Abdelouahab Fersaoui sont des exemples éloquents de l'instrumentalisation de la "justice". Sa lâcheté a atteint son comble lorsqu'elle a profité de cette trêve décidée par le mouvement populaire en raison de la pandémie pour redoubler de férocité en convoquant des dizaines d'activistes et en incarcérant des dizaines d'autres, pour leurs idées politiques. » Le régime, on s'en souviendra, avait réussi après moult tentatives à organiser en décembre dernier une élection présidentielle qui, même si boudée par une majorité d'Algériens, avait abouti à l'élection d'un ancien Premier ministre, Abdelmajid Tebboune. Ce dernier, qui cautionne la répression, veut-il avancer sur la voie des réformes ? Nos interlocuteurs divergent là aussi. « Tebboune essaie de s'installer dans le costume de président, mais il est pris par les urgences de la crise du coronavirus, estime Abed Charef. C'est un impulsif (il a changé de directeur de campagne en pleine campagne et il a déjà changé de directeur de cabinet). Je ne sais s'il est en mesure de construire un nouveau pouvoir. » S'agissant du nouveau locataire d'El Mouradia, le palais présidentiel, Salah-Eddine Sidhoum ne lâche rien. « Le règne de celui qui a été intronisé par l'oligarchie militaro-financière sera pire que celui de son prédécesseur. On a changé quelques personnes mais le système déliquescent et en fin de cycle est toujours en place. La crise politique de légitimité du pouvoir qui perdure depuis l'indépendance en 1962 ne fera que s'aggraver. Seul un changement radical du système politique pourra mettre le pays sur les rails d'un Etat de droit et des libertés démocratiques. ». La crise sanitaire mondiale peut être l'occasion de rebattre les cartes politiques, pour le meilleur ou pour le pire. A ce point de vue, les Algériens, à leur corps défendant, paraissent mal partis.