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Un journaliste en Algérie n'est pas toujours un flic.
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 11 - 08 - 2020

Je ne suis pas corporatiste et je me moque que Khaled Drareni soit journaliste, ce qui m'insurge dans son procès, ce sont les graves atteintes à ses droits de citoyen.
Il témoigne, de par la lumière qui l'éclaire, pour toutes et tous les citoyens jugés pour délit d'opinion sous couvert d'ordre public pendant et après le mouvement de contestation populaire du 22 février.
Ce qui frappe dans ce procès c'est ce qui sépare la lourdeur des peines qu'entraînent les chefs d'inculpation et la légèreté des preuves qui justifient, démontrent, prouvent que K.Drareni est bel et bien coupable des monstruosités dont il est accusé : atteinte à l'unité nationale, appel à un attroupement non armé, presque un terroriste.
C'est ce qui explique le malaise des opinions qui, alors que le procès est bouclé et le verdict en première instance rendu, se demandent encore : mais qu'est- ce qu'il a fait au juste ?
Un doute qui n'épargne même pas cette partie de l'opinion qui ne se reconnaît pas dans ce qu'incarne aujourd'hui Khaled Drareni à travers le yetnahaw ga3, « dawla madaniya machi 3asskariya », même si elle s'en protège en affirmant que : « tout n'a pas été dit » et qui ajoute : « montrez -nous ce qu'il y a dans ce dossier ».
Dans ce on- nous- cache- quelque- chose, s'est insinué le doute qu'inspire ce procès qui refuse de s'épuiser, de se fermer, et qui attend toujours son dénouement par la preuve.
« Personne ne nie que Khaled Drareni et son avocat sont des habitués de certaines ambassades. La messe est dite » se rassure un internaute ce matin.
Quelle messe, celle du Diable ?
Le diable dans cette affaire c'est la rumeur, le travail de propagande des officines de la désinformation qui ont accompagné ce procès afin de préparer les opinions, sans laisser de traces juridiques, à consentir politiquement au verdict qui n'aurait d'autre ambition que de protéger le pays, la nation menacée par des traîtres, des êtres fourbes qui, sous leur dehors de beaux gosses angéliques, complotent avec des puissances étrangères.
Le procès de K.Drareni n'est plus le procès d'un citoyen journaliste mais celui d'un habitué des ambassades ainsi que son avocat, convoquant tout l'imaginaire construit du complot.
N'est-il pas en plus le correspondant de TV5 Monde, de France 24, de la « presse étrangère », et fait aggravant de RSF et de SOS racisme ? En plus sans accréditation. Et si le dossier est vide, rien n'empêche de le remplir de fantasme.
Pour avoir moi-même été correspondante de TV5, sans accréditation, pour avoir moi-même déjeuné à la table d'ambassadeurs, de France de surcroît, pour avoir moi- même travaillé pour RSF, écrit un livre intitulé « Etre journaliste en Algérie », pendant la guerre civile pour lequel j'ai même été rémunérée, je dois témoigner de la banalité de ces faits quand on est journaliste.
« Amis de l'Algérie » et « ennemis de l'Algérie » ?
Dans tous les pays du monde, des journalistes dans leur pays déjeunent avec des ambassadeurs étrangers, et si les murs de l'ambassade d'Algérie à Paris pouvaient parler, ils en témoigneraient.
Les journalistes, et c'est ce qui fait ce métier déjeunent, dînent, fréquentent toutes sortes de faunes, le matin avec un voleur de portable, le soir avec un ambassadeur et à midi avec un milliardaire, c'est ainsi qu'ils s'informent, se forment et informent quand ils prennent au sérieux leur métier et c'est ce qui en fait par ailleurs le sel.
Bien sûr, les ambassades n'invitent pas tous les journalistes mais ceux qu'ils espèrent, qu'ils estiment suffisamment influents, crédibles, pour éventuellement faire entendre leurs voix. C'est la règle du jeu et les règles ne deviennent des crimes que lorsqu'ils sont prouvés.
Quand un journaliste français déjeune avec un ambassadeur algérien, c'est « un ami de l'Algérie », et quand un journaliste algérien déjeune avec un ambassadeur français, « c'est un ennemi de l'Algérie ».
Equation absurde, mais en fait elle ne l'est pas tant que ça, elle renvoie à notre histoire : en Algérie l'information est souvent confondue avec le renseignement. C'est un héritage de la guerre de libération nationale.
Quand El Moudjahid écrit après l'assassinat d'Abane Ramdane par ses frères d'armes qu'il est mort au combat, il ne ment pas, il continue à faire la guerre à la France. Mon beau père, qu'il repose en paix, Pierre Chaulet et proche d'Abane Ramdane, l'un des rédacteurs d'El Moudjahid à Tunis à l'époque, expliquait : « Qu'est-ce- que tu voulais qu'on fasse, qu'on aille se plaindre à l'ambassade de France ? » C'était la guerre et en effet, il n'y avait rien d'autre à écrire qu'Abane Ramdane était mort au combat.
La guerre avec la France est officiellement finie et c'est à nous même qu'il s'agit maintenant de dire qui a tué Abane Ramdane, tous les Abane Ramdane.
Le président de la république A. Tebboune ne me contredira pas : c'est de manière conviviale qu'il a accepté de répondre à des questions interdites aux journalistes algériens sur Fr 24, une télévision non seulement française mais en plus la voix de la France.
Ce qui se joue dans ce procès ce ne sont pas les relations entre la France et l'Algérie, mais les relations entre l'information et le renseignement.
Le monde des médias et le monde des services secrets.
Un combat inégal.
La question de l'accréditation des correspondants de la presse internationale est à ce titre révélatrice : ne pas avoir d'accréditation en Algérie n'est pas l'exception mais la règle.
Khaled Drareni, correspondant de TV5 sans accréditation est dans la norme, non dite, non écrite mais qui fait office de pratique imposée et acceptée par tous, police politique et journalistes. Mais « Dans cette guerre d'ombre, les journalistes sont les seuls acteurs condamnés à avancer à visage découvert, même s'ils signent d'un pseudonyme car, en définitive, être journaliste, c'est rendre public son travail » (in, Etre journaliste en Algérie, par moi-même »). Alors le combat est inégal.
Aussi je regrette que les dizaines et les dizaines de journalistes correspondants de la presse étrangère ne soient pas sortis de l'ombre pour témoigner de cet état de fait devant la justice et les opinions : oui, nous sommes tous des correspondants sans accréditation.
Les opinions doivent savoir que tous les correspondants algériens résidants en Algérie de tous les pays du monde travaillent dans les mêmes conditions que K.D, pour la presse turque, chinoise, américaine, iranienne, anglo-saxonne, canadienne, libanaise, russe et j'en oublie. Le monde est vaste et le mur de Berlin est tombé …y compris en Algérie, il n'est pas interdit de le regretter.
J'ai fait une seule fois une demande d'accréditation et j'attends encore la réponse du ministère de la police sous couvert du ministère de la communication, cela ne m'a jamais empêché de faire mon métier et je dois reconnaître que personne ne m'en a empêché.
Cette règle non écrite est une forme sournoise de gestion de l'information, de la profession de journaliste, elle est aggravée par une autre absence : l'absence d'une carte nationale professionnelle de journaliste qui légalement, devrait être délivrée par l'état algérien.
Dans les pays dits démocratiques, il n'y a pas de journaliste sans carte de presse nationale. Cette carte professionnelle vous permet d'abord de prouver votre identité professionnelle qui vous autorise à enquêter, à questionner, à pousser des portes interdites au public, comme un flic alors que vous n'êtes pas flic.
Ici, il est important de rappeler que ce qui fait, selon la loi, la preuve que vous êtes journaliste professionnel, c'est votre rémunération qui doit être principalement issue de ce travail, de ce métier, à temps plein. C'est par le salaire, les honoraires que vous percevez en échange de ce travail presque exclusif qui témoignent de votre profession.
Aussi quand la juge questionne pendant le procès K. Drareni sur ses rémunérations, non seulement elle démontre que l'acte d'accusation, le vrai, le non dit est mal ficelé, mais surtout elle démontre par l'absurde que K. Drareni est bel et bien journaliste et que justement ce sont ces fiches de paye qui en témoignent.
Généralement, le vrai salaire des traîtres n'est pas porté sur une fiche de paye.
Autre chose, quand lors du procès les questions posées par la juge s'égarent autour des questions pour savoir s'il est correspondant pour TV5 et FR 24, ou seulement pour FR24, c'est un peu comme si elle tentait de mesurer son échelle de traîtrise pour mieux évaluer sa punition : « alors mon grand avoue, dis- moi, tu es traître à 100%, à 50% ou à 25% ? »
Un tel procédé d'évaluation témoigne de la chicane pour nourrir un dossier vide.
On est traître ou on ne l'est pas.
Ce putain de complot.
Et c'est bien ce qui fait du procès de K. Drareni un procès à part, un procès singulier parce qu'il y a matière à étayer le complot, à l'habiller contrairement aux autres procès des autres inculpés du Hirak, des anonymes aux métiers de braves gens comme mon ami Hamitouche, fils de disparu qui trime depuis des années comme agent à la mairie d'El Mouradia de contrat précaire en contrat précaire, et qui aujourd'hui enfin libéré se demande si son contrat va être renouvelé, pas de quoi faire un agent secret.
En revanche Khaled a tout pour incarner/ désincarner l'espion : il est beau, il est grand, il est fort, il plaît aux femmes et il est journaliste, parfait pour incarner un héros de cinéma à la manière d'un James Bond en smoking déjeunant à la table de l'ambassadeur de Chine.
Une figure parfaite pour incarner le complot. Qu'importe les preuves, il suffit de les suggérer, tout est là : de l'argent qui circule, de l'information, un voyage payé par SOS racisme.
Il suffit de vider la scène de la lourdeur du monde, de l'épaisseur de l'Algérie et de la réduire au dimension d'une salle de procès à huis clos :
– « Que faisiez-vous, demande faussement avec sérieux la présidente de la cour, le samedi 7 mars sur la rue Didouche ? »
– « J'appelais, chère madame, à un attroupement non armé avec mes amis Hamitouche et Larabi en vue de porter atteinte à l'unité nationale ».
Il suffit d'effacer du dossier que ce même jour des centaines d'algériens et d'algériennes étaient en train de s'inventer un « attroupement non armé », un samedi en plus du vendredi et du mardi, comme depuis le 22 février. Il suffit d'effacer que ce même jour quelques 30 personnes au moins ont été arrêtées dans les mêmes conditions que K. Drareni, Hamitouche et Laribi et que tous seront relâchés. Il faut croire qu'ils étaient mal dotés pour faire le job du complot. Ce putain de complot, il faut bien arriver à le montrer, le promener sur la place publique, à l'asseoir sur une chaise et lui donner un nom pour criminaliser toutes les revendications de citoyenneté, continuer à l'interdire en les rendant suspectes.
Voilà c'est fait : son nom c'est K. Drareni.
Mais c'est raté, les opinions n'y croient pas et demandent mais il est où le complot ? on nous cache quelque chose.
Non, chers amis ou ennemis lecteurs, on ne vous cache rien, tout est sur la table : il n'y a pas de complot. En revanche il y a bel et bien une affaire Khaled Drareni.
Quand un procès en cache un autre.
Cette affaire ne s'est pas jouée sur la rue Didouche, mais dans les couloirs des casernes où il a été convoqué et du Palais de justice où il a été traîné. Elle s'est jouée, au moins symboliquement, le jour où il a dit dans une caserne : je ne peux pas ouvrir mon portable à votre curiosité légitime sans faire insulte à mon métier.
Il a dit en privé dans ces bureaux qui font peur, puis publiquement : « je suis journaliste, je ne suis pas flic ». Il a tracé par la pratique de ce que l'on appelle l'éthique et pas seulement par le discours la frontière entre le métier d'informer et celui de renseigner.
C'est celui- là son crime et c'est là son courage et c'est cela qu'on lui fait payer.
Khaled Drareni est coupable d'avoir rompu le Pacte du silence qui lie les médias et la police civile et militaire en Algérie. Participant ainsi à l'esprit du Hirak des premiers jours, dans sa dynamique populaire qui a tenté de rompre, plus largement, à l'échelle du pays la connivence tacite qui lie les algériens et les algériennes à ce qu'on appelle « le régime », « le système » sans jamais le cerner en terme politique, sociologique, anthropologique et sans jamais nommer les intérêts qu'il défend.
Khaled Drareni est sans aucun doute un homme courageux qui force le respect et je l'écris sans aucun parti-pris corporatiste et avec autant plus de liberté que je n'ai jamais caché que je suis loin de partager sa lecture du Hirak. Telle qu'il l'a médiatisée sur ses différents supports, tantôt en tant que journaliste sur des médias, le sien Casbah Tribune et ceux des autres, ces fameux « étrangers », tantôt en tant que citoyen comme tout le monde sur les réseaux sociaux. Il est intéressant de noter que la justice s'est plus soucié de ces derniers que de sa production journalistique et il y a là un signe pour ceux qui veulent faire la différence entre le mythe du « journaliste est un métier » et la réalité « oui mais pour le faire encore faut-il le définir ».
C'est ce qu'a tenté de faire Khaled, mais je m'interdirai bien de le traiter de mon héros.
Pourquoi ? Parce que sans doute qu'à mon âge fêlé on apprend que la politique et le romantisme font mauvais ménage. Mais plus sérieusement et au présent si j'insiste sur ces distinctions, ce qui sépare, ce n'est pas pour amoindrir son combat mais au contraire pour le soutenir, l'alléger de ce fardeau que lui fait porter cette partie de la corporation des journalistes, la partie dominante idéologiquement, la plus visible pour mieux désigner son bouc émissaire.
C'est bien là la fonction des mystifications, de toutes les mystifications asseoir le récit des dominants en cachant la réalité du monde, la férocité des intérêts contradictoires, ce qui explique en partie la violence de ce récit en direction de tous ceux et celles qui bien que de la même corporation ne le reproduisent pas comme des sténos sous la dictée des patrons.
Mon métier m'a appris que les mots font sens : en le déclarant héros, on l'isole, le distingue. Un héros est une personne extraordinaire, dans la mythologie on le dit mi- dieu, mi- homme. Ce qualificatif participe à le mettre à part sur la scène vide du procès, à le livrer à la police dans sa solitude de héros.
Ce qui permet alors aux autres journalistes, simples hommes ordinaires de ne même pas prendre la peine de couvrir son procès et de se contenter de faire les cœurs comme dans la tragédie antique pour préparer la Cité à son sacrifice : le héros s'est levé et debout il a dit.
Voilà la victime expiatoire de ce procès antique et contemporain, entre les cœurs et le journalisme dit 2.0. Baissons rapidement le rideau sur la scène de l'extraordinaire et retournons nager dans les eaux de l'ordinaire ambiguïté.
Sinon comment expliquer l'absence des patrons de presse, les actionnaires disent-ils avec arrogance, l'absence des leaders d'opinion, des plumes, de l'élite de la presse, comme ils se définissent ? un cercle qu'il faut élargir, une question qu'il faut également posée aux leaders des partis, aux élus, aux députés, aux maires, au Pacte de l'Alternative démocratique (laisser moi rire… le Pacte) cité, pourtant dans le corps du procès.
Mon métier c'est aussi questionner ce vide. Et si je ne suis pas juge je sais reconnaître un procès équitable et un procès injuste.
La preuve par l'absurde.
Pour appeler à « un attroupement non armé », il faut me dire l'heure, le lieu, les moyens utilisés et les objectifs visés par l'inculpé. Pour porter « atteinte à l'unité nationale », il faut également me dire où, quand, comment, avec qui et pourquoi ?
Sauf à considérer que quelques lignes jetées sur Facebook, que la fouille de quelques mails privés et professionnels suffisent à inculper, juger et condamner depuis des chefs d'inculpation extrêmement graves, une gravité qui se mesure au réquisitoire du procureur qui ira jusqu'à demander la déchéance, pour une période de 4 ans, de Khaled Darren de ses droits civiques et civils. Une aggravation des peines exceptionnelle et rare parce qu'elle prive un citoyen de quasiment tous ses droits reconnus par la Constitution, en plus, selon la loi, cette peine ne prend effet qu'après sa libération. Une peine infamante, d'autant plus infâmante que rien dans le dossier ne la justifie, ce qu'ont fini par reconnaître les juges qui n'ont pas suivi, ici, l'accusation.
Dans ce procès, et jusqu'à preuve du contraire, aucune des conditions nécessaires et obligatoires en vertu du droit depuis le code de procédure pénale jusqu'au code pénal n'ont été respectées, c'est ce que ce procès bien que tenu quasiment à huis clos et en l'absence de l'inculpé, inaudible, selon les témoins, n'a pas été en mesure de cacher et de révéler grâce à ses avocats. Faut-il rappeler que l'article premier du code pénal dit dans ses principes généraux : « Il n'y a pas d'infraction, de peine, ni de mesure de sûreté sans loi » ?
Oui, il faut le rappeler.
Et, enfin pour conclure ceux qui disent on n'a rien compris n'ont pas tort, c'est le but de ce genre de procès, déjà en 1996 j'écrivais dans mon essai « Etre journaliste en Algérie » pour RSF : « En Algérie, le sentiment le mieux partagé est celui de ne pas comprendre. Subitement, l'ensemble du monde familier vous devient étranger, inconnu. Tous les repères sont déréglés. Ce sentiment de grande insécurité casse les solidarités, éparpille les forces, paralyse l'énergie et la raison pour ne laisser place qu'à l'opinion forcement subjective et partisane. » Aujourd'hui je n'en changerai pas une virgule, malheureusement.
Je soussigné Ghania Mouffok, traître depuis cent ans, pour servir à qui de droit.
P.S A tous les correspondants de la presse étrangère, qu'attendons-nous pour signer le manifeste des 121 traîtres et traîtresses en solidarité active avec K. Drareni


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