L'école primaire El Ghazali, au pied de la Présidence à El Mouradia est ouverte sur sa cour où le temps est beau, les oiseaux chantent et la terre est sèche, il fait très chaud. Dans la classe de vote Hassiba Ben Bouali depuis sa photo d'immortelle nous regarde, encadrée par les frises enfantines en dentelles de papier, des lapins et des champignons rouges. 36 listes de futurs députés attendent un peuple d'électeurs et d'électrices qui répond absent alors qu'il n'est pas loin d'une heure de l'après midi. "4400 électeurs mais on compte seulement 400 votants et la majorité sont venus du Haras El Djamhouri" m'informe le chef de centre, l'air absent de cette tête un peu lasse qu'on lui fasse ainsi perdre son temps, alors qu'il savait très bien que personne ne viendrait à cette fête sans objet. A part la Garde républicaine, ce qui n'a rien de surprenant. Une bougie, deux bougies, un bâton de cire à la main, trois fonctionnaires chargés de veiller au bon déroulement du scrutin s'échinent ensemble pour trouver la bonne méthode pour sceller les urnes cadenassées à la cire rouge qui a fondu, après quelques tentatives infructueuses, la cire est de mauvaise qualité, et si elle fond chauffée à la bougie quand elle s'étale elle fait des petits tas peu convaincants, ils refusent de s'agglomérer, l'une des femmes décide de régler à la main cette affaire en enfonçant son pouce dans la cire. Ouf ! Ils sont bien les seuls ici à se casser la tête pour ce genre de détail, dans cette science qui apprend que c'est le détail, l'habitude qui fait la force de la bureaucratie. Ce soir elle recevront en échange entre "5000 et 7000da la journée, cela dépend du grade" à l'ère du chômage c'est toujours ça de pris, à la mairie on m'avait averti, "vous savez on reçoit plus de candidatures pour tenir les bureaux de vote que de demande de carte d'électeur." Un homme est seul, chemise blanche repassée, il est venu voter pour faire honneur au souvenir de ses parents : républicains ils lui ont transmis que ce qui fait la République, c'est l'exercice des droits arrachés comme le droit de vote. Un peu perdu il demande : on ne peut prendre qu'une seule liste ? Oui, lui répondent impassibles les jeunes filles qui tiennent le bureau de vote, plus nombreuses que les électrices, il ne sait plus si il peut cocher plusieurs noms sur la liste et puis il se dit : quel importance ? avant de glisser son bulletin de vote dans le trou, puis il trempe son doigt blanc qui devient tout noir, sans trouble cet homme cultive le droit d'être minoritaire. Et, ce sera la seule chose surprenante de cette journée d'une tristesse absolue, dans mon ventre j'ai comme un trou. Avant de rentrer je m'arrête au bureau de tabac, le paquet a augmenté de 10 da, m'annonce désolé le vendeur, et comme un malheur ne vient jamais seul il ajoute "et demain il augmentera de 20 da encore", mais pourquoi pas 30 da tout de suite, "parce que c'est officiel demain, d'ailleurs j'ai eu bien du mal à m'approvisionner aujourd'hui, tous les grossistes préfèrent attendre demain, l'argent madame, l'argent". Oui, l'argent, à partir de demain même se suicider à petit feu coutera plus cher.