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Pour le régime syrien, « tout doit disparaître, hommes et biens »
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 29 - 07 - 2024

Le régime de Bachar Al-Assad ne s'est pas contenté d'arrêter, de torturer et de tuer massivement son peuple, il s'est aussi emparé des biens des habitants. Avec un triple objectif : remplir les caisses de l'Etat, enrichir les hauts dignitaires du pouvoir et empêcher tout retour des indésirables — opposants ou supposés tels. Une pile de documents dévoilés lors du procès de Paris en mai 2024 a apporté les preuves de ce nettoyage politico-financier systématique.
Conflits Droits humains Nina Chastel 17 juillet 2024
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* Conflit syrien
* Crime de guerre
* Justice
* Syrie
* Torture

Omran Younis, Sans titre, 2017
Le procès de trois hauts responsables syriens : Jamil Hassam, Ali Mamlouk et Abdel Salam Mahmoud pour crimes contre l'humanité, en mai dernier à Paris a mis en lumière les confiscations systématiques de biens, les expropriations et les extorsions de fonds des disparus et de leurs familles par le régime. Des faits largement documentés, en se basant notamment sur le cas de la famille Dabbagh, du nom de ces deux Franco-Syriens arrêtés à Damas en 2013 qui a permis à la justice française de s'emparer du dossier.
Le 23 mai, le Centre syrien pour la justice et la responsabilité (Syria for Justice and Accountability (SJAC)), qui a apporté son concours à l'instruction, a rendu public un rapport très détaillé sur les pillages d'Etat, intitulé « Avec l'aide de Dieu, il ne restera rien. Pillage de biens civils sous l'égide du gouvernement syrien »1. Il établit que les vols sont orchestrés au plus haut niveau de la hiérarchie militaire et qu'ils servent à assurer des ressources économiques au régime et à ses dirigeants. Le verdict les a qualifiés de « délits de guerre ». Pour eux, tout doit disparaître, les humains comme les biens.
La saisie des « biens des terroristes »
Quand Mazzen Dabbagh est arrêté à son domicile, en novembre 2013, les agents du pouvoir commentent sa voiture neuve et lui prennent les clés avant de l'emmener dans la prison de Mezzeh dont il ne reviendra jamais. Le véhicule est ensuite régulièrement aperçu dans le quartier : sa femme recevra même une amende pour excès de vitesse. En 2016, les agents reviennent, et lui signalent qu'elle est expropriée de la maison familiale. Le scellé qu'ils présentent émane du ministère des finances : c'est une simple feuille A4, bordée de rouge à lèvres, ainsi que le racontera Obeida Dabbagh, le frère de Mazzen, à l'audience. Découvrant sur place que tout l'immeuble appartient à la famille, les militaires s'emparent aussi des clés de l'appartement de la mère.
En apprenant la nouvelle, Obeida Dabbagh tente de comprendre pourquoi Mazzen et son fils ont été arrêtés et comment le gouvernement a pu saisir tout le bâtiment, dont seulement le quart appartient à son frère. Lui et sa femme Hanane, également partie civile au procès, remuent ciel et terre pour récupérer la propriété familiale, et, pour mettre toutes les chances de leur côté, engagent un avocat alaouite. À la barre, Obeida confie :
Je ne savais pas que tout irait aussi loin. Ma démarche constante visait à savoir ce qui leur était reproché. Il n'y a aucune certitude, que des spéculations. Mais peut-être que ce n'était que pour la maison !
Ses démarches, semées d'embûches, lui permettront de découvrir que l'appartement appartient désormais à l'Etat, au titre de la « saisie des biens des terroristes ». Il est occupé, pour un loyer de 30 dollars (27 euros) par an, par Abdel Salam Mahmoud — l'homme qui était alors directeur de la branche des investigations des services de renseignement de l'armée de l'air à Damas, directement impliqué dans la disparition de Mazzen et Patrick. La famille apprend à cette occasion que l'autre partie de l'immeuble est louée à un autre dignitaire du régime. Mazen Darwish, directeur du Centre syrien des médias (SCM) et lui aussi partie civile, confirme : « Les extorsions de fonds et la confiscation des biens assurent des ressources financières et économiques au régime. C'est parfois la raison des arrestations. »
À l'audience témoigne aussi N., aujourd'hui réfugié politique en France. Lui et toute sa famille viennent d'Al Moadamiyeh, un quartier au sud-ouest de Damas, qui jouxte la base militaire de l'aéroport de Mezzeh. Centre névralgique de la terrible armée de l'air et de ses services de renseignement, la base abrite aussi les prisons où sont enfermés et torturés des milliers de civils et l'hôpital 601, connu par les clichés de corps suppliciés pris par le photographe légiste César2.
N. raconte que 70 % des terrains d'Al Moadamiyeh, un quartier devenu hautement stratégique, sont occupés et partagés entre l'armée de l'air, la 4e division, les brigades de combat et toutes les factions qui gravitent autour de l'aéroport : « On a les actes de propriété ! J'ai 40 ans. Je n'ai jamais pu aller sur ces terrains. On avait le droit de les vendre, mais seulement au régime. » Au début de la « révolution », les habitants manifestaient pour réclamer la restitution de leurs biens confisqués, sur lesquels se trouve l'aéroport. La ville rebelle subira, en 2013, des attaques chimiques et trois longues années de siège.
N. est arrêté puis emmené à Mezzeh. Après trois mois de torture quotidienne dans les prisons de l'aéroport, on lui fait signer des aveux avec ses empreintes digitales. Il a alors les mains attachées dans le dos et les yeux bandés. Quand le juge du tribunal civil où il est transféré l'interroge sur ses aveux, il dira : « Mais je ne sais pas ce qu'ils m'ont fait signer ! Si ça se trouve, j'ai même vendu ma maison sans le savoir ! » Aux juges du tribunal parisien, il explique : « J'avais raison, certains de mes biens ont été saisis après ça, et toutes les propriétés de mon père ont été confisquées aux bénéfices du service des renseignements de l'armée de l'air. »
Ce témoignage vient corroborer celui d'Obeida Dabbagh, et acter que la confiscation des biens fait partie de la stratégie d'un régime exsangue qui s'assure des ressources financières en pillant les civils.
La propriété et le foncier, nouvelles armes de guerre
L'expropriation est une pratique courante du parti Baas depuis son arrivée au pouvoir en 1963. Elle s'inscrit alors dans un processus de nationalisation et de contrôle de la population davantage que dans une logique de redistribution, suite aux héritages des administrations ottomanes et françaises. En 1983, Hafez Al-Assad en perpétue l'usage en lui enjoignant un critère « d'intérêt public », dont l'interprétation très vague profite toujours au régime. Les populations kurdes en font notamment les frais.
Depuis le début de la révolution de 2011, le gouvernement de Bachar Al-Assad a adopté près de 35 lois permettant la confiscation, l'expropriation et la saisie de biens. Relatives à la lutte contre le terrorisme, à la planification urbaine, aux habitats informels au recouvrement des dettes, au service militaire, aux terres agricoles communes et aux registres de propriété, elles visent principalement les biens appartenant aux personnes déplacées et aux membres présumés de l'opposition3.
Le décret 63, relatif à la lutte contre le terrorisme et promulgué en 2012, permet notamment de saisir les biens de détenus dès qu'une plainte est déposée contre eux, sans autre forme de procès. Par extension, il donne un blanc-seing à l'expropriation et l'occupation de toute maison délaissée : le départ étant considéré par le régime comme un aveu de soutien à l'opposition, chaque logement vide court le risque d'être ainsi réquisitionné, par de simples civils pro-régime, encouragés à se saisir des biens des « traîtres », ou par les forces gouvernementales. En 2018, la complexe et inique loi n° 10, permettant d'exproprier des terres appartenant à des Syriens ayant fui la guerre, vient compléter l'arsenal juridique de la dépossession sous couvert de reconstruction. De nombreuses zones urbaines dévastées par la guerre, où vivaient des populations majoritairement hostiles au régime, sont aujourd'hui visées par de nouveaux plans d'urbanisme.
Elle précise qu'à l'annonce de la requalification de la zone, les habitants ont un an pour venir prouver qu'ils sont propriétaires de leur bien. Un délai hypocrite, dans un pays où, avant-guerre, seulement la moitié des propriétés étaient déclarées ; un pays qui compte aujourd'hui des millions de déplacés internes et près d'un tiers d'habitats informels. Quand ils sont au courant, peuvent se déplacer et ont un titre de propriété, les habitants peuvent, après s'être acquittés d'une procédure coûteuse et risquée auprès des services de renseignements, obtenir une « part » du nouveau quartier rénové, calculée sur la valeur antérieure du foncier de la zone.
Au nom de la reconstruction, cette loi n° 10, largement dénoncée parmi la diaspora, permet ainsi de priver de tout espoir de retour les populations déplacées ou en exil. Depuis, le régime continue d'adopter amendements et décrets pour se saisir en toute légalité de tous les biens mobiliers et immobiliers de la population exsangue. En 2019, l'amendement 39 permet ainsi au ministère des finances de prononcer la saisie exécutive et sans préavis des biens de toute personne n'ayant pas effectué son service militaire avant 43 ans, mais aussi de ceux de sa femme et de ses enfants.
Un « nettoyage spatial »
Trois exemples de lois sur 35, qui permettent de prendre la mesure de la vaste entreprise de dépossession à grande échelle des civils. Ces biens sont ensuite octroyés à des fonctionnaires de haut rang ou vendus à des personnes tierces. Un rapport paru en 2016 et intitulé « Instrumentalisation du foncier et de la propriété dans la guerre civile syrienne : Faciliter la restitution ? »4, rapporte que les logements vides sont alloués à des occupants pro-régime qui se voient délivrer de nouveaux actes de propriété. Un « nettoyage spatial » qui vise à bouleverser la structure démographique du pays, et qui pousse les civils à ne pas quitter leurs maisons par peur de ne jamais pouvoir y revenir. Parfois au péril de leurs vies.
Des réfugiés relatent qu'avec l'arrivée des nouveaux occupants, notamment venus d'Iran, certains noms de rue ont changé. Un détail, qui signifie aussi que les informations des titres de propriété des habitants légitimes sont désormais caduques, rendant encore plus difficile toute tentative de récupération ou de restitution.
Des terrains et des quartiers entiers sont, eux, vendus à des investisseurs étrangers, russes, chinois5 et iraniens en tête. L'intérêt commercial de la reconstruction attire les bailleurs qui donnent leur feu vert à la destruction du pays pour mieux spéculer sur les ruines.
Détruire, voler et piller pour anéantir
Mais le régime ne se contente pas de confisquer les biens immobiliers des civils. Il vole et pille aussi. Ce sont ces agissements qu'analyse en détail le rapport du SJAC. En étudiant des vidéos, des images et des vues aériennes à Daraya, Harasta, Yarmouk, Homs ou Jarjanaz, en interviewant des témoins et d'anciens soldats, ou en se procurant des documents internes à la bureaucratie syrienne, l'organisation arrive à la conclusion que les forces gouvernementales volent systématiquement les maisons et les commerces des zones dont elles reprennent le contrôle. Au sein de la 34e brigade par exemple, célèbre pour ses pillages à Deraa, le butin est réparti suivant un système bien rôdé. Le matériel électronique est apporté à la branche de l'Intelligence militaire à Masmiyah. Les autres biens sont présentés au chef, qui se sert. Le reste (mobilier, électroménager, matières premières) est ensuite revendu ailleurs, dans des marchés que la population appelle « marché des voleurs » ou « marchés sunnites », en référence aux propriétaires présumés des biens pillés. Ce qui n'est pas vendu sert à meubler les infrastructures du régime ou les hôpitaux sous le contrôle du gouvernement. Et ce qui n'est pas volé est détruit.
La politique de la terre brûlée s'applique aux villes, aux villages, aux maisons, privant les civils de tout ce qui leur permet de survivre. À cause du vol des câbles, les maisons ne sont plus chauffées. Parce que les réfrigérateurs ont été volés, les aliments périssent. Dans de nombreux cas documentés par le SJAC, à Jarjanaz notamment, les soldats et miliciens démontent les toits des habitations : les maisons sont exposées aux éléments, inhabitables, et les matières premières revendues. Sans toit, ou sans meubles ni électroménagers, les civils sont déshumanisés et beaucoup font le choix de partir — ces pillages sont le fruit d'une tactique visant, à la fois, à déplacer les opposants et à enrichir les loyalistes.
Le rapport est catégorique : les forces gouvernementales et les milices pro-Bachar sont impliquées dans l'ensemble du processus, du pillage à la vente. Il affirme que « les vols ne sont pas le fait d'un sous-ensemble opportuniste d'acteurs militaires ». Bien au contraire. Les preuves analysées démontrent que les pilleurs volent avec l'aval de leur hiérarchie, quand ce n'est pas sous leurs instructions directes. Si le dossier précise que d'autres parties au conflit se sont également livrées aux pillages (des sites archéologiques orchestrés par l'Organisation de l'Etat islamique et largement médiatisés), ils sont sans commune mesure avec ceux qu'organise le régime pour consolider son contrôle et anéantir la population.
La question du retour des réfugiés est centrale dans les négociations sur la construction d'une paix durable et d'une solution politique au conflit, portée par la résolution 2254 de l'Organisation des Nations unies (ONU)6 Or, tous les observateurs sont formels : sans processus clair de restitution de leurs biens aux 14 millions de déplacés syriens, il ne peut y avoir de retour serein. L'histoire l'enseigne : les conflits de propriété et les déplacements continus ne peuvent que conduire à une nouvelle instabilité.
Mazen Darwich l'a répété au procès : la justice n'est pas une vengeance. C'est au contraire un moyen de s'en préserver. Un nouveau défi que la guerre en Syrie pose au monde en général, et à la justice internationale en particulier.
Nina Chastel
Diplômée de l'Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO


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