Les forums et colloques sur l'Islam se suivent et se ressemblent, depuis nos séminaires sur la pensée islamique qui vit le «parti de l'étranger» chasser l'Algérien Mohamed Arkoun de son pays. De ces séminaires ne subsistent que l'amertume de l'affront fait à Arkoun et des comptes-rendus d'où pointaient quelques lueurs, vite étouffées par l'avènement du «livre des livres», celui de la pensée intégriste. En vertu des enseignements de ce livre qui fait une petite place au Coran, lorsqu'il ne contredit pas les hadiths dominants, nous devons ânonner sans répit que : l'Islam est une religion de paix et l'Islam n'a rien à voir avec le terrorisme. A partir de ces «fondamentaux» et sans y déroger pour ne pas risquer de clash, on peut discuter de tout... et de rien. Il faut juste éviter de relier le terrorisme actuel, dans ses différentes déclinaisons, à l'Islam et rester prudent dans les sentences religieuses (anathèmes, excommunications) contre les terroristes. C'est la ligne qu'observe strictement, avec un certain succès il faut le dire, l'Université Al-Azhar en refusant d'exclure Daesh des rangs unis de la «meilleure des nations». Ce sont ces quelques idées maîtresses qui ont présidé la semaine dernière à Assilah, au Maroc, au colloque sur «la Pensée religieuse, incubateur du terrorisme, contexte et moyens de l'affronter». D'entrée, comme le rapporte le correspondant du magazine Elaph, la rencontre a buté sur une question de terminologie, à savoir l'appellation de «terrorisme islamique» utilisée en Occident. En fait, il s'agissait de dire, pour la énième fois, si les exécutants des attentats étaient musulmans ou non, s'ils se réclamaient de l'Islam ou d'une autre religion, l'intitulé du forum étant déjà un élément de réponse. Le penseur libanais Radhwane Al-Sayed a défendu le droit des pays occidentaux à parler de «terrorisme islamique», en raison de l'implication des islamistes dans les attentats. Il a, cependant, rappelé que les religions révélées sont à l'origine du terrorisme et de la violence même si les groupes actuels se réclament d'un islam extrémiste. «On ne peut pas nier que ces références religieuses, même si le terrorisme nous fait beaucoup de mal à nous, musulmans, et qu'il agit négativement sur nos relations avec le reste du monde», a-t-il dit. Argument quelque peu spécieux du Koweïtien Mohamed Ramihi, qui a rejeté le lien entre terrorisme et Islam en soulignant le nombre grandissant de nouveaux convertis à cette religion. «Comment peut-on admettre que tous ces très nombreux convertis, issus de milieux différents, aient choisi d'embrasser l'Islam, alors que d'autres, en dépit de tout bon sens, assimilent cette religion au terrorisme ?», s'est-il interrogé. Seulement, parmi ces nombreux convertis, on peut citer, dans la foulée, les centaines de jeunes Européens qui sont partis faire le djihad, en Irak et en Syrie, dans les rangs des groupes intégristes. Petit rappel historique de l'ancien ministre des Affaires étrangères soudanais, Mansour Khaled, qui a évoqué la «bataille du chameau» ayant opposé deux clans politiques. «On reste sans voix quand on sait que ces deux groupes qui s'affrontaient pour le pouvoir étaient dirigés respectivement par Ali Ibn Abi-Taleb et par la ‘'Mère des Croyants'' (Aïcha)», a souligné l'ancien diplomate. Quant à l'organisateur et fondateur du «Forum d'Assilah», l'ancien ministre des Affaires étrangères du Maroc, Mohamed Benaïssa, il a choisi de prendre la canne par le milieu. En bon diplomate, il a souligné la nécessité de «briser le lien entre le terrorisme, phénomène nihiliste, et les religions, qui prônent les valeurs de paix, de dignité et de sacralité de l'âme». Sans doute peu satisfait par de tels arguments, et sans oublier les marques de respect dues à l'hôte, Radhwane Al-Sayed est revenu sur ce sujet dans le journal en ligne Shaffaf (Middle East Transparency). Il en vient à l'essentiel en notant que depuis plus d'un demi-siècle, et de façon tout à fait officielle, on travaille à établir un lien entre l'Etat et la religion. Et ceux qui se sont attelés à cette tâche ne sont pas des groupes extrémistes, mais des théologiens et des enseignants, et de l'intérieur des institutions religieuses. Ce sont les mêmes qui ont pleuré la disparition du califat ottoman, décidée par Mustapha Kemal Atatürk en 1924, perçu et décrit comme une des institutions essentielles de la religion. Avec ce lien, l'Etat n'est plus chargé seulement de gérer les affaires générales, mais il s'occupe également de la vie religieuse, de ses rites. On ne dédaigne pas de rappeler, à l'occasion, que l'objectif suprême est d'instaurer l'Etat islamique qui sera seul en mesure de régénérer la foi perdue ou vacillante des musulmans. Nous avons aujourd'hui sous les yeux trois modèles de cet «Etat islamique» idéel : l'Etat iranien, l'Etat de Daesh et l'Etat d'Erdogan, avec leurs multiples symboles et facettes. L'Etat d'Erdogan se construit jusqu'à présent sur des élections, l'Etat iranien est un mélange de deux systèmes, électoral et religieux, avec prédominance des Mollahs et des établissements policier et militaire. Quant à Daesh, on en sait assez sur une organisation qui a montré le visage le plus hideux de la religion en imposant des critères très rigoureux dans la pratique de la foi.» Pour le penseur libanais, il est temps de renoncer à cette affirmation péremptoire selon laquelle l'Islam est religion et Etat, un renoncement qui profitera autant à la religion qu'à l'Etat. L'Islam n'a pas besoin d'Etat pour s'imposer ou pour se protéger ! Ceci, dans l'absolu ou l'idéal, mais pour ce qui est du terrorisme, il faudrait peut-être penser à interdire par fatwa ou par tout ce qu'on veut de le qualifier. Et surtout de lui adjoindre l'épithète islamique, ce qui est choquant pour les musulmans dits modérés, nonobstant la douleur et le chagrin des victimes tuées au nom d'Allah. A. H.