Le ministère de la Défense nationale a rendu public, hier, un communiqué d'une extrême violence, une mise au point en fait «au sujet d'articles de presse écrits par des militaires à la retraite». C'est d'ailleurs l'intitulé de ce communiqué à travers lequel l'armée répond directement au général à la retraite, Ali Ghediri, qui, dans une interview accordée au quotidien El Watan, le 25 décembre dernier, invitait clairement Gaïd Salah «à prendre ses responsabilités historiques». Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - Le général-major Ali Ghediri soutenait, notamment dans cet entretien, que «d'après ce qui s'écrit et se dit, certains demandent un report de la présidentielle, d'autres la continuité. Tous les schémas anticonstitutionnels sont mis sur la table. Connaissant de près le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah, je me défends de croire qu'il puisse avaliser la démarche d'aventuriers». L'ancien militaire précisera davantage sa cible et ajoutera : «Je m'interdis d'imaginer que le général de corps d'armée Gaïd Salah puisse permettre à ces gens-là de transcender ce qui est prescrit par la Constitution pour assouvir leur désir, leur instinct et leurs ambitions. Je ne pense pas qu'il puisse trahir sa devise qu'il ne cesse de nous répéter : le pays avant tout.» Avant de conclure, sur cette question si sensible du devenir de l'élection présidentielle, mais aussi du rôle qu'il attend du chef d'état-major : «Je peux aussi affirmer qu'il recèle suffisamment de bon sens et surtout de patriotisme et qu'à ce titre, d'instinct, il ne saurait terminer toute une vie consacrée au service de la Nation pour sortir de l'Histoire par la petite porte, rien que pour faire plaisir à des aventuriers dont l'unique objectif est de rester au pouvoir et de profiter de la rente.» Aussi, suggérera-t-il : «Au point où en sont les choses, il reste le seul, en tant que chef de l'armée. Il pourrait s'inscrire dans l'Histoire. Il ne pourrait pas laisser l'armée faire le jeu d'un clan au détriment du pays.» Il n'en fallait pas plus pour déclencher l'ire de l'institution militaire et, surtout, du patron de l'état-major. Le communiqué de l'armée va droit au but, en effet. D'emblée, on y lit qu'«à l'approche de l'échéance électorale présidentielle, certains individus, mus par des ambitions démesurées et animés par des intentions sournoises, tentent et par tous les moyens, notamment les médias, de préjuger des prises de position de l'institution militaire vis-à-vis de l'élection présidentielle et s'arrogent, même, le droit de parler en son nom». Accusant Ghediri d'agir pour le compte de «cercles occultes», le communiqué du MDN jette un pavé dans la mare lorsqu'il précisera que «n'ayant pas trouvé d'écho à leurs interventions écrites récurrentes, diffusées dans les médias, ces derniers, qui se sont improvisés pour la circonstance en experts pluridisciplinaires, ont été a priori instruits de s'adresser au Haut Commandement de l'Armée nationale populaire, comme ultime recours». Pour rappel, c'est exactement en ces mêmes termes crus que le général de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah accusait, en août dernier, «certaines personnes d'être prêtes à mettre le pays à feu et à sang pour leurs intérêts». Le communiqué du MDN fait-il allusion aux mêmes «personnes » ? Aux mêmes cercles» ? Assurément. Pour preuve, le communiqué de ce dimanche s'est voulu sciemment personnalisé pour mieux situer la véritable cible. Ainsi, y lit-on encore : «Perdant le sens de la mesure, ces individus s'accordent une vocation et une dimension qui ne sont pas les leurs, et se lancent, sans aucun scrupule, dans des affabulations débridées, découlant d'un narcissisme maladif, qui les pousse jusqu'à prétendre bien connaître le Haut Commandement de l'Armée nationale populaire, pour prévoir sa position vis-à-vis de l'élection présidentielle ; grave dérive qui dénote d'un seuil inquiétant d'inconscience que seule l'ambition aveugle peut provoquer. A ce propos, l'Armée nationale populaire, faut-il le noter, dont la démarche est dictée par son caractère éminemment légaliste et républicain, respectueux de l'ordre constitutionnel, n'a pas de leçons à recevoir d'individus qui n'existent que par les cercles qui les commanditent.» On reconnaît aisément, ici, la touche du patron de l'étatmajor. Et certainement aussi que Gaïd Salah s'adresse, là, à des personnes bien précises lorsqu'il ajoutera : «D'autre part et feignant méconnaître les missions constitutionnelles de l'Armée nationale populaire, ces individus demandent publiquement au vice-ministre de la Défense nationale, chef d'étatmajor de l'Armée nationale populaire, de prendre ses responsabilités pour, selon eux, consolider les acquis démocratiques, dans un discours à la fois alarmiste et malintentionné. Il ressort, malheureusement, de l'acharnement de ces individus contre l'institution qui les a vus grandir, aux sens propre et figuré, que leur démarche, qui ne saurait être individuelle tant les arguments qui la sous-tendent sont fallacieux, et semble obéir à une machination fomentée par des cercles occultes.» C'est d'autant plus évident que le vice-ministre de la Défense sait de quoi il parle lorsqu'il accuse ouvertement «ces individus» de nourrir des ambitions personnelles. «C'est d'autant plus regrettable, que ces faits sont l'œuvre de certains militaires à la retraite qui, après avoir servi longtemps dans les rangs de l'Armée nationale populaire, rejoignent des cercles occultes et ce, dans le seul but d'assouvir des ambitions personnelles démesurées, qu'ils n'ont pu réaliser à l'intérieur de l'institution.» Par ambitions personnelles, il ne peut s'agir que d'ambitions présidentielles ou de prise de pouvoir. A travers, insiste particulièrement le communiqué, «des cercles occultes». Dans son dernier message à la Nation, le 28 octobre dernier, à l'occasion de la réunion gouvernement-walis, Abdelaziz Bouteflika lançait exactement le même type d'accusations, certainement à l'endroit des «mêmes cercles occultes». Aussi, cette réaction musclée du MDN, qui intervient tout de même après près d'une semaine de la publication de l'entretien du général-major Ali Ghediri, ne peut être perçue que comme une réponse bien réfléchie, en ce sens qu'elle exprime la position de l'Etat dans son ensemble. En cette conjoncture politique si délicate, et à la veille d'échéances cruciales, cela augure d'autres réactions et mesures fermes dans les jours et semaines à venir, à l'encontre de toute tentative de se dresser sur le chemin du projet du pouvoir. D'ailleurs, le MDN «se réserve le droit», d'ores et déjà, d'ester en justice Ali Ghediri, en vertu de la loi de 2016, qui fait obligation aux anciens militaires de s'astreindre à l'obligation de réserve… K. A.