La mobilisation des Algériens n'a pas faibli ce vendredi encore, le sixième depuis le 22 février dernier. L'évènement d'hier était particulièrement attendu car intervenant deux jours après l'appel du chef d'état-major à appliquer l'article 102 de la Constitution. Une demande à laquelle les manifestants ont répondu à leur manière. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Aucun terme irrespectueux ni insultant, pas de raillerie non plus, la réponse a été rédigée ou scandée avec souplesse et souvent une ironie qui n'ôtait en rien le sérieux ou la sévérité du message. L'article 102 s'est transformé en «Article sans eux» imprimé sur des affiches grandeur moyenne distribuées par des groupes désormais rodés et spécialisés dans les préparatifs de ces manifestations. «El Gaïd tu joues en solo», «L'article 102 nous en avons parlé en 2014» ou encore «Nous demandons l'article 2019» peut-on lire également sur une autre pancarte. Les manifestants veulent également démontrer qu'ils savent dissocier entre l'auteur de l'appel et l'institution qu'il représente et entrecoupent souvent leurs slogans de messages de fraternité avec l'ANP. La foule s'exprime d'une seule voix, elle est unie et s'est rassemblée dès les premières heures de la matinée à la Grande-Poste sous deux larges banderoles très expressives «Restons unis, nous vaincrons» et «La décision est entre les mains du peuple». Non loin de là, un panneau publicitaire s'est mis au goût du jour : «Ici son excellence le peuple» et s'affiche en boucle. Le peuple lui défile tout le long du centre-ville en portant, entre autres, des pancartes appelant justement au respect de souveraineté par l'application de l'article 7 («Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple»). Il est bientôt 15h. Un véritable tribunal populaire est en cours dans la capitale. Des noms, les mêmes qui reviennent depuis six vendredis de suite, sont jugés de manière impitoyable. Leurs photos sont regroupées sur de larges banderoles ou pancartes grand format. L'équipe désignée récemment pour gérer la crise figure au centre (Lamamra, Bedoui, Brahimi). A leurs côtés figurent celles de certains ministres (Benghabrit), mais aussi Ouyahia, Abdelkader Bensalah, Haddad, Tahkout, le cadet des frères Kounief… Des groupes défilent avec les portraits des représentants de ce que fut l'Alliance présidentielle : «FLN, RND, TAJ, MPA… dégagez.» La demande de départ immédiat est adressée à tout le «système». Une jeune fille porte haut des poches emplies d'eau simulant du sérum sur lesquelles on peut lire : «Le yaourt d'Ouyahia» ou le «Fromage d'Ouyahia» en référence à la fameuse phrase que l'ancien Premier ministre avait prononcée pour dire aux Algériens qu'il fallait accepter l'austérité et les privations : «Le yaourt et le fromage sont des produits de luxe dont on peut se passer. » Les Algériens n'ont pas oublié, ils le font savoir aujourd'hui en hurlant : «Vous avez pillé le pays», ils demandent aussi que justice soit faite loin de toute ingérence étrangère : «Ni Washington ni Paris, tout doit se passer ici.» Le drapeau palestinien est cependant très présent. Il figure aussi sur les étals où l'emblème national est proposé à la vente. Le centre-ville est réellement envahi par une marée humaine et il en afflue aussi de partout à cette heure-ci. Impossible d'en estimer le nombre, mais il semble beaucoup plus important que les derniers vendredis. L'organisation semble également passée à un stade supérieur. On a ainsi pu constater que les très nombreux véhicules des manifestants n'ont pas été garés de manière anarchique au niveau de l'autoroute, permettant ainsi un trafic routier plus fluide. L'appel à cesser l'utilisation des vuvuzela a été également respecté de manière générale. Sur le parcours des marcheurs, des groupes de jeunes ont tenu à mettre en place de grands sachets-poubelles pour éviter que les détritus soient jetés par terre. Vêtus de gilets orange, d'autres se sont attelés à «gérer» la circulation automobile. La prise en charge citoyenne de l'évènement a ainsi permis d'éviter d'engorger des ruelles où avait régné une certaine confusion les weekends passés. L'objectif principal a été ainsi atteint : une mobilisation citoyenne très forte, ordonnée et s'exprimant à l'unisson contre le départ du système. A. C.