On apprend souvent bien plus et mieux de plus petit que soi. C�est la belle v�rit� que n�arr�te pas d�ass�ner l�Islande aux vieilles et grandes d�mocraties depuis le d�but de l�ann�e. Les Islandais � une petite communaut� de 300 000 �mes vivant principalement de la p�che dans la rigueur des eaux froides de l'Atlantique Nord � continuent d��tonner le monde. Ils n�ont pas vu na�tre Aristote, ni Robespierre, ni Marx, mais ils auront marqu� l�ann�e 2010 plus que tout autre peuple r�put� frondeur et rebelle sur cette terre. Leur palmar�s �r�volutionnaire� de l�ann�e est in�galable. En mars dernier, ils ont rejet� massivement, par r�f�rendum, l'accord financier Icesave (soutenu par le Fonds mon�taire international et l�Union europ�enne) destin� � mettre en place le remboursement par Reykjavik (c�est le nom de leur capitale) de 3,9 milliards d'euros avanc�s par Londres et La Haye pour indemniser leurs citoyens l�s�s par la faillite de la banque sur l'Internet islandaise Icesave en octobre 2008. �Il est apparu de plus en plus clairement que la population devait �tre persuad�e que c'est bien elle qui d�termine le cours de l'avenir�, avait soutenu le pr�sident Grimsson dont la fonction est pourtant grandement honorifique en temps normal. Une �sentence� qui m�rite d��tre grav�e au fronton des institutions les plus d�mocratiques. Le gouvernement islandais de centre gauche (une coalition entre sociaux-d�mocrates et verts) �tait pourtant favorable au remboursement des cr�anciers �trangers, mais la majorit� des Islandais ne l�entendait pas ainsi, r�solue qu�elle �tait � faire payer les cons�quences de la crise aux vrais responsables que sont les banques et les fonds sp�culatifs. Il n�aura pas fallu attendre longtemps pour voir les Islandais surprendre une nouvelle fois le monde qui les entoure en inaugurant une nouvelle fonction, celle de �paradis de l'information�. Dans la nuit de mercredi 16 � jeudi 17 juin courant, le Parlement islandais a approuv� � l�unanimit� (50 voix pour, une abstention, 12 absents) l'adoption de l'Icelandic Modern Media Initiative � qu�on pourrait traduire par : Initiative islandaise relative aux m�dias modernes �, une r�solution destin�e � faire de ce pays un refuge imprenable pour la presse libre. Si la France se targue d��tre la patrie des droits de l�homme, l�Alg�rie La Mecque des r�volutionnaires, l��gypte la m�re du monde (et �les yeux des Arabes�, ajoutent non sans fiert� ses officines), l�Islande esp�re modestement devenir le refuge international des organes de presse en leur offrant toutes les protections requises. �L�initiative parlementaire pr�sent�e ici a pour ambition de faire de l�Islande un environnement attractif pour l�installation d�organes de presse internationaux, de start-ups du secteur des nouveaux m�dias, d�organisations de d�fense des droits de l�homme et de centres de donn�es informatiques (allusion au cloud computing dont l�environnement juridique pose probl�me)�, souligne le texte de la r�solution. Celle-ci �promet de renforcer notre d�mocratie, � travers le pouvoir de la transparence, et de promouvoir la position du pays et son �conomie. Elle ambitionne �galement d�attirer l�attention sur ces changements � travers la cr�ation du premier prix international d�origine islandaise : le prix islandais pour la libert� d�expression �. Dans l�ensemble, l'Icelandic Modern Media Initiative sort du sch�ma classique du droit � l�information, pour mettre � la charge du gouvernement �le devoir de trouver des moyens permettant de renforcer la libert� d'expression et la libert� d'information en Islande, ainsi que de fournir une protection renforc�e aux sources et � ceux qui publient des informations pol�miques�. �C'est une rupture prometteuse alors que la tendance g�n�rale est � la d�gradation de la libert� de la presse et � la g�n�ralisation des pressions sur les journalistes et leurs sources�, souligne Reporters sans fronti�res. Le texte qui fait la fiert� des Islandais est une compilation des dispositions l�gislatives les plus protectrices pour la presse recens�es � travers le monde. C�est une mouture nouvelle de droit compar� des m�dias dans les l�gislations les plus d�mocratiques (fran�aise, am�ricaine, su�doise, belge, �cossaise, estonienne...). Le lecteur aura relev� au passage que, pour notre part, nous n�arr�tons pas de clamer notre maigre suppos�e sup�riorit� sur des dictatures arabes finissantes en mati�re d�information. Sachant que l'un des leaders de l'initiative est l'association Icelandic Digital Freedom Society, on mesure l�int�r�t que pr�sente le texte pour la domiciliation de l�information �mise par la voie du Net. L�Islande ambitionne, en effet, d�accueillir sur son territoire des filiales de m�dias internationaux, ainsi que des serveurs et des bases de donn�es de sites Internet. Les lois � venir pourraient, dans le prolongement de la r�solution parlementaire, au moins �viter aux serveurs d��tre saisis et mis hors service, si les contenus sont h�berg�s en Islande. Outre les libert�s attach�es au dispositif juridique, le pays affiche d�autres atouts li�s � son environnement technologique et g�ographique. Il faut dire que le froid a aussi ses avantages en offrant de faibles co�ts de refroidissement des �data centers�. Au plan logistique, l�Islande dispose d�une bonne connectivit� Internet (le pays dispose de c�bles sous-marin reliant le pays aux plus grands consommateurs d�information), alors que sa situation g�ographique la place � mi-chemin entre l'Europe et l'Am�rique du Nord. L�initiative parlementaire rejette l�atout g�ographique en pr�cisant que de nos jours, le lieu de publication d�un m�dia est sans grande importance et que la mise en place des lois islandaises permettrait de cr�er �un environnement qui ferait �clore un journalisme de qualit�, � l�abri du harc�lement des autorit�s locales�. �Nous pouvons mettre en place un cadre l�gal exhaustif destin� � prot�ger la libert� d�expression indispensable au journalisme d�investigation et � la publication d�informations politiques d�importance �, rel�ve encore l�initiative parlementaire. L�initiative est, � bien des �gards, une r�action intelligente aux incidences et enseignements de la crise financi�re qui a failli provoquer l�effondrement de l��le. On se rappelle que, pour contourner l�interdiction de diffusion de reportages t�l�vis�s sur les pratiques ill�gales qui avaient cours dans leurs �tablissements financiers et bancaires avant la crise, les journalistes locaux avaient alors renvoy� les t�l�spectateurs sur Wikileaks(*), un site web sp�cialiste des scoops interdits � l'origine de ces r�v�lations. Ce site qui publie des documents classifi�s est reconnu par la plupart des professionnels comme l�une des plus grandes avanc�es en mati�re de journalisme et de transparence de l�information depuis l�apparition de l�Internet. Les responsables du site comptent d'ailleurs parmi les auteurs et les principaux promoteurs de l'initiative. Et ils peuvent en �tre fiers. La r�solution qui est destin�e � faire du pays un �refuge pour les nouveaux m�dias fait, en effet, largement suite � un soutien sans faille du pays � Wikileaks. Al Jazeera � qui craint que le projet ne fasse de l'ombre aux ambitions d�mesur�es du petit �mirat qui lui a donn� naissance � est l'une des premi�res cha�nes internationales � r�agir � l'initiative en traitant le sujet alors qu�il �tait � l��tat embryonnaire, en mars dernier. Son commentaire avait �t� que �l�id�e derri�re est simple mais ambigu� � rassembler les lois les plus avanc�es concernant les m�dias issues de diff�rents pays pour cr�er une loi globale qui positionnerait l�Islande � l�avant-garde de la bataille destin�e � prot�ger les journalistes, ceux qui d�noncent les abus, et leurs sources, des r�gimes et des lois qui les oppressent�. Une saine r�action � prendre aux autres ce qu�ils ont de meilleur, et non de pire. A. B. (*) http://archives.lesechos.fr/archives/20 10/lesechos.fr/03/18/300418379.htm?texte=wi kileaks