Demain 22 mai, le peuple algérien bouclera le troisième mois de sa mobilisation massive contre le système politique. Le 5e mandat empêché, Saïd Bouteflika en prison, l'oligarchie démantelée, la bande poursuivie. Tels sont les premiers acquis de la Révolution. Karim Aimeur - Alger (Le Soir) - Le 22 février, les Algériens sont sortis massivement dans les rues de plusieurs wilayas du pays pour dire non à la candidature de Bouteflika pour le cinquième mandat, un projet perçu comme une insulte au peuple et une humiliation suprême. Et le champ des revendications s'est élargi au fil des semaines. Du rejet du 5e mandat, le peuple est passé au rejet de tout le système. La dynamique extraordinaire qui s'est emparée de la société a pris les allures d'une révolution contre tout le système et les associations de malfaiteurs qui le composent. Les vendredis qui ont suivi le 22 février étaient historiques en matière d'ampleur de la mobilisation, avec des pics dépassant les trois millions de manifestants à Alger, et plus de vingt millions au niveau national, mais également en matière du haut pacifisme qui a caractérisé les marches populaires. Trois mois après le début de cette nouvelle épopée du peuple, qui a émerveillé le monde par l'ampleur de sa mobilisation pacifique, plusieurs acquis incontestables ont été arrachés. Le premier ? L'attentat du cinquième mandat contre le peuple est déjoué sans aucun dégât. Le clan présidentiel a été démantelé et plusieurs de ses membres influents ont été mis hors d'état de nuire. Qui pouvait imaginer il y a tout juste trois mois que Saïd Bouteflika, Atmane Tartag, Toufik, Ali Haddad et les Kouninef, qui étaient au sommet de leur pouvoir, seraient jetés en prison ? Mieux, qui aurait imaginé que Bouteflika sortirait de la petite porte de l'Histoire que le peuple lui a réservée après 20 ans de règne durant lesquels il a instauré le culte de sa personne? L'oligarchie commence à être démantelée et les partis courtisans de Bouteflika sont totalement écartés. D'anciens Premiers ministres, des ministres et des walis défilent devant les tribunaux, donnant la preuve que l'Algérie était dirigée par des associations de malfaiteurs. Mais en attendant la satisfaction des revendications populaires, à savoir le changement radical du système, le peuple poursuit sa mobilisation avec détermination, et entame le quatrième mois de son mouvement. Mustapha Hadni, coordinateur du PLD, trouve que « le combat mené depuis le 22 février commence à porter ses fruits, avec le départ du clan mafieux des Bouteflika et consorts, mais il reste beaucoup à faire car le pays n'a pas encore mis le pied à l'étrier de la transition ». « L'urgence des urgences, c'est le rassemblement des forces exclusivement démocrates, pour neutraliser, d'une part, les manœuvres du système et de l'islamisme et se constituer, d'autre part, en alternative suffisamment crédible pour peser politiquement sur la transition qui s'annonce et ancrer l'Algérie dans un projet de société républicain moderniste et démocratique », a-t-il soutenu dans une déclaration au Soir d'Algérie. La leçon Notre interlocuteur explique que le peuple algérien puise sa force et sa détermination de sa longue Histoire, à travers laquelle il a lutté pour sa dignité et consenti des sacrifices inouïs dans son combat contre le colonialisme et le néo-colonialisme pour se réapproprier le pays et recouvrer son identité. «Au lendemain de l'indépendance, bien que contraint par le parti unique, il a poursuivi ses luttes pour exiger démocratie, modernité et transparence. Pendant les années 90, le peuple a renoué avec le combat armé en s'opposant aux côtés de l'ANP, à l'islamisme politique, à l'Etat théocratique et en réaffirmant son adhésion à la liberté, à la démocratie et à l'égalité entre les hommes et les femmes. En l'espace de trois mois, le peuple a non seulement pulvérisé la muraille de la peur mais il a reconquis une rue qui lui était interdite depuis des décennies », a-t-il détaillé. Pour le vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (LADDH), Saïd Salhi, l'un des acquis majeurs du ce mouvement est l'image renvoyée par l'Algérie au monde. « L'Algérie a donné une leçon au monde entier en matière de combat pacifique et en génie, innovation et intelligence dans la lutte. Notre mouvement a redonné espoir et fierté au peuple, confiance en soi-même, en la jeunesse. Le mouvement a consolidé l'unité nationale dans la diversité et la cohabitation, il l'a fait dans la rue et dans l'action », a-t-il déclaré au Soir d'Algérie. Il rappelle que la Révolution a destitué Bouteflika, fait tomber le gouvernement d'Ouyahia et d'autres potentats qui s'estimaient intouchables. L'autre acquis, à ses yeux, est que ce mouvement a libéré le peuple et a mis en échec tous les plans de survie du système. « Trois mois après, le mouvement du 22 février a réalisé beaucoup d'acquis. Le peuple algérien s'est libéré, il a brisé le mur de la peur. Il s'est réapproprié sa parole et sa souveraineté, il s'est réapproprié l'espace public de débat », a estimé, pour sa part, Abdelouahab Fersaoui, président de l'association RAJ. Sollicité par nos soins, ce dernier soutient que l'un des acquis les plus importants est que les Algériens ont renoué avec la politique et discutent des affaires du pays dans tous les espaces publics. « Ce mouvement a donné la possibilité de rompre avec ce pouvoir machiavélique et l'espoir de bâtir un Etat de droit et démocratique, un Etat des libertés et de justice sociale », ajoute notre interlocuteur, soulignant que l'objectif principal de ce mouvement, qui est le changement du système, n'est pas encore réalisé. K. A.