Il est de plus en plus mal aisé de décrypter les messages filandreux de Gaïd Salah quand, semaine après semaine, il s'exerce à donner un nouvel avis pour ensuite répéter la même conclusion. Celle qui résonne comme une injonction décrétant qu'il ne saurait y avoir de sortie de crise qu'à travers l'application à la lettre de la Constitution et l'organisation impérative d'une présidentielle actée à partir des dispositions contenues dans cette vieille loi. Imputant l'impasse actuelle à l'agitation autour de la transition et qualifiant, sans prendre aucune précaution de langage, « d'aventuriers » ceux qui majoritairement plaident pour cette seule voie républicaine, n'est-il pas allé jusqu'à commettre un contresens en prétendant donner acte à la sagesse et la perspicacité de l'opinion lorsqu'il affirma textuellement que seul « le peuple qui a plébiscité sa Constitution est le plus apte à la préserver et à s'y conformer » (sic). Connaissant les traversées chaotiques des dernières présidentielles et la somme d'escroqueries politiques qui les ont validées, l'on ne peut trouver plus inexacte assertion que celle qui aurait prêté à l'électeur un quelconque vote positif justifiant les viols successifs dont s'est rendu coupable l'ex-Président. Il est même incroyable qu'il en fut ainsi lors de ses premières investitures alors que toutes les preuves concernant aussi bien le bourrage des urnes que les approbations honteuses du Parlement attestent de grossières manipulations qui furent, en leur temps, difficiles à cacher. Dans leur totalité, ces pratiques portaient la marque de fabrique du bouteflikisme dont la notoriété sentait le soufre jusqu'à finir par exciter toutes les haines possibles. Il est vrai qu'à force de subir les humeurs d'un Président narcissique plus prompt à la transgression de la Constitution qu'au respect qu'il lui doit, il parvint à réduire celle-ci à un désolant brouillon, comme le qualifièrent de respectables constitutionnalistes. Disqualifiée sur le fond par les spécialistes et réfutée pour les mêmes raisons par cette « opinion » qui marche toutes les semaines, ce veto agité officiellement est pour le moins obscur quand on sait qu'une procédure transitoire était susceptible de déboucher sur de véritables états-généraux en mesure de réécrire l'acte de naissance d'une future République. C'est précisément à ce genre d'interprétations équivoques que butent, désormais le compagnonnage « peuple-armée », dont on ne rappellera jamais assez qu'il n'est qu'un mot d'ordre inoculé à la foule et qui ne connut ses premiers moments de gloire qu'à la suite de la destitution anticipée du 2 avril. Voilà qui remet en mémoire l'ordre des évènements et les motifs factuels qui ont sous-tendu chacun des slogans. De même, ce rappel permet de recadrer dans sa globalité le louvoiement perpétuel des Tagarins et son inclination à devenir un peu plus réservé au fur et à mesure que le temps passe. C'est que face à un timing qui lui échappe, l'armée découvre que la société civile et la classe politique sont en train de peaufiner leurs manifestes en vue des rendez-vous qu'impose théoriquement la date-butoir du 4 juillet. Ce qui voudra dire qu'une nouvelle situation se dessine et que le rapport de force est en train de changer lequel allait donner au mouvement du 22 février l'occasion de rebattre les cartes face à une position figée ayant montré les limites de son efficacité tactique. Il est vrai qu'après avoir usé de son scepticisme en déployant chaque fois un arsenal de réserves, l'armée voulait signifier in fine qu'elle était le seul maître de la sortie de crise et le seul donneur d'ordres. Exit donc un partenariat paritaire entre deux interlocuteurs. Et c'est ce non-dit, significatif comme le serait une fin de non-recevoir, qui risque de coaguler dangereusement la contestation autour de cette cible qu'est l'ANP. Une crainte redoutée par les représentants du tiers Etat qu'est la société civile ainsi que les conclaves des courants politiques émettant des mises en garde face à cette escalade. Une atmosphère délétère et un tournant, pas souhaitable du tout, d'autant qu'il n'existe aucune possibilité de médiation, faute de … médiateurs. Et pour cause, ni le fantôme d'El Mouradia ni le surnuméraire du Palais du gouvernement ne sont en mesure de rapprocher les points de vue. Cela veut dire que l'armée s'estime plutôt en devoir qu'en droit d'imposer, seule, le supposé sauvetage de l'édifice institutionnel en lui épargnant, se justifie-elle, « le vide constitutionnel ». Comme on le constate, l'intitulé du scénario se voudrait sciemment apocalyptique. Une dramatisation outrancière pour faire peur alors que l'on sait que dans le registre des « vacances des pouvoirs », l'Algérie en avait connues plusieurs sans qu'elle ait eu à souffrir d'un quelconque naufrage ruineux. Opportunément d'ailleurs, l'anniversaire de la fondation de cet increvable « système » dont l'esprit et les codes sont présents dans le fonctionnement de l'Etat, a eu lieu ce 19 juin. Le coup d'Etat de 1965 qui destitua Ben Bella ne causa pourtant aucun problème de conscience républicaine au putschiste en chef qu'était Boumediène. Bien au contraire, il allait prendre ses aises en gouvernant en dehors de toute légitimité électorale durant ses onze premières années (1965-1976). Loin d'être un cas unique, ce « modèle » fera plutôt école puisque l'Algérie n'hésitera plus de promouvoir des chefs d'Etat coptés. Comme quoi le terrible chiffon rouge que l'on agite pour décrire la menace du vide institutionnel n'est en définitive qu'un faux scrupule inventé par des démocrates de récente conversion. Et même si les mœurs politiques ont changé en mieux, elles ne sauraient absoudre la fausse démocratie du défunt régime et les impostures qu'il imposa à la société. Une prédation sans pareille qui de nos jours appelle à un double changement. Traquer sans répit la corruption afin de renouer avec la confiance de la société tout en combinant cette priorité des priorités avec la promotion de la transparence en politique. Au-delà de toutes ces considérations, cette dernière préoccupation devrait aboutir à remettre de l'ordre tant il est vrai que le pays n'est plus en attente d'un nouveau Président que l'on investirait au nom d'une Constitution obsolète. Voilà pourquoi il ne reste d'autres alternatives à l'Algérie que celui de sa refondation en faisant table rase des débris juridiques d'une Constitution pleine de ratures. Autant se méfier à l'avance des équivoques discursives qui ne peuvent qu'alimenter d'inutiles discordes dans les moments des grands troubles. En effet, « l'on ne sort de ses propres ambiguïtés qu'à ses dépens » selon l'énoncé d'un subtil homme politique. A méditer. B. H.