Le gouvernement a pris des mesures pour améliorer la couverture sanitaire dans le Sud et les Hauts-Plateaux. Parmi ces nouvelles mesures, le recours à des médecins spécialistes étrangers. Cette annonce, faite par le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, a vite fait réagir le Conseil de l'ordre des médecins qui estime que les 40 000 praticiens spécialistes existants peuvent largement assurer la couverture sanitaire. Le Syndicat national des praticiens de santé publique qualifient cette mesure d'un aveu d'échec de la politique du service civil. Et le syndicat des praticiens spécialistes affirme que l'Algérie dispose d'un nombre suffisant de spécialistes pour assurer la couverture sanitaire, à condition d'y mettre les moyens. Salima Akkouche - Alger (Le Soir) - Il y a près de deux semaines, un Conseil de gouvernement s'était réuni pour trouver des solutions au déficit de la couverture sanitaire dans les wilayas du Sud et des Hauts-Plateaux. Une commission interministérielle a été installée pour mettre en place les mesures décidées par ledit conseil. Il s'agit, entre autres, du dégel de tous les projets sanitaires enregistrés dans ces régions, du remboursement de la prise en charge par la Cnas des frais inhérents aux interventions chirurgicales, des consultations médicales, des analyses et des accouchements assurés par les cliniques privées ainsi que des mesures incitatives au profit des médecins spécialistes. Cependant, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, qui était en visite d'inspection dans la wilaya de Ghardaïa cette semaine, a déclaré dimanche, que des contacts étaient en cours pour faire venir des spécialistes étrangers afin de combler le déficit en couverture sanitaire dans les régions du Sud et des Hauts-Plateaux. Une déclaration qui a fait sortir le président du Conseil de l'ordre des médecins de ses gonds. Le docteur Bekkat Berkani affirme que le nombre de médecins spécialistes algériens est suffisant pour assurer la couverture sanitaire dans ces régions. Le nombre de praticiens spécialistes exerçant au niveau national entre le secteur public et privé dépasse les 40 000, selon le chiffre du Conseil de l'ordre. Ce nombre, estime le président de l'Ordre, suffit largement pour couvrir les besoins sanitaires de l'Algérie. Cependant, dit-il, cette couverture peut être assurée à condition qu'il y ait une répartition «convenable». Or, selon le docteur Bekkat, la répartition des médecins spécialistes «pose problème». «Nous avons toujours dénoncé cette mesure de contraindre les médecins d'aller vers ces régions dans le cadre du service civil, pour une période de 4 ans à 5 ans, pour, ensuite, revenir, car ce n'est pas une solution», estime l'intervenant. Le président du Conseil de l'ordre, qui qualifie cette décision de ramener des médecins spécialistes étrangers de « mauvaise idée », a appelé à cesser de « faire des bêtises ». « Il faut plutôt réfléchir à des solutions pérennes, au lieu de prendre des décisions qui vont nous faire revenir au statu quo des années précédentes et des situations où nous avons eu recours à des Bulgares et des Russes…». Le docteur Bekkat appelle à une bonne prise en charge des médecins spécialistes qui vont dans ces régions, leur assurer de bonnes conditions de travail et des avantages mais surtout de décentraliser les recrutements. «Il faut mettre à contribution les collectivités locales pour offrir des conditions financières avantageuses pour ces médecins», dit-il. Entre-temps, le président du Conseil de l'ordre estime regrettable de penser à ramener des médecins spécialistes étrangers alors que les médecins algériens vont à l'étranger. Cette option de recours à des spécialistes étrangers, dit-il, ne s'est jamais posée dans les pays voisins, comme la Tunisie et le Maroc. «À un vrai problème, on préconise une mauvaise solution», estime le docteur Bekkat. Lyès Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP), qualifie la décision du gouvernement d'«aveu d'échec ». Selon lui, il s'agit d'une reconnaissance de fait d'une situation que le SNPSA a toujours dénoncée, mais le gouvernement l'a toujours nié en présentant les choses autrement». Pour le syndicat, le gouvernement est en train de prendre des décisions «farfelues et irresponsables». Le syndicaliste se demande, d'ailleurs, pourquoi ne pas généraliser la décision de la prise en charge, par la Sécurité sociale, des actes effectués dans les cliniques privées au profit de tous les Algériens. «L'argent des cotisations de la Caisse de sécurité sociale est l'argent de tous les travailleurs, si on prend ce genre de mesures, nous devons les prendre au profit de tous les travailleurs. Ainsi, maintenant il faudra justifier qu'on est issu d'une wilaya de Sud pour bénéficier d'une prise en charge par la Cnas, le gouvernement est entrain de différencier ses décisions d'accès aux soins, et ça va créer un problème », prévient le docteur Merabet. Selon lui, le service civil, mis en place, depuis plus de 30 ans, n'a pas ramené de solutions. D'ailleurs, dit-il, le service civil n'est pas une solution pour assurer une couverture pérenne. «Nous sommes dans les demi-solutions et la politique du bricolage, et dans des décisions que ce gouvernement n'est pas habilité à prendre », estime le président du SNPSP qui appelle à des mesures incitatives pour maintenir les compétences en place. Mohamed Yousfi, président du Syndicat national des praticiens spécialistes de santé publique, (SNPSSP), éprouve la même colère. Non seulement ce genre de déclarations, dit-il, n'est pas des prérogatives du ministre de l'Intérieur, mais, ajoute-t-il encore, que l'Algérie dispose d'un nombre suffisant de médecins spécialistes qui peuvent assurer la couverture sanitaire nationale. à condition, toutefois, dit-il, de leur assurer les bonnes conditions de travail. Et de regretter que « non seulement il n'y a pas une politique de santé mais il n'y a pas une volonté politique de réhabiliter le médecin spécialiste et lui donner une considération, pour qu'il reste d'abord dans le secteur public et aussi dans son pays ». Le docteur Yousfi estime que la mise en place de mesures incitatives pour encourager les spécialistes à s'installer dans les wilayas du Sud ne demande pas un grand budget. « Le coût du service civil avec l'instabilité qui le caractérise, la fuite des médecins, les évacuations et les décès que l'on enregistre dans ces wilayas coûtent beaucoup plus cher que les mesures incitatives», estime le docteur Yousfi. Selon lui, « ramener des Cubains ou des Chinois, qui ne parlent même pas la langue algérienne, ne va pas régler le problème de la couverture sanitaire, mais, plutôt, il suffit de mettre les bonnes conditions au profit des médecins algériens qui partent et qui réussissent ailleurs, pour régler le problème». S. A.