Il est de tradition, à l'approche de chaque premier janvier, de publier des bilans et des chronologies retraçant les principaux événements de l'année écoulée. Cette fois-ci, nous avons préféré vous faire revivre 2019 à travers des haltes sur le formidable mouvement populaire qui l'a traversée de bout en bout. Du 22 février à cette fin décembre, l'ombre de Gaïd Salah plane sur l'actualité mouvementée d'une année pas comme les autres. L'Histoire retiendra qu'il a évincé le Président honni par le peuple mais pas pour le remplacer comme font généralement les militaires. Elle retiendra également la mise à nu de l'oligarchie appelée à rendre compte de ses méfaits devant la justice. L'Histoire n'oubliera pas de garder dans ses entrailles cette vérité déroutante : des militaires disposant de tous les leviers qui font tout pour aller au... vote et livrer le pouvoir aux civils ! Faut-il rappeler que nous étions franchement contre ces élections pour la bonne raison que les conditions idoines n'étaient pas réunies pour l'exercice de la démocratie selon les normes établies? Mais force est de constater que Gaïd Salah, qui a promis qu'aucune goutte de sang ne sera versée, est parti en tenant parole... Voici des extraits de nos chroniques depuis le début 2019. * 31 janvier 2019 : « L'oligarchie, composée de nouveaux riches dont les fortunes ont gonflé sur le dos du Trésor public, a vu son pouvoir économique se renforcer pour empiéter sur le pouvoir politique...Toutes ces forces de l'argent ne veulent pas d'un changement car il signifie que Haddad ne pourra plus s'amuser à construire des stades qui coûtent plus cher que des enceintes célèbres d'Europe, ni s'éterniser sur un bout de route ou transformer des producteurs en torches vivantes dans les locaux mêmes de sa chaîne télé ! « * 28 février 2019 : «L'un des exemples les plus grotesques de ces réactions d'un autre âge est la censure audiovisuelle de ces marches ! Comme si les jeunes regardent encore le JT du 20 heures ! A l'heure de ce sacro-saint rendez-vous de l'info (pour les anciennes générations), il se sera passé près de douze heures depuis que les premiers marcheurs ont pris possession de la rue. Douze heures, c'est-à-dire 720 minutes ou 43 200 secondes ! A chaque seconde, plusieurs messages Facebook ou Twitter, des photos, des vidéos Youtube auront fait le tour de l'Algérie et du monde pour porter les nouvelles des manifs ! Nous sommes face à des défis nouveaux ! Nous sommes face à une jeunesse qui n'a pas connu le 5 Octobre, ni le départ de Chadli et qui était probablement trop jeune pour comprendre ce qui se passait dans l'Algérie des années 90. C'est une jeunesse marquée par les clips Youtube et les tendances post-raï de la musique, une jeunesse qui déserte la télévision pour l'écran, étroit mais ô combien riche, des smartphones.» * 7 mars 2019 : « L'armée s'est exprimée mardi par la voix du général-major Gaïd Salah. Ce qui ressort de son discours est clair : l'ANP ne rentrera pas dans le jeu politique. Après le dérapage de Tamanrasset, Gaïd Salah semble se reprendre puisqu'il a évité de porter un jugement de valeur sur les marches, se contentant de rappeler le climat de paix et de stabilité dans lequel se trouve le pays, fruit de la lutte et des sacrifices du peuple algérien.» * 16 mars 2019 : « Le peuple a trop dormi et, pendant tout le temps où il faisait la sieste, une brochette d'affairistes a mis main basse sur les richesses nationales. Le pouvoir politique, avec ses assemblées fonctionnant à la «chkara», s'est mis au service de cette oligarchie envahissante. Aucun domaine n'échappera à ses tentaculaires bras. Nous sommes passés du monopole public au monopole privé. Les hommes d'affaires honnêtes qui refusent le diktat et la soumission sont vite réprimés, sous une forme ou une autre ! » * 28 mars 2019 : « Quant à l'armée, il faut savoir ce que l'on attend exactement d'elle ! Il y a quelque temps, des voix parmi les démocrates demandaient... un coup d'Etat ! Ils avaient leurs arguments et nous avions les nôtres pour nous opposer fermement à ces demandes. Tout en renouvelant notre reconnaissance à l'ANP d'avoir épargné au pays des conflits majeurs et même une guerre civile à large échelle au lendemain de l'indépendance ; tout en réaffirmant notre fidélité au réajustement révolutionnaire de juin 1965 qui a arrêté le flou idéologique et les errements despotiques de Ben Bella, mettant le pays sur les rails de la stabilité et du développement ; tout en rappelant le rôle positif de l'armée en 1991/92 pour mettre un terme à d'autres errements et pour sa lutte exemplaire contre le terrorisme et tout en redisant notre fierté pour le rôle de l'ANP dans le retour de la sécurité à Ghardaïa où le pouvoir «civil» prôné par le Drabki a montré ses limites, nous nous opposons avec force à une nouvelle intervention de l'armée dans les affaires politiques !» * 4 avril 2019 : « L'ANP vient, encore une fois, d'intervenir pour épargner au pays de dangereuses dérives. Cela n'est pas nouveau. Quand ça va mal en Algérie, la grande muette parle ! Mais la nouveauté, cette fois-ci, est que l'ANP refuse de s'investir entièrement comme elle a l'habitude de le faire. » * 11 avril 2019 : « Cette Constitution, tripotée, malaxée, souillée, changée et re-changée, taillée sur mesure pour votre roi ; cette Constitution bafouée dans ses grands principes de liberté et de dignité et qui ne vous intéressait que pour prolonger les indus mandats, la voilà qui devient la prunelle de vos yeux, l'objet de votre adoration ! Quand cela vous arrangeait, vous nous disiez : ‘'Ce n'est pas le Coran !'' Et aujourd'hui que l'avenir du pays ne peut se dessiner sans actes extra-constitutionnels, vous refusez de voir la réalité en face et cette réalité passe par d'autres mesures politiques acceptées par tous.» * 20 avril 2019 : « L'armée s'est solennellement engagée à pousser vers la réalisation des objectifs du peuple et à le protéger. N'ayant que peu d'issues de secours sécurisées, et face aux multiples périls qui guettent le pays, peuple et armée sont condamnés à agir de concert et à se faire mutuellement confiance. Du reste, nous saurons, dès ce vendredi, comment l'armée va ‘'protéger'' le peuple contre les dérives policières.» * 25 avril 2019 : «Face au rôle de l'armée et aux discours de son chef, il y a plusieurs types de réactions qui vont du refus total de voir les militaires s'impliquer dans les affaires politiques à une solidarité sans faille avec l'ANP. Dans notre dernier article, nous avons essayé de faire la part des choses : quelle que soit notre position politique, nous devons tout mettre en œuvre pour préserver l'unité de l'armée, elle-même garante de l'unité du peuple et du territoire. En d'autres termes, nous pouvons avoir des griefs contre la manière d'agir de l'armée, impatients que nous sommes de voir la révolution citoyenne aboutir, mais cela ne doit pas mener à fragiliser l'ANP. A chaque fois qu'une armée tombe, c'est son pays qui s'écroule ! Sans elle, il n'y a point d'issue possible à la crise actuelle. Et si cela paraît excessif pour certains, nous les renvoyons à l'histoire de ce pays si intimement liée à celle de ses élites militaires. Il n'y a aucune autre force organisée capable d'influer, à elle seule, sur le cours des événements. Le mouvement du 22 février aurait pu être l'autre force organisée ayant la capacité de s'imposer sur le terrain de la décision politique. Hélas, et nous le regrettions dès le départ, ce mouvement a été incapable de dégager une représentation crédible qui aurait pu faire avancer les choses. » * 28 avril 2018 : « L'aéroport d'Alger, le métro, le tram aux mains des Français, le plus grand port d'Alger aux mains des Emirats, que reste-t-il de notre souveraineté alors que l'importation massive de tout et de rien saigne dramatiquement nos ressources financières pour le plus grand bien des trafiquants de devises qui se présentent comme de vrais industriels et opérateurs économiques ? En vérité, c'est la France et d'autres puissances étrangères ainsi que les pays du Golfe qui tirent les marrons du feu, grâce au travail en profondeur d'une bande d'usurpateurs qui a presque tout vendu et tout gaspillé! » * 5 mai 2019 : « La solution ? Nul ne la détient en dehors des forces armées. Sans représentation parlant en son nom et tapant quand il le faut sur la table, le mouvement du 22 février est totalement impuissant. Il est dans l'incapacité, à lui seul et avec les moyens utilisés jusque-là, de réaliser ses objectifs. Quant à cette prolongation sans fin, elle sert et servira le pouvoir qui semble ne plus être dérangé par les sorties colorées du vendredi. Seule donc l'armée peut encore donner le bon et dernier coup de pouce en débroussaillant la piste des articles 7 et 8 ou en sommant le Président intérimaire à démissionner tout en préparant sa succession par une personnalité faisant l'unanimité. L'ANP a pu détrôner Bouteflika sans s'impliquer dans un coup d'Etat. Elle peut le faire plus facilement pour n'importe quelle autre personnalité du pouvoir. Faut-il encore qu'elle veuille agir en ce sens ?» * 12 mai 2019 : « A ce moment-là, ce n'est pas seulement le clan présidentiel qui perdait la partie; les «printanistes» et leurs amis étrangers venaient de réaliser que l'Algérie est un dur morceau. Ce qui était prévu est que l'armée se range du côté de la «légalité», autrement dit qu'elle intervienne pour mater le mouvement du 22 février. Les discours et les plans étaient prêts : il n'y a qu'à suivre des cyberactivistes érigés en objecteurs de conscience et des chaînes inféodées à certains courants pour comprendre que Gaïd Salah a surpris tout ce beau monde. L'armée qui se range aux côtés du peuple, ce n'était pas prévu du tout. » * 19 mai 2019 : « : C'est au moment où il était uni, fort et craint que le Hirak aurait dû se doter d'une direction capable de le mener vers la réalisation des aspirations populaires. Il a certainement trop compté sur l'armée et la déception d'une grande partie des manifestants vient peut-être de ce sentiment d'avoir été «abandonné» en cours de chemin. Ce qui n'est pas vrai, bien entendu, car l'ANP agit sur un terrain miné, toute action pouvant être interprétée comme un «coup d'Etat», avec son corollaire de réactions en chaîne au niveau africain et international. Triste constat : cette armée qui intervenait déjà en 1963 pour corriger les erreurs des politiques en grave désunion, cette même armée qui a su, malgré tout, préserver l'unité nationale tout au long de ces 57 années d'indépendance décriées aujourd'hui, la voilà rattrapée par son destin. Le peuple marche et attend que le chef de l'armée parle pour applaudir ou bouder... C'est toujours l'armée qui «corrige» quand elle a un peu de temps, entre défendre les frontières et sécuriser l'épreuve du bac ! » M. F.