La présence dans le box de l'un de ses coaccusés, Khaled Tebboune, fils du chef de l'Etat, a donné à ce procès un cachet particulier. Poursuivis pour "trafic d'influence", "corruption" et "perception d'indus cadeaux", le parquet a requis, hier, 10 ans de prison ferme contre le promoteur immobilier et importateur de viande, Kamel Chikhi, et l'ex-président de l'APC de Ben Aknoun, Kamel Bouraba, assortie d'un million de dinars d'amende, ainsi que 8 ans de prison et 500 000 DA d'amende contre Djalal-Eddine Lemhel, fils de l'ancien wali de Relizane, et 6 ans de prison et un million de dinars d'amende contre Abdelkader Benzahra, chauffeur de l'ex-DGSN Abdelghani Hamel. Le procureur a également requis 2 ans de prison contre Khaled Tebboune et l'ancien procureur de Boudouaou et son adjoint. La présence dans le box de l'un de ses coaccusés, Khaled Tebboune, fils du chef de l'Etat, a donné à ce procès un cachet particulier. Dès le début de son audition, Kamel Chikhi a tenté d'innocenter Khaled Tebboune en revenant sur ses déclarations lors de l'instruction. "Je l'ai rencontré par hasard et je l'ai invité à visiter le nouveau siège de mon entreprise. On a pris un thé et je lui ai offert deux parfums. Ma conviction est qu'on n'a pas ramené Khaled Tebboune à cause des parfums, mais parce qu'on voulait faire tomber son père." Khaled Tebboune est resté également sur cette version. "Je suis surpris d'être ici. Je n'ai jamais entrepris une quelconque démarche auprès d'une administration ou autorité pour aider Kamel Chikhi. Je ne connais pas non plus Djalel Lemhel, ni l'ex-président de l'APC de Ben Aknoun. J'ai subi cinq auditions durant l'instruction et 18 mois de prison uniquement pour deux parfums offerts." Le magistrat en charge de l'audience et le procureur insistent sur un point précis : pourquoi Kamel Chikhi enregistrait-il systématiquement ses entrevues avec les cadres et enfants de hauts responsables, surtout, là où on le voyait leur remettre des enveloppes ou des cadeaux ? "Avec ces vidéos, il détenait un moyen de chantage contre ceux qu'il arrosait", accuse le procureur. "Je suis illettré, ces vidéos me permettaient de retracer ma comptabilité. Ce ne sont pas des pots-de-vin, mais des aides financières et des prêts", réplique l'accusé. Le magistrat lui rappelle alors un enregistrement, récupéré de son téléphone, où il demande à Djalal-Eddine Lemhel de lui obtenir un permis de construire "à n'importe quel prix". Kamel Chikhi répond : "J'ai obtenu le permis de construire d'un immeuble de 15 étages légalement et sans aucune intervention." Il justifie les 2 milliards de centimes remis à Djalal-Eddine par une promesse de vente de la villa familiale. L'avocat du fils de l'ancien wali de Relizane s'en explique : "Il se trouve que la famille s'est opposée finalement à la vente de la villa." Djalal-Eddine a alors "proposé à Chikhi de le rembourser en prenant en charge les travaux d'installation d'électricité dans ses promotions immobilières". Le magistrat fait remarquer aux deux accusés que leurs déclarations contredisent le contenu de l'enquête préliminaire. "Les auxiliaires de la justice m'ont torturé et fait signer un PV falsifié sous la contrainte alors que j'étais au bord de l'évanouissement", soutient Djalal-Eddine Lemhel, précisant que son dossier judiciaire contient des certificats médicaux attestant ces faits. Concernant ses contacts avec l'ex-ministre de l'Agriculture, Abdelkader Bouazgui, pour obtenir à Chikhi des permis d'importation de viande, sa défense précise que lors "du PV du 4 juillet 2018, on a tenté de faire dire à Djalal-Eddine Lemhel que Bouazgui et Tebboune avaient des liens avec ‘le boucher'. Il a subi des pressions et de la torture, ce qui est inadmissible". L'ex-P/APC de Ben Aknoun insiste également sur les violences physiques et psychologiques qu'il aurait subies durant son interrogatoire. Il nie, en outre, avoir tout lien direct avec l'obtention du permis de construire délivré à Kamel Chikhi. "C'est la commission de l'APC qui statue", se contente-t-il d'affirmer. Mais le procureur n'en démord pas et lui rappelle qu'il a été aperçu sur une vidéo apposant un cachet et une signature sur le document, dans le bureau du principal accusé, "bien que les services de l'urbanisme aient émis des réserves par rapport au permis de construire. N'est-ce pas là une preuve de culpabilité ?" réplique le représentant du ministère public. Appelé à la barre à son tour, Abdelkader Benzahra, le chauffeur personnel de l'ex-DGSN Hamel, affirme que les 700 000 DA reçus de la part de Chikhi représentent un prêt qu'il a remboursé le 21 avril 2018, à hauteur de 500 000 DA. "Je l'ai remboursé en présence de sa secrétaire. J'ai demandé à ce qu'on la fasse venir pour apporter son témoignage, mais on n'a pas pris en compte ma requête", dit-il. Abdelkader Benzahra réfute aussi avoir fait passer le promoteur immobilier par le salon d'honneur de l'aéroport et lui avoir évité des fouilles lors de ses déplacements à l'étranger. "Je lui évitais seulement les files d'attente en lui ramenant sa carte d'accès. On m'a dit durant les interrogatoires d'impliquer le général Hamel et ses enfants dans l'affaire Chikhi, et on t'épargne, mais je ne pouvais pas faire un faux témoignage." L'ancien procureur de la République de Boudouaou et son adjoint s'accordent à dire de leur côté qu'ils ont donné deux avances à Chikhi pour la réservation de deux appartements dans sa promotion immobilière du Ruisseau : la première de l'ordre de 1 million de dinars et la deuxième de 1,2 million de dinars. Mais que finalement, ils ont abandonné ce projet, faute d'avoir obtenu des crédits auprès des banques.