Deux images viennent à l'esprit en apprenant les dates de la reprise scolaire. La première est celle d'un conseil de classe de fin d'année. Un collègue propose l'admission d'un élève dont la moyenne est bonne chez lui, mais catastrophique dans toutes les autres disciplines. À l'unisson, ses collègues se sont écriés : «Mais tu vas l'envoyer à la ‘'boucherie'' !» C'était une formule courante... jadis. La deuxième image nous amène sur un terrain de football. Tel joueur reprend la compétition de façon inappropriée alors qu'il est inactif depuis une longue durée. Au premier geste, il s'écroule. Diagnostic médical : claquage grave. Le ministère de l'éducation nationale vient de donner les modalités de passage en classe et au cycle supérieurs. À l'évidence, le passage est donc acté à partir d'un corpus d'apprentissages portant uniquement sur deux trimestres. Passent à la trappe les leçons du troisième trimestre, connues comme étant les plus décisives dans la poursuite des études en classe supérieure. Il est évident que les perdants sont les élèves eux-mêmes et d'une manière plus globale l'école et l'université algériennes. Imaginons des élèves de 5e AP, de 4e AM et de 3e AS qui accèdent respectivement au collège, au lycée et à l'université avec le lourd déficit des apprentissages/compétences programmés au troisième trimestre. Cerise sur ce gâteau «empoisonné» : les moyennes de passage, revues à la baisse (en dessous de 10), aggravent davantage le vide occasionné par l'absence du 3e trimestre. Tout le monde s'attendait à une décision mûrement réfléchie, et ce, après consultation des acteurs du terrain et éventuellement des psychologues. Voilà qu'on décide comme si l'année scolaire actuelle s'était déroulée normalement. Ignorées les fâcheuses conséquences du confinement et de la diète pédagogique imposée à nos élèves. À ne plus rien comprendre ! Que faire ? Sans revenir dans le détail des propositions faites dans une contribution précédente (in le Soir d'Algérie du samedi 13 juin 2020 : «Sauver l'école et pas seulement l'année en cours»), il y a urgence de revenir au bon sens. À commencer par la mise en place d'une commission «ad hoc» MEN/partenaires sociaux pour plancher et analyser la situation en vue d'un sauvetage de l'année en cours et de celle qui vient. Dans une émission de la Chaîne II, les secrétaires généraux du Snapest et du Satef ont avancé des propositions pertinentes. Ils ont affiché une saine volonté d'entreprendre avec leurs confrères des autres syndicats une action salutaire : prendre langue avec le ministère pour revoir la copie. Les points à éclaircir sont nombreux : - revoir le calendrier des examens et de la rentrée scolaire ; - dispenser les leçons du 3e trimestre dans les disciplines de spécialité pour les lycéens et celles dites fondamentales («essentielles») pour les autres niveaux. Cela après une phase de remise à niveau psychologique et pédagogique (révision) ; - faire des propositions pour un examen du bac allégé en nombre de jours et en nombre d'épreuves. Voir avec le ministère de l'Enseignement supérieur pour un calendrier différé des inscriptions. Forcément, l'université aussi est confrontée à l'exigence d'un réaménagement de son année 2020/21 ; - revoir les modalités de passage des autres classes pour garantir un minimum de crédibilité à l'acte pédagogique (voir in Le Soir d'Algérie du 13 juin). L'importance de cette concertation MEN/partenaires sociaux est cruciale, d'autant plus que les dates de reprise posent problème. En fixant la date de reprise des cours au 4 octobre, on rajoute du stress à nos élèves : soient 6 mois pleins de «diète des apprentissages». Encore une fois, les réflexes archaïques ont la peau dure dans nos mentalités : seuls les examens de fin de cycle nous préoccupent. Cette date du 4 octobre donne à voir le peu d'intérêt que l'on porte aux élèves des autres niveaux. Seuls comptent les classes d'examen... pour exhiber le trophée d'un taux de réussite éclatant mais... «dopé» comme de coutume dans les moments difficiles. Calmer la rue ! Acheter la paix sociale ! Quitte à envoyer nos enfants au «casse-pipe» l'année d'après. Non, l'éducation n'est pas affaire de calculs égoïstes. Elle repose sur les progrès des sciences ; sinon, elle devient bricolage, et... le charlatanisme n'est plus loin. A-t-on convoqué les progrès scientifiques pour analyser la situation induite par la crise sanitaire sur les élèves ? Dans une telle situation et devant un avenir scolaire qui risque de s'assombrir, il est impératif d'avoir une approche multidisciplinaire. Et de se rapprocher des neurosciences, de la chronobiologie adaptée aux rythmes scolaires, de la docimologie pour une évaluation saine des acquis des élèves, des sciences psy pour mesurer les dégâts sur le psychisme de nos élèves (et les résorber) et des pédagogues chevronnés. Comme l'a si bien dit Meziane Meriane du Snapest, «une circulaire ministérielle n'est pas le Coran». Et si, finalement, de cette circulaire controversée – non sacrée – naissait une solidarité tous azimuts pour sauver la scolarité de nos enfants — et pas seulement les examens de fin de cycle de cette année 2019-2020 ? Le ministre a largement le temps de revoir la copie et pourquoi pas... de lancer les bases d'un chantier passionnant, celui de la Refondation de l'école algérienne. Ce n'est pas seulement dans les bureaux administratifs que se préparent les bonnes décisions. C'est même l'effet contraire qui en découle souvent. Seul compte la concertation avec les acteurs du terrain, à la lumière des progrès scientifiques. A. T.