Que sous-entend l'appellation d'« Algérie nouvelle », devenue pratiquement un signe de ralliement dont il est fait usage à tout propos pour bien marquer le changement de régime ? Voudrait-on convaincre l'interlocuteur, voire le badaud que la renaissance nationale a déjà eu lieu et qu'il est temps de reconnaître que plus rien ne sera comme avant ? Voilà une certitude bien embarrassante qui, de surcroît, bute sur une ambiguïté concernant le sens de l'antériorité désignée par l'adverbe « avant ». C'est-à-dire que l'on hésite entre lequel des passés antérieurs se réfère-t-on. En tout cas, si la formule passe-partout se contente seulement de la dernière performance obtenue après la destitution d'un pouvoir déjà moribond, celle-ci n'a, en définitive, été qu'une pitoyable victoire à la Pyrrhus. En fait, un succès obtenu au prix de très lourdes pertes et sans dividendes stratégiques notables dès lors qu'il fut décidé en « haut lieu » de ne plus aller au-delà de cet objectif. Pourtant, ce qui devait constituer une seconde marche susceptible d'ouvrir la voie à la résurrection nationale ne leur a pas été conseillé, et pour cause... En effet, rodée depuis plus d'un demi-siècle, l'infernale mécanique politique baptisée « Système », à laquelle s'étaient accommodés aussi bien les partis de toutes obédiences que le monde des affaires, ne fut jamais un régulateur neutre à partir du moment où son existence bénéficiait de la patine historique, créditant toute décision émanant de ses « services » de l'incontestable postulat décrétant le primat du militaire sur le civil. C'est dire que, d'une manière ou d'une autre, aucun régime à ce jour ne s'est affranchi de cette pesante tutelle même si, par le passé récent, certains présidents étaient parvenus à s'y opposer, mais pas pour toujours, puisqu'ils furent tous sanctionnés à la hauteur de leurs ambitions. Hélas, l'on ne voit pas comment en serait-il autrement pour le nouveau pouvoir dont il n'a été justement que le résultat d'un compromis interne que les urnes ratifièrent ? À moins, donc, de se suffire d'un exercice politique fortement encadré, l'Algérie actuelle est, par conséquent, dispensée de la mission visant la reconquête des attributs démocratiques de la République. Ce constat désolera sûrement les idéalistes mais que l'on s'entende bien à propos des inutiles incantations résumées par l'imaginaire slogan de la « nouveauté » et la promesse d'une république vertueuse. Car, aucune des critiques énoncées ne vise expressément l'activité du président de la République, lequel nous semble tout à fait en accord avec ses engagements. Parfaitement dans son rôle après six mois de présidence, il n'a, en effet, jamais dérogé à ses convictions personnelles qui n'étaient certainement pas celles du Hirak dans leur totalité tout en étant un partisan au-dessus de tout soupçon du grand ménage politique impliquant tout autant les partis que les relais douteux à l'origine du pillage économique. Réformateur prudent, il n'a certes pas le désir de « casser les baraques » mais d'imposer patiemment les règles de la légalité. Mais alors que venaient faire tous ces nouveaux courtisans qui s'étaient empressés de lui tresser les lauriers d'émancipateur de la République alors que l'ombre portée du système est toujours présente ? Voulaient-ils faire accroire qu'il était le dépositaire exclusif de la révolution sociale du 22 Février quand lui-même déclarait qu'il n'en fut qu'un sympathisant qui fit sienne la colère de la rue sans toutefois se reconnaître entièrement dans tous les mots d'ordre appelant à une quelconque table rase ? Cela veut dire que l'homme d'Etat en fonction garde toujours une vigilance accrue en commençant par scruter les usages politiques du passé et s'efforcer de les amender. En effet, il n'est pas inutile de remonter à la genèse du putsch accoucheur de toutes les tentations pour comprendre comment la légitimité de la république naissante fut aussitôt confisquée par un courant hostile à tout arbitrage démocratique que pourtant seul un Parlement était en droit d'en superviser les débats. Ce fut grâce à toutes sortes d'interdictions qu'un certain fascisme local parvint à contaminer les incultes « Zapata » de nos guérillas et les convaincre que la « discussion était l'ennemi de l'ordre ». C'est pour cette raison que le 19 Juin 1965 peut-être considéré, à ce jour, comme la date qui impacta le plus la vie politique du pays. D'ailleurs, une bonne partie des dirigeants, à cette époque-là, ne se trompa guère de diagnostic au moment des faits. Déjà en délicatesse avec le premier putschiste qu'était Ben Bella, la vieille garde du GPRA avait immédiatement réfuté la justification d'une contre-révolution en rappelant que le second coup d'Etat n'était rien d'autre que le deuxième ménage avant d'atteindre l'objectif : celui de contrôler tous les leviers du pouvoir. Dans la foulée de cette reconquista politique, un système de pensée allait se mettre en place qui ne manqua pas de se doter d'un véritable code de conduite tout à fait semblable à la praxis des cercles maçonniques. Une structuration dont l'efficacité allait permettre à l'armée de noyauter la totalité des îlots de la politique avec le recours aux menaces de toutes sortes, lesquelles firent de la « SM » une police politique redoutable. Un demi-siècle plus tard, il était devenu évident, pour les successeurs notamment, d'examiner chaque promotion de dirigeants ainsi que les changements de leadership à partir des parcours accomplis sous le contrôle de la police de l'ombre. Cette sélectivité préalable, qualifiée pompeusement « sas de légitimation », devint, par la suite, l'œuvre de propagandistes plus enclins à tous les travestissements et oubliant la rigueur initiale qu'imposa le défunt Boumediène tout au long de son pouvoir (1965-1979). Par conséquent, autant rappeler que la totalité des chefs d'Etat qui se sont succédé depuis la promotion de Bendjedid n'avaient pu l'être qu'à la suite de l'adoubement de la caserne, réduisant, de fait, le recours aux suffrages en les qualifiant avec mépris « d'opérations de ratification », sans plus. Au-delà de cette rétrospective destinée à illustrer les mœurs du système, que reste-t-il à présent, sinon les marqueurs globaux que sont les dates fondatrices à partir desquelles se sont régulièrement reconnus les réseaux. Le 19 Juin fut parmi celles qui ont changé jusqu'à la ligne d'horizon de la Nation. Et pour cause, entre la Constitution imaginée le 1er Novembre 1954 et la carte d'identité qui sera accolée à l'Etat par la coalition des putschistes (1963 puis 1976), il y avait bien plus qu'une nuance. En effet, rien de semblable ne coïncidait entre une « République démocratique et sociale » (RDS) et la RADP (démocratique et surtout populaire). Ce fut cette dernière qui allait s'installer ad vitam æternam au nom d'un populisme qui ne se réclamait des petites gens que pour brider leurs libertés. Bref, l'on ne soupçonnait pas que l'indépendance d'une nation pouvait devenir le goulag d'un peuple chaque fois qu'elle était l'objet d'une succession quasi-dynastique. De celles qui avaient vu des dirigeants galonnés mais soupçonneux conduire le char de l'Etat et même un narcissique faussaire en tous genres qui autorisa la mise à sac du pays. B. H.